Lire la partie 1
2 – Dire sa liberté ou afficher sa soumission.
وَمَنْ أَحْسَنُ قَوْلًا مِّمَّن دَعَا إِلَى اللَّهِ وَعَمِلَ صَالِحًا وَقَالَ إِنَّنِي مِنَ الْمُسْلِمِينَ
{Qui donc prononce meilleur dire que celui qui convie à Allah, fait œuvre méritoire et dit : « Certes, je suis du nombre des musulmans ? ».} Foussilat 33
Sur le plan religieux et culturel, nous avons intégré le terme « muslim » comme signifiant l’appartenance à l’Islam, à ses rites et à son aire géographique et culturelle. L’Occident a intégré le terme « muslim » comme musulman signifiant l’autre qui se distingue par sa religion orientale assimilée soit à une forme de bouddhisme, mais avec des rites contraignants, soit à une religion fataliste qui demande de se soumettre au Dieu des Arabes et de renoncer au monde.
Cette idée de renoncement et de soumission est celle que l’orientalisme a véhiculée dans ses livres sur l’Orient et sur l’Islam. Les orientalistes ont traduit littéralement le terme « muslim » par « soumis », « Islam » par soumission et « ‘Abd » par esclave ou serviteur. Les orientalistes traduisaient leurs préjugés sur le monde musulman au moment où le colonialisme cherchait des justifications morales et idéologiques à sa colonisation barbare du monde musulman. Il puisait ses prétextes idéologiques en puisant non seulement dans sa culture ethnocentriste judéo-chrétienne et gréco-romaine, mais aussi dans la culture du musulman devenu colonisable par le Wahn qui l’a rendu disposé à être colonisé. Le « muslim » et le « ‘Abd » respectivement comme soumis, serviteur et esclave ne méritent donc aucun égard, ni compassion ni liberté.
L’orientalisme et le colonialisme avaient trouvé dans le Wahn (la faiblesse morale et sociale qui rend le musulman semblable à une proie et à une écuelle convoitées par une meute de chiens affamés) tous les justificatifs et toutes les facilitations de la conquête des esprits et des territoires : une féodalité qui opprime, un fatalisme qui se résigne, un esprit marginal enclin à se contenter d’explications irrationnelles, des fragmentations sectaires, un culte sans vocation civilisatrice… Le Wahn est né du fatalisme qui pousse à renoncer à ses droits et à ses devoirs pour fuir la réalité et ne pas accomplir sa vocation de témoin. Non seulement le musulman a perdu la notion de liberté et de responsabilités, mais il se donne une fausse idée de Dieu. Ce Dieu Créateur et Organisateur est compris comme un monarque terrestre qui aurait besoin de la servitude des hommes pour qu’ils répondent en serviteurs fidèles aux exigences d’un maitre nécessiteux et insuffisant. L’idée de service ou de servitude est antinomique avec les Noms et Attributs d’Allah (swt) :
{Dis : « Certes la Direction d’Allah est la Direction infaillible ; il nous a été commandé de nous en remettre au Dieu des Univers ».} Al An’âme 71
{Dis : « Il m’a été interdit d’adorer ceux que vous invoquez, à l’exclusion d’Allah, quand les évidences me sont parvenues de la part de mon Dieu. Et il m’a été commandé de m’en remettre au Dieu des Univers ».} Ghafir 66
{Dis : « Il est Allah, l’Unique, Allah le Nécessaire Suffisant…} Al Ikhlass
Les termes muslim et islam n’ont aucun rapport avec la soumission que la tradition arabe et la culture orientaliste ont collée aux musulmans. Devenus fatalistes et colonisables ils sont donc considérés comme des soumis habitués à la soumission. L’ambiance du despotisme musulman comme celle de la néo colonisation peuvent toujours s’inventer des justifications morales et idéologiques pour continuer de soumettre les peuples musulmans en les infantilisant, en les opprimant, en les privant non seulement de la pratique de la liberté, mais de l’idée même de la liberté. C’est la même dérive sémantique qui rend les élites religieuses des rentiers du culte et des exploitants médiatiques qui cultivent l’infantilisme des peuples musulmans lorsqu’ils ne les poussent pas à la soumission à une confrérie dont le chef peut les conduire aveuglement vers la soumission à l’ordre établi ou à la révolte anarchique en contradiction avec la voie prophétique.
