INTERVIEW
Kamel CHIBOUT, 59 ans dont 42 ans de présence en France, est président de la Fédération Régionale de la Grande Mosquée de Paris (FRGMP) du Grand Est. Il est aussi membre du bureau exécutif de la Fédération Nationale de la Grande Mosquée de Paris (FNGMP).
CFCM TV : la FNGMP a appelé au boycott des élections du CFCM, pourquoi ?
Kamel CHIBOUT : Les raisons ont été largement évoquées par notre fédération, celles-ci visent particulièrement le mode de scrutin du CFCM basé sur les surfaces des mosquées pour déterminer le nombre d’électeurs. Ce mode de désignation est indigne et contraire à l’esprit démocratique qui nous anime, il conduit à une non représentation de la base, il favorise l’esprit clanique du sommet du CFCM en privilégiant les luttes de pouvoir au détriment du réel travail que nous devons faire en vue de mieux organiser, mieux défendre notre communauté au sein de la République française.
Ce système de scrutin est une tare, un poison qui est là pour paralyser la première communauté de croyants de France. Il favorise les notables du culte musulman qui utilisent politiquement et économiquement les besoins et demandes de millions de musulmans sans jamais les satisfaire.
Notre Fédération, la FNGMP qui existe depuis 3 ans maintenant ne cautionne et n’a jamais cautionné ce mode électoral. D’ailleurs si notre fédération avait existé avant le scrutin du CFCM de 2005, nous aurions fait exactement la même chose c’est-à-dire que nous aurions refusé que la Grande Mosquée de Paris prennent part à ces élections qui ne sont qu’une mascarade ! Nous sommes pour une réelle représentativité des musulmans de France, et non pour leur division, ni pour l’étouffement de leurs revendications.
CFCM TV : Oui mais certains, comme Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée, ont demandé à Dalil Boubakeur : « Qu’avez-vous fait durant cinq ans pour changer ces critères (de scrutin) ? »
Kamel CHIBOUT : En 2002, lors de la création du CFCM, la Fédération de la Grande Mosquée de Paris n’existait pas en tant que structure associative qui privilégie des décisions collégiales, favorisant et tenant compte des attentes de la base militante. A l’époque, la Mosquée de Paris fonctionnait avec de simples délégués régionaux qui n’avaient aucun poids sur ses décisions. Déjà en 1998, personnellement, comme d’autres délégués de la GMP, et comme l’administrateur général, Mahjoub Bentebria, étions contre la participation de la GMP au CFCM. Mais, en 2002, les pressions de Alain Billon, ancien conseiller technique du ministre de l’Intérieur (1997-2002), exercées sur Dalil Boubakeur ont eu raison de sa capitulation.
Le système de scrutin du CFCM favorise certaines fédérations qui sans ce dernier n’auraient aucune place dans cette organisation. Il biaise aussi la représentation, sans ce mode électoral le Rassemblement des Musulmans de France (RMF) par exemple ne serait jamais arrivé en tête du scrutin.
Il a été impossible pour Dalil Boubakeur, durant les deux premiers mandats, de modifier ce mode de scrutin parce que d’une part il était minoritaire au CFCM, que ce soit au bureau exécutif, au conseil d’administration et à l’assemblée générale, et d’autre part les autres fédérations n’ont jamais voulu changer ce mode de scrutin qui leur a permis d’avoir une majorité au CFCM sans que cela ne reflète la réalité du terrain, sans que cela ne soit l’expression démocratique de la majorité des musulmans fréquentant les lieux de culte.
La citation de Claude Guéant est une tentative maladroite de mettre Dalil Boubakeur en position de bouc-émissaire et de renverser les responsabilités. Mais n’en déplaise, c’est bel et bien Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, qui a mis en place ce mode de scrutin indigne et injuste, qui ne s’apparente aucunement à un signe de respect et de reconnaissance de la communauté musulmane de France et de Navarre.
CFCM TV : Certains commentateurs disent que vous avez appelé au boycott car la FNGMP n’avait aucune chance de gagner ces élections : que répondez vous à cette hypothèse ?
Kamel CHIBOUT : Ce n’est pas le cas, quoique ce soit une interprétation possible au vu du système de scrutin qui nous est défavorable.
Certains d’ailleurs n’ont pas hésité à favoriser cette hypothèse pour décrédibiliser nos vraies raisons, pour tenter d’atténuer notre légitime contestation, notre défense d’une meilleure représentativité du culte musulman en France. Certains, tels que Franck Fregosi, des journalistes en manque de lectorat et de sensationnel ou autres adeptes du choc des communautés, se sont même évertués à créer de la fitna (désordre) entre les communautés musulmanes d’origine marocaine et algérienne, en avançant des arguments et des chiffres bidons concernant la réalité de l’islam en France. Par exemple le fait que les français d’origine marocaine géreraient 40 % des lieux de culte et seraient plus pratiquants que les français d’origine algérienne, que ces derniers passeraient plus de temps au PMU qu’à la mosquée ! C’est aberrant, honteux, et ces affirmations erronées ne reposent sur rien de sérieux et certainement pas sur une démarche scientifique ou sur des statistiques officielles, sachant que ces dernières sont interdites dès qu’il s’agit d’établir des critères sur les origines religieuses. D’ailleurs on ne connait même pas le nombre exact de musulmans en France.
CFCM TV : Comment expliquez vous le très maigre bilan du CFCM de ces 5 dernières années ?
