Le jeu trouble de Dalil Boubakeur
Par : Yacine S. liberte le 11 juin 2011
Indésirable en Algérie quand il était en fonction, l’ancien ministre français de l’Intérieur, Brice Hortefeux, a reçu une incroyable bénédiction de Dalil Boubakeur, le recteur de la Grande-Mosquée de Paris. Alors que toute la France progressiste s’est mobilisée contre les propos racistes de M. Hortefeux qui lui ont valu d’être condamné en première instance, le dignitaire religieux a volé à son secours, lors de son procès en appel, jeudi, à Paris. Un an après le jugement du tribunal correctionnel qui a condamné M. Hortefeux à 750 euros d’amende, la cour d’appel de Paris s’est, à son tour, penchée sur les paroles litigieuses prononcées par le ministre alors qu’il posait avec un jeune militant, Amine, né de père algérien, lors de l’université d’été de l’UMP, en septembre 2009. Sur une vidéo publiée par lemonde.fr, une militante expliquait à M. Hortefeux qu’Amine mangeait du cochon et buvait de la bière. Et le ministre de rétorquer : “Ah, mais ça ne va pas du tout, alors, il ne correspond pas du tout au prototype !”
Dans un second temps, il ajoutait : “Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes.” Pas plus qu’en première instance, les juges n’ont pu entendre les explications du ministre, absent à l’audience. Ils ont, en revanche, reçu deux témoignages nouveaux : celui du recteur de la Grande-Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, et du président de l’Institut musulman d’Auvergne (IMA), Karim Djermani, venus attester des convictions antiracistes de M. Hortefeux.
Sans s’avancer sur le terrain de la moralité du prévenu, l’avocate générale a requis la relaxe sur un fondement essentiellement juridique : à ses yeux, la 17e chambre correctionnelle ne pouvait, comme elle l’a fait, requalifier le délit d’“injure publique” reproché à M. Hortefeux en injure non publique — passible d’une simple contravention de 4e classe — car la partie civile à l’origine des poursuites, le Mrap, ne peut agir en justice qu’en matière de délit. Sans exclure que les propos de M. Hortefeux aient pu être “mal ressentis et perçus comme vexatoires” par la communauté musulmane, la représentante du parquet général a appelé les juges à se demander si le caractère injurieux des propos était “suffisamment explicite” pour être condamné.
Sur ce point, la conviction de M. Boubakeur est faite : ces propos ne sont “pas spécialement d’un racisme extraordinaire”.
“Si, dans le métro, un quidam disait la même chose, vous diriez : ça n’est pas grave ?” l’a interrogé, un rien surpris, le président de la chambre, Alain Verleene. M. Boubakeur ne s’est pas démonté, il a même une théorie appuyée, dit-il, sur son expérience de médecin pour expliquer les saillies de l’ancien ministre : il s’agit d’un “automatisme de la parole” de la part d’un homme politique “imprégné” à son corps défendant par “la société de consommation” et ses slogans publicitaires restés dans la mémoire collective comme “un verre, ça va, deux verres, bonjour les dégâts”.
Cette automatisme “inconscient” n’est “pas révélateur d’une attitude personnelle” de Brice Hortefeux dont le recteur de la Grande-Mosquée a salué les actions en faveur de l’Islam en France et l’attitude toujours “bienveillante, ouverte, favorable” vis-à-vis de la communauté musulmane.
Selon des indiscrétions obtenues par Liberté, ce soutien n’a rien de spontané et devait, dans un premier temps, prendre la forme d’un écrit adressé au tribunal. Mais l’ex-ministre, proche de Nicolas Sarkozy, s’est déplacé, mardi soir, à la Mosquée de Paris pour demander au recteur de se déplacer au tribunal. Y a-t-il une contrepartie à ce soutien ? Si c’est le cas, elle ne profitera pas à la communauté musulmane de France, assure, en fin connaisseur de la mosquée, un fidèle qui invite à observer l’agenda du chef de l’État pour les mois prochains. Nicolas Sarkozy, qui n’apprécie pas particulièrement Dalil Boubakeur, pourra lui accorder une audience et le gratifier de quelque récompense. Attendons.
Au rassemblement de Lille la semaine dernière, Dalil Boubakeur avait épinglé à son veston la Croix de la Légion d’honneur et le drapeau algérien. C’est sur lui que mise Halim Benatallah pour encadrer la communauté algérienne en France.