Il faut voir le rapport à la liberté et à l’Islam tant des islamistes que de leurs opposants militaires et civils en Algérie, en Égypte, en Syrie, à titre d’exemple, pour comprendre l’ampleur et la continuité de la servitude et de la soumission dans le monde arabe. Tout est prétexte pour refuser la liberté ou pour la compromettre au lieu de la construire, de la consolider et de lui donner des garanties. Il nous faut lire l’énoncé coranique, libérés de nos peurs, de nos routines, de nos fuites, pour voir le manifeste de la liberté dans cette Ayat :
وَمَنْ أَحْسَنُ قَوْلًا مِّمَّن دَعَا إِلَى اللَّهِ وَعَمِلَ صَالِحًا وَقَالَ إِنَّنِي مِنَ الْمُسْلِمِينَ
{Qui donc prononce meilleur dire que celui qui convie à Allah, fait œuvre méritoire et dit : « Certes, je suis du nombre des musulmans ? ».} Foussilat 33
Le Coran et le Prophète n’ont jamais posé la question de la foi en termes d’imposition et de contrainte. La foi et l’Islam sont offerts, proposés comme arguments, comme projet de salut, comme choix, comme échange dont le prix est le Paradis. Abou Bakr en levant une armée pour collecter la Zakat n’a pas mené une guerre religieuse contre les apostats et les hérétiques afin de les contraindre par la force à observer une obligation religieuse, mais il a mené une guerre politique contre la sédition qui allait détruire l’État embryonnaire et une lutte socioéconomique pour protéger les droits des démunis et des pauvres en imposant par la force de la puissance publique aux possédants de respecter leurs devoirs.
L’État de droit et la justice sociale sont des prérogatives de la gouvernance musulmane. Tout État n’existe en tant qu’institution que par son monopole sur les frontières, les armes, les impôts et la monnaie. L’État islamique, citoyen par excellence, non seulement exerce ce monopole, mais il l’exerce dans le respect strict de la liberté, de la Justice et de la solidarité sociale. Dans l’État islamique, le gouvernant et le gouverné sont dans un rapport de mutuelle assistance et de bons conseils réciproques.
Le gouvernant et le gouverné, l’allié et l’opposant, le privé et le public, tous, sont dans leurs dires, leurs actes et leurs intentions subordonnées à la quête de l’agrément d’Allah, car tous sont en quête du salut ultime. Les défaillent sur le plan de la foi et de la Charia restent comme dans toute société organisée et civilisée sous le regard social qui autorise et interdit. L’État n’intervient que pour arbitrer ou défendre la société qu’il est censé représenter. Le militantisme islamique en se focalisant sur le religieux ou sur le politique évacue de ses préoccupations les questions essentielles liées à la citoyenneté et à l’État de droit. Nos frères tunisiens semblent gérer correctement la transition politique en facilitant la participation la plus large et la plus critique à la construction de l’État.
J’apporte très peu de critiques aux « laïcs » de droite ou de gauche du monde arabe car l’épreuve de la démocratie les as révélés dans leur véritable nature : de la fausse monnaie intellectuelle, sociale, culturelle et politique. Non seulement ils sont les fossoyeurs de l’Etat, mais les adversaires de leur peuple et de sa religion. Le laïc français a des arguments historiques, philosophiques et religieux à faire valoir alors que le laïc arabe ne fait que colporter les idées importées qu’il n’a pas assimilé provoquant ainsi des dommages à sa société.
Le verbe coranique « Aslama à Allah » signifie s’en remettre totalement et en toute confiance à Allah, se fier à Allah. Ce n’est donc ni la servitude de l’esclave à l’esclavagiste, ni la sujétion à la monarchie absolutiste, ni la subordination du servant au maitre, ni la culture de l’opprimé envers son oppresseur. C’est l’abandon du Croyant entre les Mains de Son Créateur à qui il voue une adoration exclusive.