Kamel CHIBOUT : Le mauvais bilan du CFCM est à inscrire dans une stratégie perfide de la part du RMF (ex FNMF). Cette stratégie de sabotage du CFCM, qui date de 2003, visait avant tout à discréditer Dalil Boubakeur, la Grande Mosquée de Paris et in fine l’Algérie qui en est le bailleur de fonds. Nous savons maintenant que le RMF, qui au passage n’a pas de légitimité au regard des textes fondateurs du CFCM, a prêté allégeance au roi du Maroc lors du colloque de Marrakech en février 2008. Un RMF qui revêt les habits d’une entité politique entièrement pilotée depuis le Royaume chérifien.
Depuis 2003 le RMF (ex FNMF), grâce au système injuste de scrutin, était majoritaire au sein des organes décisionnels du CFCM (Bureau et Conseil d’Administration). Dalil Boubakeur était lui en position minoritaire. Par voie de conséquence c’est bel et bien le RMF qui est responsable du blocage du CFCM et du bilan désastreux. Le RMF savait qu’en sabotant le CFCM, l’opinion publique n’allait retenir que le nom de Boubakeur. C’était aussi une manière de se venger de la cooptation de Dalil Boubakeur au niveau de la présidence du CFCM. Cooptation qu’ils avaient pourtant accepté quand Nicolas Sarkozy l’a proposé en 2003 et en 2005.
En résumé, j’explique le mauvais bilan par les deux causes principales que sont la stratégie de blocage opérée par le RMF, et le fait que le bureau du CFCM n’a pas été élu mais coopté. Cela favorise la déresponsabilisation des dirigeants, qui de fait n’ont pas de compte à rendre à la base des musulmans, vu qu’ils n’ont pas été élus par ces derniers.
CFCM TV : Souvent on pointe du doigt les influences ou ingérences étrangères des pays comme l’Algérie, le Maroc, la Turquie dans la gestion de l’islam en France. Cela nuirait, selon certains, à l’islam de France : qu’en pensez-vous ?
Kamel CHIBOUT : L’islam de France n’est qu’un slogan, à l’heure actuelle, cela ne correspond à aucune réalité.
C’est l’Etat français lui-même, qui favorise par le biais de coopérations ou d’accords avec des pays étrangers cette soi-disant « ingérence » qui est tant décriée.
Il faut être cohérent, si nous voulons d’un islam DE France alors il faut faire pression sur le gouvernement français pour qu’il cesse de favoriser les influences et « ingérences » de ces états étrangers.
L’islam de France est une formule, reprise par les politiques et les média, qui en vérité sert à stigmatiser encore plus les musulmans et l’islam.
Pourquoi ne dit-on jamais que la religion catholique subit des influences étrangères quand les diocèses ne cessent de faire appel à des prêtres étrangers venant d’Amérique latine et d’Afrique noire? Dans trente ans, il y aura plus de soixante pour cent de prêtres français qui seront étrangers. Mais c’est toujours les musulmans qui doivent se sentir honteux d’avoir des relations avec l’étranger alors que ces dernières sont régies, la plupart du temps, dans un cadre légal et diplomatique. Il ne faut pas que cela continue d’entretenir la suspicion sur l’ensemble de la communauté.
CFCM TV : Quelle est votre position par rapport au fait que, malgré votre appel au boycott des élections du CFCM, vous allez quand même être présents au CA, au bureau et dans certaines commissions du CFCM ?
Kamel CHIBOUT : A l’heure où je m’exprime, rien de cela n’est ! Et j’espère que cela ne sera jamais !
La FNGMP avait appelé au boycott des élections pour des raisons saines et justes. En effet nous voulons une vraie représentativité du culte musulman, pas une représentation de façade. En appelant ainsi au boycott, qui a été unanimement suivi par nos fédérations au niveau régional, cela à eu pour conséquence directe l’absence de notre sensibilité aux seins des 25 CRCM de France. De facto, aucun des 25 CRCM ne peut prétendre à une quelconque représentativité des différentes sensibilités musulmanes.
Il faut être cohérent, d’un côté on ne peut pas appeler nos associations régionales à ne pas être présentes au niveau des CRCM et nous octroyer, de manière hypocrite, le droit d’être présent dans l’instance nationale. Ceci porte un nom : la traitrise.
A l’instar d’autres responsables de la FNGMP, je suis contre la présence de la Grande Mosquée de Paris au sein du CFCM, et ce pour quelques raisons que ce soit !
La Grande Mosquée de Paris doit absolument se retirer définitivement du CFCM, c’est une question de courage et surtout de dignité pour la majorité des musulmans de France.
Ma position est claire, objective et franche.
CFCM TV : Pensez- vous que le CFCM doit continuer à exister ?
Kamel CHIBOUT : Je demande au président de la République – Nicolas Sarkozy – de tirer un bilan objectif de cette structure. Lui qui est un fervent défenseur de la culture du résultat et de la démocratie doit agir en conséquence. Pourra-t-il continuer à fermer les yeux sur le fait qu’aucun CRCM ne soit représentatif ? Sur le fait que le système de scrutin est indigne d’une démocratie comme la France ? Est-ce cette image que la France veut véhiculer au niveau mondial concernant la gestion du culte musulman ?
Pour ma part, je dis qu’il faut réinventer une structure qui fait place à une vraie représentativité, aux jeunes, aux femmes, à des compétences réelles. Une structure où les intérêts politiques et le business au nom de la religion ne primeraient pas sur un réel travail désintéressé, pour améliorer la gestion du culte musulman et répondre aux attentes de millions de musulmans.