Les Algériens ont participé à la reconstruction de la France sous «les trente glorieuses» et continuent à pourvoir aux besoins de différents secteurs économiques. Quelle est la dimension de cette contribution ? Quelle a été l’évolution de cette force de travail sur le plan quantitatif et qualitatif, et quelles sont les perspectives d’avenir ? Dans le pays de leurs ancêtres, au-delà des interrogations sur les facteurs générateurs de leur installation définitive en France, il est important désormais d’appréhender l’impact économique de la diaspora algérienne en France, voire dans le monde.
La contribution des Algériens ou des Français d’origine algérienne au développement de l’Algérie réside principalement dans «un investissement de consommation» lorsqu’ils s’y rendent pour y passer des vacances.
Quels sont donc la nature et les déterminants véritables de cet «investissement de consommation» ? Quelle est leur importance pour l’économie algérienne ? Quel rôle pourrait assumer l’élite algérienne qui vit en France dans le développement du pays de ses ancêtres ? Quelles formes de coopération pourraient s’établir entre l’Algérie et la France afin d’optimiser cette contribution de la diaspora algérienne ? Par ailleurs, il est aussi important de rappeler l’impact des citoyens français d’origine algérienne sur l’économie française. La question de la diaspora algérienne, en tant que composante de la société française, est appréhendée parfois d’une manière réductionniste en focalisant l’analyse sur les problèmes d’ordre public, de mobilité et sociale ou d’intégration.
Les Français d’origine algérienne ne sont pas reconnus comme des agents potentiels du développement économique français. Il est reconnu, par ailleurs, par de nombreux et éminents experts, que l’apport de la diaspora algérienne à l’économie française est indéniable. Cet apport, au demeurant peu exploré d’une façon systématique, peut être apprécié à cinq niveaux :
1)- la démographie ;
2)- le marché de l’emploi ;
3)- l’investissement ;
4)- la consommation des biens et services ;
5)- l’épargne,…
1- Démographie et marché de l’emploi
Il s’agit ici de s’interroger sur l’apport de la diaspora algérienne face aux perspectives des déficits démographiques en France. On a entendu dire ces dernières décennies que «la France, et plus généralement l’Europe sont malades de leur démographie». Pour ce qui concerne la
France : 0,50% de croissance démographique enregistrée. Compte tenu de la forte baisse de la fécondité enregistrée ces dernières années, la diaspora algérienne est devenue une composante-clé de l’accroissement de la population française. Cette inertie démographique contraste avec la croissance enregistrée en Algérie qui a été bien plus importante.
Cette progression de la population sera soutenue en dépit de l’état d’avancement de la transition démographique et de la baisse graduelle des taux de fécondité. La diaspora algérienne demeure aussi un palliatif des déficiences du marché de l’emploi en France où existe une demande de travail spécifique, celle-ci répond, pour des raisons de coût et de flexibilité aux besoins de certains secteurs, notamment ceux caractérisés par des emplois précaires et/ou socialement indésirables (l’agriculture, le bâtiment, les services…).
Mais une nouvelle tendance semble se confirmer, celle de l’émergence d’une élite parmi les Français d’origine algérienne soutenue par un afflux de compétences qui s’exilent vers la France en provenance de l’Algérie.
La diaspora algérienne élitiste, composée d’actifs formés et hautement qualifiés, est un phénomène ancien mais qui connaît aujourd’hui un développement particulier. Le développement de ce phénomène s’explique par des facteurs inhérents à l’environnement professionnel, économique, social et politique. D’aucuns distinguent trois formes de migration intellectuelle venue d’Algérie :
a)- la migration de convenance réalisée par des diplômés issus de familles privilégiées, mais dont la migration sert souvent à un retour plus promoteur au pays ;
b)- la migration de nécessité, intéressant les diplômés issus de familles modestes, mais frappés par le chômage. Leur migration est considérée par certains comme une bouée de sauvetage eu égard à l’incapacité du marché national algérien à employer ces cadres ;
c)- la migration de recherche scientifique, migration qui peut être fondamentalement intellectuelle et qui est engendrée par l’existence d’un environnement défectueux qui se prête souvent mal à une recherche de niveau international.
Ce nouveau profil de la diaspora algérienne en France, dans ces trois formes, coïncide avec le redéploiement dans ce pays d’un mode de croissance fortement utilisateur de matière grise en provenance de l’Algérie.
L’arrivée des cadres du «baby boom» à la retraite et le manque relatif de spécialistes en France, en particulier dans le secteur des nouvelles technologies de l’information et de la communication, accule la France à lancer des campagnes de recrutement avec le concept de «l’immigration choisie».
Les données sur ces recrutements sont rares, mais certains indices révèlent l’importance prise par cet exode, telle l’existence en France d’associations créées par ces cadres : Fédération des ingénieurs algériens de France, Amicale des médecins d’origine algérienne de France, Association des anciens de l’Ecole nationale polytechnique d’Alger, l’Association des informaticiens algériens en France, l’Association des avocats algériens de France et l’association Savoir et Développement, qui regroupe des chercheurs algériens de différentes spécialités opérant dans différentes régions françaises.