Ce croyant est tenu à prouver sa foi par le fait religieux, à être éprouvé par l’observance scrupuleuse ou l’inobservance du culte, à être éprouvé dans sa morale et ses intentions dans son rapport à autrui selon le code moral de l’Islam et non selon ses intérêts immédiats et égoïstes, à être éprouvé par les phénomènes de l’existence qui apportent bénédiction ou malheur dans sa vie familiale, ses biens, sa santé…
Dans toutes les situations, la réponse de l’homme est la même : ingrat ou reconnaissant, transgresseur ou juste et équitable, révolté ou patient, mensonger ou véridique, insensé ou sensé, convenable ou blâmable, pour soi ou pour Allah, médiocre ou excellent, mal intentionné ou bien intentionné, impitoyable ou compatissant, nuisible ou bénéfique. En un mot il s’agit d’être ou de ne pas être « muslim ». Muslim n’est ni un héritage biologique, socio culturel, ou ethno religieux, ni un dire, mais une foi que valident l’acte, le comportement et la parole en tout lieu, tout moment et toute circonstance.
Le Muslim est l’être qui pratique l’Islam en devenant une incarnation du « Aslama à Allah » qui consiste à s’en remettre totalement à Allah. Lorsqu’on étudie ces verbes dans le Coran on les trouve incarnés dans les Prophètes (saws) et particulièrement attaché à Abraham (saws) comme un choix délibéré qui s’appuie sur une connaissance approfondie d’Allah et une conscience claire et lucide sur la mission à entreprendre, ses épreuves, ses enjeux et ses conséquences. C’est le Coran qui va, par le Taddabbor (lecture méditative), nous donner la définition exacte du mot musulman et la sémantique de la phrase. Le Taddabbor va nous inciter à confronter le mutashabah (probable dans son interprétation) en le confrontant au Muhkam (l’évident et le certain dans sa lecture et son interprétation, mais aussi à remettre chaque mot et chaque phrase dans son contexte :
{Et lorsque son Dieu lui Dit : « Adopte l’Islam », il dit : « Je me remets au Dieu des Univers ». Et c’est ce qu’Abraham a recommandé à ses enfants ; Jacob de même : « O mes enfants, certes, Allah a choisi pour vous la religion, ne mourez donc pas sans que vous soyez musulmans ». Ou bien étiez-vous témoins lorsque la mort se présenta à Jacob, lorsqu’il dit à ses enfants : « Qu’adorerez-vous après ma mort ? » Ils dirent : « Nous adorerons ton Dieu et le Dieu de tes pères Abraham, Ismaël et Isaac, un Dieu Unique, et nous nous remettons à Lui ».} Al Baqarah 131 à133
Seul un choix libre et délibéré reposant sur la connaissance parfaite peut conduire vers la confiance totale en Dieu qui ne prive pas l’homme de ses responsabilités et de ses devoirs. La confiance totale signifie l’amour, la gratitude et la reconnaissance de toutes les compétences et de tous les droits envers l’Aimé :
{Qui donc pratiqua meilleure religion que celui qui se serait remis à Allah, en faisant le meilleur, et suivit la Confession d’Abraham, pur monothéiste. Allah a fait d’Abraham un Bien-aimé.} Al Anbiya
{Dis : « Certes, ma prière, mes dévotions, ma vie et ma mort sont pour Allah, Dieu des Univers, Il n’à point d’associé. C’est ce qui m’a été commandé et je suis le premier des Musulmans ». Dis : « Aspirerai-je à un autre Dieu qu’Allah, alors qu’Il Est le Dieu de toute chose ? } Al An’âm 161
Le récit coranique sur Abraham (saws) montre qu’être musulman n’est ni la parole ni le comportement d’un être soumis qui a perdu sa liberté, sa volonté, pour devenir une mécanique soumise à l’arbitraire d’un dieu « insensé ». Il s’agit d’une dévotion qui atteint le niveau de la consécration c’est-à-dire d’une démarche qui donne un caractère sacré (inviolable) en dédiant son existence à Allah comme si chaque parole et chaque acte sont une action rituelle qui rapproche de l’amour d’Allah, de Sa Justice, de Sa Vérité. Se consacrer à Allah c’est subordonner les objectifs poursuivis dans cette existence à la fin suprême : rencontrer Allah, obtenir le Salut final.
