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mercredi 20 novembre, 2024

Egypte : L’appel du général

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Quel sens donner à l’appel du  général Abdel Fattah al-Sissi :

« J’appelle tous les égyptiens honnêtes à descendre dans la rue vendredi pour me donner mandat pour en finir avec la violence et le terrorisme »

Appel à l’aide d’un homme en proie au doute ou appel à la violence institutionnelle dans un climat de tension politique ?

Celui qui a réalisé le coup d’Etat contre un président démocratiquement élu et qui a installé sous  la « légitimité » de la rue des figures et des organes de transition censés masquer le coup d’Etat et qui bénéficie du soutien des milliards des bédouins, des éradicateurs et des salafistes, a-t-il besoin du soutien du peuple civilisé pour lutter contre le peuple terroriste ? Il y a des fausses donnes qui semblent fausser les pronostics. Sinon comment expliquer que le général s’exprime en faisant de la surenchère sur le président désigné et en appelant le peuple non à soutenir le gouvernement, mais à le soutenir personnellement.

Les évènements semblent indiquer que :

1 – Le général Sissi – plus influencé par le général Boulanger que par la Révolution française –  se trouve confronté à une grogne au sein des officiers de l’armée qui désapprouve le coup d’Etat et qui redoute ses conséquences. Le général  appelle le peuple à venir trancher dans l’arbitrage qui oppose  les « faucons »  éradicateurs  et les « colombes » réconciliatrices au sein de l’armée.

2 – Les  officiers ainsi qu’une partie des nationalistes viennent de prendre  conscience des risques réels de guerre civile et ont réévalué la situation nationale et internationale qui demeure défavorable pour un coup d’Etat. Il ne s’agit pas comme on pourrait le croire de la crainte de la suspension de l’aide américaine ou du désir européen de voir revenir l’Egypte à la légitimité des urnes. Il s’agit de quatre grands facteurs.

  • Le premier facteur c’est que le retour aux urnes promis par l’armée  pourrait s’avérer une véritable boite de pandore  maintenant que la contestation dans la rue  est devenu le « recours révolutionnaire » et le moyen d’imposer ou de déposer un gouvernant. La victoire n’est garantie pour aucun prétendant et elle demeure soumise au refus qui peut entrainer l’embrasement. Il est impossible que la crise sociale et politique ne soit jugulée avant la tenue des élections annoncées.
  • Le second facteur est la réalité politique des opposants aux Frères musulmans. Ils ne sont pas un gage de soutien ni un facteur de stabilité ni une force de gouvernance. Ils sont hétéroclites et ils ne sont parvenus à un consensus sur les figures de la transition que par le jeu opportuniste des salafistes qui restent une force imprévisible et sans cap politique pouvant donner lieu à des alliances durables.  La redistribution des aides et le partage du fardeau de la crise sociale et économique peuvent faire voler en éclat les forces unifiées dans leur refus des Frères musulmans.
  • Le troisième facteur réside  paradoxalement dans l’aide financière octroyée par les bédouins.  Le nationalisme égyptien exacerbé et utilisé à la fois comme rente sociale et refuge idéologique ne peut tolérer de se voir confié aux vassaux de l’Amérique. Une fois consommées la rhétorique et la propagande sur les collusions d’intérêts entre l’Amérique et les Frères musulmans, l’éveil est humiliant pour les partisans nombreux et irrationnels de Misr wa bess ou de Misr oum edounya.
  • Le quatrième facteur est dans la conséquence du risque de l’alignement  de l’Egypte sur l’Arabie saoudite et ses voisins satellites. Tout le monde connait la rivalité idéologique, politique et culturelle entre l’Egypte et l’Arabie saoudite depuis Djamel Abdel Nasser. Les nationalistes, dans l’armée et dans le civil, attachés à Nasser et au nationalisme arabe et habitués à si tuer dans la lutte entre le bloc Ouest et le bloc Est ne peuvent ne peuvent tolérer se voir des figurants dans les luttes rivales entre monarchies bédouines. Ni le Qatar ni l’Arabie saoudite ni leurs voisins ne peuvent jouer un rôle stabilisateur pour l’Egypte. Ils sont perçus pour ce qu’ils sont : des facteurs de régression, de désordre et de conflit.  Leur histoire moderne, la nature de leur pouvoir et leurs interventions dans la région témoignent de leur vassalité aux USA qu’ils ne sont pas capables de bien réaliser faute de culture politique. Leur intervention en Syrie est catastrophique. Leur intervention en Egypte sera pire. Ils peuvent apporter la manne financière, mais ils ne peuvent apporter ce qu’ils n’ont pas : la vision du monde et un plan de développement. Les 12 MD $ ne peuvent empêcher les échéances difficiles avec le FMI et le règlement de la crise politique, sociale et morale. Dans les conditions actuelles, la manne devient un fardeau dont il faut se débarrasser si on veut éviter le naufrage du navire égyptien dans la tourmente de ses politiciens et de ses militaires.