Ce «transfert inverse de technologie», qui permet à la France d’accroître son potentiel scientifique, prend des dimensions inquiétantes pour l’Algérie, car il affecte non seulement les diplômés qui ont des difficultés à trouver un emploi, mais également ceux qui sont employables localement.
Ce drainage des compétences par attraction des citoyens les plus dynamiques accentue les déséquilibres entre les deux rives de la Méditerranée. Ce «brain-drain» interpelle aussi bien l’Algérie que la France, et ce, pour deux raisons :
– d’une part, cette élite représente l’une des ressources les plus rares en Algérie, d’autre part sa formation a demandé du temps, coûté cher et bénéficié d’importants subsides étatiques.
2- L’investissement
Mais la présence des Algériens en France, tout en contribuant à combler en partie les besoins en force de travail et en cadres scientifiques, a d’autres apports sur le plan économique.
De plus en plus, les Algériens devenus Français pour une écrasante majorité d’entre eux, investissent l’espace économique français en tant qu’entrepreneurs et indépendants (commerçants et artisans). L’image stéréotypée de l’immigré algérien «employé» se trouve ainsi inversée. L’Algérien devient créateur d’emplois ! Concernant l’entrepreunariat algérien, les données disponibles pour le principal pays d’accueil des Algériens vivant à l’étranger, la France, sont révélatrices de l’importance prise par ce phénomène. Selon une enquête sur l’emploi, la France comptait 1,125 millions de salariés étrangers et 121 000 non salariés (chefs d’entreprise travaillant seuls, employeurs et aides familiaux).
Parmi les étrangers ayant une activité entrepreneuriale, 46% sont Européens et 42% sont Algériens. Les clichés qui font des Algériens quand ils ne sont pas salariés des commerçants ont vécu. Le déterminisme «ethnique» ne fonctionne plus, du moins pour une grande partie des nouveaux entrepreneurs issus de la diaspora algérienne qui, refusant la reproduction des modèles sociaux vécus par leurs parents, n’hésitent plus à entreprendre dans des domaines inédits.
Disposant d’un niveau d’études relativement élevé, les nouvelles générations sont plus motivées et plus portées à prendre le risque de l’indépendance économique. L’acquisition de la nationalité française a joué pleinement dans la banalisation des secteurs économiques, ouvrant l’accès à quasiment tous les champs d’investissement. Ainsi, à côté des activités économiques de proximité, (restaurants, boulangeries, boucheries, épiceries, négoces), le Français d’origine algérienne investit les professions libérales (consultants, architectes, avocats, médecins, comptables…), devient dirigeant de PME/PMI (services aux entreprises, commerce de gros ou activités industrielles).
Certains sont même à la tête de grandes entreprises ou de start-up ! Enfin, une catégorie d’entrepreneurs algériens, certes difficile à quantifier, gèrent des entreprises dans deux, voire plusieurs pays. Ce sont des entrepreneurs des deux rives. La diversité des activités de ces entrepreneurs est telle qu’une typologie aussi complète soit-elle ne couvre pas l’ensemble des profils.
La création d’entreprises par des personnes issues de la diaspora algérienne est désormais inscrite dans une double tendance : une nette augmentation du nombre d’entrepreneurs, et une nette évolution qualitative de ces entreprises. Il convient de préciser à cet égard la contribution féminine dans ce processus. En effet, les femmes issues de la diaspora algérienne investissent de plus en plus l’espace économique français en tant qu’indépendantes et entrepreneurs. D’après une étude du FAS, ces femmes entreprennent pour «accéder à un statut social bien plus qu’à un statut proprement économique».
Les causes du développement des statuts d’«indépendants» et d’entrepreneurs sont multiples :
1)- La plus grande proportion de jeunes dans la population diasporique algérienne.
2)- Les perceptions et attitudes du Français d’origine algérienne lui-même, produit d’une sélection opérée par «le vivre en France» : quitter son pays est une démarche difficile, et parmi ceux qui ont franchi le pas on trouve une proportion d’individus particulièrement entreprenants et prêts à prendre des risques.
La diaspora algérienne en elle-même est un projet qui obéit à certaines normes de faisabilité :
a)- l’existence d’une demande de travail pour certains secteurs d’activité : dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, par exemple, l’évolution du marché interne au profit de la rénovation et de la réhabilitation de l’habitat d’une part, la multiplication des «sous-traitances en cascade» sur les grands chantiers, par ailleurs, ont fortement stimulé la demande d’activités artisanales.
b)- Des raisons «culturelles», que confirme la «spécialisation» dans le petit commerce de Français issus de certaines régions algériennes, notamment la Kabylie et le M’zab. Mettant les membres de la famille au travail parfois jusqu’à 18 heures par jour et 7 jours sur 7, ils prirent l’avantage sur la population locale qui ne peut travailler à ce rythme.