Il ne s’agit pas de perdre sa liberté, d’occulter ses responsabilités, ou de nier ses facultés intellectuelles, mais de les mobiliser et de les orienter librement, avec assiduité et exclusivité au dévouement d’Allah. C’est ce dévouement exclusif à Allah qui donne le sens véritable du « Muslim » et du « ‘Abd ».
Dire, lorsqu’on se réclame de la culture coranique, ne peut être ni circonstanciel ni posturale par amour ou par haine des sunnites ou des chiites, des Juifs ou des Chrétiens, des gouvernants ou des opposants, mais principe de vie inscrit dans l’amour d’Allah, de Son Prophète, de Son Livre :
وَمَنْ أَحْسَنُ قَوْلًا مِّمَّن دَعَا إِلَى اللَّهِ وَعَمِلَ صَالِحًا وَقَالَ إِنَّنِي مِنَ الْمُسْلِمِينَ
{Qui donc prononce meilleur dire que celui qui convie à Allah, fait œuvre méritoire et dit : « Certes, je suis du nombre des musulmans ? ».} Foussilat 33
L’Islam refuse l’aliénation et la soumission qui privent l’homme de sa liberté ou qui lui donnent justification pour ne pas exercer ses responsabilités et ses devoirs par rapport à une norme indiscutable et à un référentiel stable. Pour le musulman, la norme et le référentiel sont le Coran. Le Coran ne considère pas l’apparat individuel, le conformisme social ou la soumission au rapport des forces comme recevable sur le plan de la foi et de la vérité. Il rejette donc « l’Islam » de soumission formelle :
{Les bédouins disent : « Nous sommes devenus croyants ». Dis leur : « Vous n’êtes pas devenus pas croyants, mais dites : “Nous sommes devenus musulmans ”, car la foi n’est pas encore entrée en vos cœurs ».} Al Houjourate 14
La logique coranique et la cohérence de ses énoncés ne permettent pas de donner crédit aux idées fausses qui circulent sur la contrainte, l’absence de liberté ou la mise à mort de l’apostat ou du mécréant dans l’Islam ou dans la tradition du Prophète. Jamais le Prophète (saws) n’aurait pu dire une chose contraire à l’esprit du Coran alors qu’il est l’incarnation du Coran
La culture orientaliste, l’esprit bigot et la démarche partisane – avec tous les héritages légués non seulement par la colonisation, mais par la décadence musulmane provoquée par la culture d’Empire – continuent de fausser nos lectures et nos comportements. Nous continuons de véhiculer cette caricature du soumis, sournois, perfide et sanguinaire alors que notre Prophète (saws) était la miséricorde universelle.
Les récits coraniques sur les Prophètes montrent pourtant que leur islamité n’est pas une soumission aveugle, mais un amour et une confiance qui ne peuvent s’exprimer que par des êtres illuminés de connaissance sur Allah et sur les fins ultimes de l’existence. Leurs sacrifices, leur dévouement, leur argumentation font comprendre qu’ils ne vivent pas l’Islam comme une soumission et qu’ils ne l’imposent pas aux autres par la force de l’épée, par la contrainte morale ou autre, par la démagogie, par les arrangements d’appareils ou les calculs mondains.