3 –  Le choix du vendredi vise à rassembler les salafistes contre les Frères musulmans surfant sur l’esprit partisan et sectaire dominant dans les mouvements islamiques qui obéissent à des logiques d’identité formaliste et non à des logiques religieuses, géostratégiques ou politiques. Si ce choix venait à se confirmer, alors la rumeur faisant état de la rencontre entre les corrompus de  l’armée égyptienne et les corrupteurs des pays du Golfe, tous ennemis des Frères musulmans, va devenir réalité. Personne n’ignore que l’apolitisme et l’individualisme du salafisme exporté par l’Arabie saoudite a une capacité de déstructuration des imaginaires et des consciences dans le monde arabe. Personne n’ignore aussi que les salafistes, par leur infantilisme simplificateur et par leur inertie face au changement, sont les alliés des régimes despotiques comme le sont d’ailleurs les prétendus démocrates et progressistes laïcs qui refusent le changement tant  par peur de perdre leur rente politique que par mépris pour la religion du peuple.

Ce vendredi sera décisif tant pour les ambitions politiques du général que pour  le devenir de l’Egypte. Ce sera une confrontation et l’approfondissement de la déstructuration entamée de l’Egypte ou bien un réveil et l’obligation pour tous de trouver un terrain pour la réconciliation nationale. La réconciliation est difficile car elle exige un désir de se réconcilier et le recours à la justice et à l’équité.

Ce vendredi sera décisif car il pose en filigrane la question du rapport des forces politiques à l’armée ainsi que du positionnement du clivage idéologique dans le monde musulman et arabe qui n’est pas entre islamistes et non islamistes, mais entre conscience universel s’opposant au chaos mondial et inconscience sombrant dans le chaos au nom de la religion, de la démocratie, de la souveraineté nationale et d’autres termes galvaudés ou instrumentalisés.

Les Frères musulmans confinés dans leur esprit partisan et engagés dans leur lutte contre le régime syrien n’avaient ni l’envergure ni le recul pour lire la carte du monde et se hisser au niveau de l’universel de l’Islam dont ils se réclament. Toutes les critiques contre les Frères musulmans sont objectives si elles ne font pas l’impasse sur les errances de l’ensemble de la classe politique dans le monde arabe et en Egypte. Il s’agit de chercher à comprendre et d’apprendre à anticiper pour ne pas rester éternellement otage des autres et victimes de notre propre inconséquence.

Le destin est ironique, tragiquement ironique pour ceux qui ne lisent pas correctement l’histoire et le mouvement du monde. En effet dans une semaine les Iraniens installent leur nouveau président démocratiquement élu et continuent d’avancer sans perdre leur cap dans un monde de contradictions et de déchirements, alors que les Égyptiens, les uns se croyant les tombeurs d’Israël, les autres de Bachar Al Assad, sont renvoyés dos à dos à leurs contradictions internes et à leurs faux clivages.

