Les Français offensifs, les Algériens critiques
Alors que les intervenants français tentaient de convaincre quant à « l’importance » du projet d’union méditerranéenne de Sarkozy, les Algériens demeurent sceptiques.
Vous êtes cruels avec l’union méditerranéenne ! », a lancé, le ton sérieux, Olivier Pastré du Cercle des économistes français hier à la salle des conférences de l’hôtel Sofitel d’Alger, à la faveur d’un débat sur les enjeux du projet défendu par Nicolas Sarkozy, organisé par le Cercle d’action et de réflexion autour de l’entreprise (Care), les journaux El Khabar et El Watan ainsi que le Centre de recherche en économie appliquée et développement (CREAD) Et si on arrête de dénigrer. On n’arrête pas de dire qu’on ne sait pas ce que sera cette union. Elle sera ce que nous voudrons qu’elle soit », a-t-il ajouté. Ce signe d’agacement est apparu après presque une journée marquée par des interventions critiques sur l’idée avancée par le président français, dès sa prise de pouvoir en mai 2007.
Abderrahmane Hadj Nacer, ancien gouverneur de la Banque centrale, a estimé que l’important est dans « la réalité » de ce qui est proposé. « On n’a pas cessé de dire qu’au Sud, on n’est pas prêt et qu’on demande trop d’argent. C’est ce même Sud qui place 100 milliards d’euros d’épargne en Europe et aux Etats-Unis. Et ce même Sud qui investit 7 milliards d’euros au Nord. Mais qu’on exporte de l’argent et qu’on demande aux investisseurs de venir c’est qu’il y a un problème », a-t-il expliqué. Il trouve paradoxal qu’on demande au Sud de devenir « une police de migration » alors que l’Algérie a perdu, ces dernières années, 450 000 cadres, la moitié de ce contingent s’est installée en France. « Il faut deux générations pour former un cadre », a-t-il ajouté. Evoquant la sécurité énergétique, Hadj Nacer s’est interrogé si l’union méditerranéenne n’est-elle pas « une manière déguisée » de mettre la main sur les ressources naturelles du Sud ? Abdennour Benantar du CREAD a, lui, posé le problème du cumul des initiatives en faveur de la zone méditerranéenne : processus de Barcelone en 1995, le dialogue proposé par l’Otan, Politique de voisinage européenne… « Cela fait double emploi.
A quoi sert-il de multiplier les initiatives si elles butent sur les mêmes difficultés ? Cela est-il lié à l’absence des Etats-Unis ? », s’est-il demandé. Pour Abdelaziz Rahabi, ancien ministre, le volet culturel et humain, ignoré par le processus de Barcelone, n’est pas présent dans le projet de l’union méditerranéenne. « On ne parle que de finances et d’économie », a-t-il remarqué. Il a rappelé l’un des facteurs qui bloque le processus euro-méditerranéen de Barcelone : le conflit au Moyen-Orient. « Quand j’ai entendu le discours du président français aux Etats-Unis, j’ai eu peur », a-t-il concédé. Nicolas Sarkozy avait déclaré être « intransigeant » avec la sécurité d’Israël et « attentif » aux préoccupations des Palestiniens. L’absence de référence à la démocratie dans le projet de l’union méditerranéenne a suscité d’autres questionnements. Comme ceux de Mohammed Hachemaoui, politologue, relatifs à la dominance de « l’enjeu sécuritaire ». Selon lui, l’Europe a toujours soutenu la stabilité des régimes du Sud. « La crédibilité sécuritaire des régimes supplante la légitimité démocratique », a-t-il observé, relevant que le déficit de représentation politique génère l’exclusion et alimente les extrémismes.
Hubert Védrine, ancien ministre socialiste des Affaires étrangères, approché par les journalistes, a qualifié « d’appels creux » les demandes faites à propos du respect des règles démocratiques et des droits humains. « Cela n’a pas de résultats. Chaque pays évolue selon son rythme. L’essentiel est d’avoir des projets concrets. Des projets faits en commun pour éviter le paternalisme des initiatives européennes », a-t-il déclaré.
« Trop vieux, trop faibles »
A une question sur les réserves exprimées la semaine écoulée à Alger par le président du Parlement européen, Hans-Gert Pottering, sur le projet de Sarkozy et son appel à relancer le processus de Barcelone, M. Védrine a eu cette remarque : « En 2005, pour fêter le 10e anniversaire de ce processus, aucun chef d’Etat du Sud n’est venu. Il faut passer à autre chose en gardant le cadre global de ce processus. » Philippe Fontaine Vive, président de la Banque européenne d’investissement (BEI), s’est dit « militant » du projet français, « une chance unique ». Pour réussir, la démarche doit, selon lui, être efficace, concrète et complémentaire avec l’Union européenne (UE). « On doit également traiter nos partenaires du Sud à égalité. Je ne comprends pas pourquoi l’UE consulte sur ses décisions la Suisse et la Norvège, qui ne sont pas membres de l’Union, et ne le fait pas avec l’Algérie », a-t-il relevé. Pour rendre la future union méditerranéenne « populaire », il faut, selon lui, s’intéresser aux questions de l’environnement. Il a cité le cas de la lutte commune contre la pollution marine.
Au plan stratégique, le responsable de la BEI a pris l’exemple du volume des investissements directs (IDE) pour souligner une certaine carence : avec leur Sud, les Etats-Unis réalisent 18% d’IDE, le Japon 27%, la France et l’Allemagne réunies 2%. « On a fait le plein à l’Est, il faut qu’on aille vers le Sud. L’UE est réduite à une Europe de blonds aux yeux bleus. L’Union méditerranéenne est inévitable », a proclamé, de son côté, Jean-Louis Guigou, délégué général de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (IPEMed). Mettant le doigt sur la véritable plaie de l’Europe, l’hiver démographique, il a souligné que la population du vieux continent va se réduire de 80 millions d’habitants vers 2040. « On va devenir trop vieux, trop faibles… », a-t-il dit. Additionnant les populations des deux rives de la Méditerranée, il a appuyé : « A 900 millions d’âmes, on va peser. » Slaheddine Ladjimi, président de la Banque internationale arabe de Tunisie (BIAT), a critiqué l’action de l’Union du Maghreb arabe (UMA) : « Il y a des bureaux, des gens qui travaillent, mais on ne voit rien de concret. » Il a illustré son propos par la faillite de la banque mixte algéro-tunisienne (BMCA) faute de ressources. Abdelaziz Rahabi a expliqué que les usines de ciment blanc et de moteurs diesel que la BMCA devait financer étaient « des investissements politiques » voués à l’échec.
Slaheddine Ladjimi a estimé nécessaire d’aborder la question de la convertibilité de la monnaie dans la région. « Je ne comprends pas pourquoi je viens à Alger avec des euros dans la poche », a-t-il relevé. L’existence de l’UMA n’est pas obligatoire aux yeux de Mohamed Bahloul, économiste. « Dans la mondialisation, ce n’est pas une ambition nécessaire. Des petits pays, comme la Finlande et les Emirats arabes unis, ont une grande compétitivité. On peut investir dans nos pays », a-t-il noté. Mourad Boukella, chercheur au CREAD, a plaidé pour l’économie du savoir. « Aucun pays ne peut prétendre au développement s’il ne produit pas de la technologie et de la science », a-t-il noté.
Faycal Metaoui