Lorsque l’Islam signifiait éducation et responsabilité, confiance et déploiement tout azimut, libération et civilisation, Rabiâ Ibn Amer, anonyme bédouin, entrait dans l’histoire par le renversement des valeurs et des rapports de forces qu’expriment quelques mots que nous ne savons plus dire :
«Allah Azza wa jal nous a envoyés pour vous libérer de l’adoration de la créature et vous conduire à l’adoration du Créateur de la création, de l’étroitesse de ce monde à l’immensité de l’au-delà, de l’oppression des religions à la justice de l’Islam. »
Mais, nous déclamons des citations davantage par posture apologétique et discours narratif que par la description d’un projet éducatif, social, politique. L’absence de cap et d’ingénierie nous fait passer de l’apologie arrogante à la polémique, du désir de vivre l’Islam dans son intégralité à la quête sanglante de pouvoir.
وَمَنْ أَحْسَنُ قَوْلًا مِّمَّن دَعَا إِلَى اللَّهِ وَعَمِلَ صَالِحًا وَقَالَ إِنَّنِي مِنَ الْمُسْلِمِينَ
{Qui donc prononce meilleur dire que celui qui convie à Allah, fait œuvre méritoire et dit : « Certes, je suis du nombre des musulmans ».} Foussilat 33
Allah ne nous demande pas de déclamer, mais de dire la vérité tout en sachant que cette vérité est relative à l’échelle humaine, individuelle ou sociale. Déclamer des sentences de morale, lancer des anathèmes, s’exprimer avec emphase ou se comporter avec véhémence contre ceux qui ne partagent ni notre foi ni nos idées n’est pas « islamique ». La règle coranique est :
{Allah ne vous interdit pas – envers ceux qui ne vous ont pas combattus pour votre religion, et ne vous ont pas chassés de vos demeures, – d’être bienfaisants et équitables envers eux. Certes, Allah aime ceux qui sont équitables. Mais Allah vous interdit de prendre comme tuteurs ceux qui vous ont combattus pour votre religion, qui vous ont chassé de vos demeures, et qui ont aidé à vous expulser. Quiconque les prend comme protecteurs, ceux-là alors sont les injustes.} Al Mumtahana 8
L’intériorisation du dire coranique cultive et conjugue le sens de la justice et de l’équité avec celui du réalisme et de l’efficacité. Il met en symbiose l’éthique et l’esthétique tant dans le comportement que dans l’analyse et le raisonnement.
Mais les facteurs endogènes (résidus historiques et culturelles, luttes politiques et idéologiques) et les facteurs exogènes (orientalisme et colonialisme) se sont conjugués et ont vidé de son sens et de son contenu cette règle coranique :
« Certes, je suis du nombre des musulmans »
Les mêmes facteurs continuent de cultiver le sectarisme partisan et confessionnel qui divise les musulmans et les détournent de leur vocation que le Coran a définie :
{O vous qui êtes devenus croyants, inclinez-vous, prosternez-vous, adorez votre Dieu et faites le bien, afin que vous cultiviez. Et efforcez-vous pour Allah par l’effort qui Lui est dû. Il vous a élus et ne vous a imposé nulle gêne en religion, la confession de votre père Abraham. C’est Lui (Allah) qui vous a nommés musulmans, par le passé et dans ceci (le Coran), afin que le Messager soit témoin auprès de vous et que vous soyez témoins auprès des hommes. Accomplissez donc la Salât, acquittez-vous de la Zakat, attachez-vous à Allah, Il Est votre Protecteur. Quel excellent Protecteur et quel excellent Secoureur. } Al Hajj 78
Ce texte définit donc le contenu du « musulman » : la foi, l’acte de bien, l’effort pour Allah, le culte.
Il définit le sens véritable du « musulman » qui préside à la foi, à la parole, à l’acte et au comportement : « attachez-vous à Allah, Il est votre Protecteur. Quel excellent Protecteur et quel excellent Secoureur. » C’est la remise totale et confiante en Allah.
Il définit le modèle à suivre : « afin que le Messager soit témoin auprès de vous »
Ce texte énonce sans équivoque la vocation des musulmans : l’unité de leurs rangs du fait de la continuité religieuse, spirituelle et historique du Message divin en provenance du seul, unique et même Dieu : « … la confession de votre père Abraham. C’est Lui (Allah) qui vous a nommés musulmans, par le passé et dans ceci (le Coran) ».