4 – Le général a choisi la confrontation. Le peuple sera-t-il son allié,  son instrument, ou son désaveu public ? Sera t-il isolé ou aura-t-il les moyens de « mater » les Frères musulmans et d’imposer son « agenda » ? Personne n’a de réponse et même si demain et les jours à venir nous donnent une réponse, elle sera incertaine car les actants, prisonniers de leur ego, n’ont aucune prise sur les événements et ne sont pas à l’abri de retournements bouleversants comme l’a si bien dit le grand poète arabe Al Moutannabi :

« Tajri ar riyah bi ma la tachtahi as soufoun : les vents ne soufflent pas toujours au gré  des voiliers »

Ce qui est par contre sur et certain c’est la double volonté du général Sissi et de  son clan éradicateur de :

– criminaliser et diaboliser les Frères Musulmans sinon les pousser à l’épreuve de force en faveur des militaires partisans de l’éradication de l’Islam politique et social. Depuis le premier jour du coup d’Etat la feuille de route contre Morsi était tracé : l’envoyer devant une juridiction pour légaliser le coup d’Etat. La même feuille de route prévoyait la décapitation « juridique », médiatique et sécuritaire de l’encadrement des Frères musulmans. Ces derniers disposent d’une expérience de près d’un siècle de lutte et de clandestinité. Est-ce que la « transparence » démocratique à  donné au pouvoir réel la cartographie de leurs réseaux ou non est la question de fond qui vient s’ajouter à celle sur les mesures de précaution que les Frères musulmans ont pris ou non face au traditionnel retournement des militaires contre eux ( Nasser et  Sadate). Ces questions posent la question sur l’urgence et la gravité de l’appel du général : est-ce que les Frères se sont constitués des réseaux au sein de l’armée ? Est-ce que Sissi annonce une chasse aux sorcières pour épurer l’armée fort d’un soutien populaire et politique ?

– criminaliser le HAMAS en l’impliquant dans un pseudo complot de Morsi contre la souveraineté de l’Egypte et ainsi offrir à l’entité sioniste et à l’administration américaine la garantie de la poursuite des accords de Camp David. Le retournement tactique et opportuniste des Frères Musulmans vis-à-vis de l’administration américaine et leur mauvaise gestion de l’affaire syrienne ne font pas oublier leur lutte en faveur de la Palestine.

Le général Sissi gère ce dossier, tambour battant, comme les magiciens de Pharaon faisant illusion pour s’attirer les bonnes grâces de l’Empire alors que dans la famille de Pharaon des voix silencieuse sortent de leur mutisme s’élèvent pour défendre Moïse et se reconnaître dans son message.

Conclusion : La confusion et le chaos servent les intérêts et les ambitions de l’Empire, du sionisme et des cercles d’affaires. Il faut continuer à explorer les pistes et à valider le sensé et  invalider l’insensé au delà de l’actualité.

PS : Je ne suis pas partisan des Frères musulmans car je ne crois pas en l’efficacité de leur méthode ni dans le recours à l’esprit partisan. Je suis conscient de leurs erreurs monumentales. Je me dois de comprendre autant que rejeter le coup d’Etat car non seulement il n’apporte rien de bien, mais il empêche l’enracinement de l’alternance politique par des voies pacifiques et le dialogue. L’armée comme les politiques doivent être une force de proposition pour défendre la patrie et les citoyens s’ils n’ont pas la compétence de défendre la religion de leur peuple. Ils ne doivent pas être moralement et politiquement le problème et l’obstacle. l’appel du général « pour en finir avec la violence et le terrorisme » aurait trouvé crédit et efficacité s’il s’inscrivait dans une démarche citoyenne qui construit l’Etat de droit et de prospérité. Tous les indicateurs annoncent l’Etat d’exception…

Omar MAZRI – www.liberation-opprimes.net

Rédaction

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