Il confirme la mission stratégique du musulman : « … que vous soyez témoins auprès des hommes »
Il met en exergue l’honorificat du musulman : « Il vous a élus ». Cette élection vient rehausser l’honorificat originel de l’Homme lorsque celui-ci exerce les facultés qui font son humanité et se met en harmonie avec l’universel de la création.
Les attendus coraniques sur le musulman ne dépendent donc ni des sunnites ni des chiites, ni des salafistes ni des Frères musulmans. Ces derniers peuvent diverger sur l’analyse politique, économique ou historique d’un phénomène dans le monde musulman passé ou présent, mais ils ne peuvent et ne doivent diverger sur l’essentiel. Que cette divergence soit une malédiction ou une bénédiction, une réalité à accepter ou une distorsion de la réalité à redresser, elle ne peut être mise au service de la destruction du monde musulman, du détournement des préoccupations du musulman. Elle ne peut donner lieu à des surenchères idéologiques et religieuses pour accroitre le fossé ou justifier l’effusion de sang et l’effritement des rangs. Aucun prétexte pour justifier les conflits sectaires et partisans n’est recevable lorsque le Coran n’envisage pas la nation musulmane comme multiple et divergente. Elle est unie. Briser cette unité ou entretenir sa fragmentation au nom de l’esprit partisan, de l’école doctrinaire, de la secte ou de la confession est une atteinte au Coran :
{Nous avons fait de vous une Communauté du centre afin que vous portiez témoignage sur les hommes, et que le Messager soit témoin sur vous.} Al Baqarah 143
{Certes, celle-ci est votre Communauté, une Communauté unie, et Moi Je suis votre Dieu, adorez-Moi.} Al Anbiya 92
L’unité ne signifie pas l’absence de diversités et de différences. La loi de l’unité montre qu’en toute chose il y a des nuances, des différences, des variétés, des mouvements et des variations. La même loi montre que pour garder la cohérence et le sens les variations et les différences ne se font pas dans le chaos, mais respectent une même ligne d’orientation, une même tendance.
Souvent les contradictions et les oppositions font partie de l’ordre logique, car elles génèrent le mouvement, le changement et l’harmonie, la quête de la vérité, et la prise de position lors de la mise à l’épreuve.
Tous les phénomènes sont multiples et en interaction, chacun exerce une tension sur l’autre le poussant à s’adapter ou à changer, mais aussi à subir son influence. C’est ainsi et pas autrement. Seul Allah est Un, Unique et Immuable. Le monde musulman ne fait pas exception à la règle universelle. Le totalitarisme qui impose un seul centre, immuable sans contestation et sans changement est de l’utopie qui s’effondre vite. C’est une fausse piste, un faux débat et une fausse croyance que de vouloir stéréotyper la mentalité humaine et figer la configuration sociale et culturelle à un lieu ou à un moment comme si ce lieu et ce moment étaient monolithiques sans influence du voisinage des lieux, des moments et des mentalités.
Nous ne pouvons être une unité qu’en qualité d’unité dialectique qui résout ses contradictions, surmonte ses épreuves et fait de sa multitude une harmonie et une convergence vers la même finalité et dans le même élan.
{Si ton Dieu Voulait, Il aurait fait les hommes une seule communauté. Et ils continueront donc à diverger. Sauf ceux que ton Dieu prend en Sa Miséricorde. Et c’est pour cela qu’Il les a créés.} Younès 118
Nous sommes créés pour vivre dans la diversité en y cherchant l’empathie et la concorde. Nous sommes créés par la Miséricorde et pour la miséricorde pour dépasser nos divergences et trouver des dénominateurs communs qui rendent agréables le vivre ensemble et la coopération. Le mythe égalitariste va aboutir à l’impasse, car il ne peut gommer les différences qui font la diversité des identités, des désirs, des projets et la complétude entre les compétences. L’utopie de la « faction sauvée » qui veut, comme une secte, imposer sa vérité parcellaire et imparfaite au reste de l’humanité ou au reste des musulmans est une dérive qui s’est avérée improductive et contre nature.
Le dénigrement et l’anathème ne font que générer l’entropie et la dispersion qui finissent par saper tous les liens et mettre fin à l’harmonie. L’intelligence et la foi exigent le réalisme et la justesse pour voir le mouvement des mentalités et des impératifs historiques, économiques et politiques et dans ce mouvement voir comment provoquer, accompagner et accélérer ce qui favorise l’unité et l’harmonie et mettre fin ou atténuer ce qui provoque la disharmonie et la divergence. Il ne s’agit pas d’un point de vue personnel, mais de ce que dit le Coran :
{Si Allah le Voulait, Il vous aurait fait une seule communauté, mais c’est pour vous éprouver en ce qu’Il vous a donné. Concourez donc en œuvres de bienfaisance. Vers Allah sera votre retour en totalité. Il vous Informera alors sur ce dont vous divergiez.} Al Maidah 48
S’il nous est demandé de gérer, au profit du bien, les divergences, avec les autres qui ne partagent ni notre foi ni nos valeurs comment alors nous comporter avec d’autres musulmans qui ont été façonnés différemment par l’histoire, la géographie et la mentalité collective ?
{Certes, celle-ci est votre Communauté, une Communauté unie, et Moi Je Suis votre Dieu, adorez-Moi. Mais ils divergèrent entre eux. Ils seront tous ramenés vers Nous. Quiconque fera des œuvres méritoires, en étant croyant, on ne méconnaîtra pas ses efforts, et Nous les lui enregistrerons.} Al Anbiya 92 – 93
Il est plus facile de se cacher derrière un dieu tyrannique qui impose que d’assumer sa liberté et les responsabilités qui en découlent. Il est plus facile de faire du culte la préoccupation majeure de notre existence tout en le confinant dans un apparat social que de faire de la foi un acte de libération et de civilisation. Avec cet esprit déviant, il est plus facile de faire dire au Coran une vérité tronquée :
{Je n’ai créé les djinns et les êtres humains que pour M’adorer.} Ad dhariyate 56
Enoncée de cette manière la vérité est démentie tant par la réalité de l’existence humaine qui s’accomplit majoritairement en dehors de la foi monothéiste que par le texte coranique qui dit :
{Si ton Dieu voulait, tous ceux qui sont sur la terre, dans leur totalité, seraient devenus croyants. Est-ce toi alors qui vas contraindre les hommes à être croyants ?} Younes 99
Tronquer la vérité coranique c’est, philosophiquement parlant, reconnaitre qu’il y a des créatures qui échappent à l’autorité d’Allah ; c’est aussi se donner le droit, sur le plan religieux, de déclarer la guerre à tout « insoumis » à Dieu. Ces fausses compréhensions amènent à de fausses représentations sur Dieu et à des comportements antinomiques avec l’Islam. Lorsque le musulman devient ignorant du sens de la parole divine, il se laisse alors conduire vers de fausses lectures qui instrumentalisent la religion à des fins partisanes ou géopolitiques.
Allah (swt) demande au Prophète (saws) de combattre les Kuffars الكفـار l’avant-garde belliqueuse qui non seulement refuse de reconnaitre l’Islam, mais prend les armes pour éradiquer les musulmans par la force. Les intégristes et leurs commanditaires font croire qu’il faut combattre les mécréants الكـافرين. Allah (swt) demande de se mobiliser massivement pour combattre sur tous les fronts les négateurs agresseurs, mais les imposteurs et les falsificateurs font croire qu’il s’agit de combattre tous les mécréants en tout lieu et tout moment. Le musulman est désigné comme mécréant ou comme apostat lorsqu’il ne partage pas les « valeurs » véhiculées davantage par les socio codes, les géo codes ou les fantasmes sectaires…
L’énoncé coranique montre l’insenséisme des païens : adorer les divinités qu’ils ont créées de leurs propres mains et qu’ils continuent d’entretenir en les restaurant et en leur faisant des offrandes alimentaires. Nous ne sommes pas dans un rapport à la contrainte de la foi, mais dans le rapport à l’absurde la raison humaine qui s’aliène et perd sa liberté en faisant siennes des traditions sans les soumettre au questionnement.
{Lui associent-ils ce qui ne crée rien alors qu’eux, ils sont créés, et qui ne peuvent les faire triompher, ni se faire triompher eux-mêmes ? Et si vous les incitez à la Direction infaillible, ils ne vous suivent point. Le résultat est le même pour vous, que vous les incitiez ou que vous restiez silencieux. Certes, ceux que vous invoquez, à l’exclusion d’Allah, sont des serviteurs créatures comme vous, invoquez-les donc et qu’ils exaucent vos prières si vous êtes véridiques ! Ont-ils des pieds pour marcher, ou ont-ils des mains pour assaillir, ou ont-ils des yeux avec lesquelles ils voient, ou ont-ils des oreilles avec lesquelles ils entendent ?} Al A’âraf 191
L’esprit scientifique et philosophique de l’Occident ne s’est pas coupé de Dieu, car il ne voulait plus croire, mais a refusé de se soumettre aux superstitions et aux fausses croyances qui avaient cultivé les fétiches, les totems et les idoles. Il avait accompli le premier trajet de la grande révolution intellectuelle et spirituelle. Il lui reste à accomplir le second trajet qui le conduit vers Allah. Le musulman est appelé à être le jalon, le guide, l’incitateur vers la Vérité :
وَمَنْ أَحْسَنُ قَوْلًا مِّمَّن دَعَا إِلَى اللَّهِ وَعَمِلَ صَالِحًا وَقَالَ إِنَّنِي مِنَ الْمُسْلِمِينَ
{Qui donc prononce meilleur dire que celui qui convie à Allah, fait œuvre méritoire et dit : « Certes, je suis du nombre des musulmans ».} Foussilat 33
Il faut lire le Coran et argumenter par le Coran sans amalgame ni troncature pour rester le plus conforme aux dires d’Allah (swt) :
{Je n’ai créé les djinns et les êtres humains que pour M’adorer. Je ne veux de leur part aucune subsistance, et Je n’attends pas d’eux qu’ils me nourrissent. Car c’est Allah qui est le Dispensateur, c’est Lui le Détenteur de la puissance, l’Immuable.} Ad dhariyate 56 – 57
Les savants de la matière sont parvenus à voir la manifestation de Dieu dans Sa Création et à perdre l’usage de la parole devant l’infiniment grand et l’infiniment petit qui témoignent « Allah Akbar ». Ces savants n’ont pas de référence crédible pour suivre la voie de l’Islam. Les savants d’origine musulmane sont desservis par l’inconsistance et les contradictions de leur communauté qui n’appellent plus à l’universel de l’Islam, mais à des particularismes idéologiques, culturels ou géographiques.
Nous ne pouvons témoigner avec justice, efficacité et beauté alors que nos dires sont divergents et qu’ils dénaturent le sens du dire divin :
وَمَنْ أَحْسَنُ قَوْلًا مِّمَّن دَعَا إِلَى اللَّهِ وَعَمِلَ صَالِحًا وَقَالَ إِنَّنِي مِنَ الْمُسْلِمِينَ
{Qui donc prononce meilleur dire que celui qui convie à Allah, fait œuvre méritoire et dit : « Certes, je suis du nombre des musulmans ».} Foussilat 33
Les mêmes facteurs historiques qui ont produit l’oppression et l’aliénation continuent d’œuvrer dans le monde musulman. Les musulmans, gouvernants et opposition, ne jouent pas le rôle de bouc émissaires, mais jouent le rôle d’agent de subversion contre la renaissance de la civilisation islamique qui est antinomique avec leur médiocrité et leur culture de la rente des ressources, de l’histoire, de la religion et de tout ce qui peut être instrumentalisé et négocié. Le malheur est en nous. L’étranger n’est qu’un facteur aggravant, amplificateur, accelérateur ou incitateur; Il faut oser analyser nos dires et nos actes en les comparant à la raison si nous ne pouvons les comparer au Coran.
Omar MAZRI