En fait, une des principales raisons expliquant la plus grande propension des Algériens à s’installer comme indépendant ou à créer leur propre entreprise se situe probablement du côté des discriminations qu’ils subissent dans l’accès à l’emploi salarié.
Les taux de chômage affectant les Français d’origine algérienne sont très élevés et sont largement supérieurs à ceux affectant les nationaux. En France, d’après les données de l’INSEE, ces taux ont été ces dernières années en moyenne de 9,2% pour les Français de naissance, de 14% pour les Français par acquisition. En général, ils s’élèvent jusqu’à 30% dans certaines banlieues françaises. Le travail indépendant est souvent la seule issue possible pour de nombreux Français d’origine algérienne pour sortir du chômage et des emplois précaires.
3- La consommation des biens et services
Autres apports de la diaspora algérienne dans la sphère économique : un premier apport se situe au niveau de l’impact de la diaspora algérienne sur le marché des biens et services. Les Français d’origine algérienne constituent avec leurs familles près de 4 millions de consommateurs en France.
Cette croissance de la demande finale des biens et services contribue à accroître la demande de travail par les entreprises, et donc à créer des emplois dont profite l’économie locale. Au-delà de cet aspect immédiat et direct, les membres de la diaspora véhiculent le modèle de consommation avec des produits «made in France», dont le label est hautement apprécié dans leur pays d’origine et ailleurs dans leurs déplacements à travers le monde. Ils sont ainsi le porte-étendard d’un pays avec toutes ses valeurs et son rayonnement social, culturel et économique.
4- L’épargne
Sur un autre plan, les Français d’origine algérienne réputés être économes constituent une épargne relativement importante qu’ils placent dans les institutions financières françaises, faute d’avoir des banques algériennes comme le système bancaire établi en France par le Maroc au profit de ses ressortissants. En effet, comme diverses enquêtes semblent le confirmer, ces derniers n’envoient, quels que soient les canaux utilisés, qu’une partie de leur épargne vers l’Algérie.
En France, les Algériens ont tendance à aligner leur comportement d’épargnants sur celui des «Français-Gaulois» (livret de caisse d’épargne, compte d’épargne logement, assurance-vie…).
Pour illustrer la nécessité d’un réseau bancaire algérien en France, à l’image de celui que le Maroc a mis en place en faveur de ses ressortissants, un indice révélateur de l’importance de cette épargne a été dévoilé par l’augmentation exceptionnelle ces dernières années, notamment en 2013, des transferts de fonds effectués par les Marocains vers le Maroc, via les banques marocaines établies en France (+ 60,6%, représentant plus de 7,5 milliards d’euros !).
Ces transferts comme source de devises sont classés, durant la période 2010- 2013, en troisième position après le tourisme et le secteur du textile, de l’artisanat et du cuir… Pour ce qui est de l’Algérie, «le commerce de la valise» reste un moyen prédominant de transfert et nuit à l’économie dans la mesure où il s’inscrit dans une économie opaque et parallèle qui échappe à tout contrôle fiscal.
Selon certaines estimations des autorités algériennes, ce commerce aurait représenté annuellement l’équivalent de plus de 2,5 milliards de dollars, soit un montant considérable puisqu’il représente entre 10 et 15% du volume global des importations ! Compte tenu de l’importance de cette manne et de l’épargne considérables des Français d’origine algérienne dans les banques françaises, les responsables algériens se devraient de réfléchir à deux défis :
1)- Comment stimuler les transferts financiers sous une forme monétaire contrôlée qui puisse être «captée» par un réseau de banques algériennes établies en France ?
2)- Comment, face à la réticence des investisseurs étrangers, transformer ces transferts monétaires potentiels «captés» par un réseau de banques algériennes dans l’Hexagone en investissements qui véhiculent la technologie et le savoir-faire acquis par les Français d’origine algérienne ? Ces deux défis placent la problématique de la diaspora algérienne au cœur du débat sur les relations algéro-françaises, notamment dans la perspective de la création de la zone de libre-échange euro-méditerranéenne. A titre de comparaison, le Maroc a vu l’investissement de ses ressortissants résidant en Europe s’envoler.
Pour illustration de ce phénomène : 44,8 des projets d’investissements, agréés ou réalisés dans ce pays, sont le fait de Marocains résidant à l’étranger, notamment en Europe et se répartissent comme suit : 27,4% pour le commerce, 12,1% pour le tourisme et 5,3% pour les autres services. L’investissement dans l’industrie est encore balbutiant. Les effets multiplicateurs de ces investissements sont nombreux et provoquent notamment une dynamisation des économies locales et régionales dans le royaume marocain par la prolifération des métiers liés au secteur et la constitution d’un tissu de petites entreprises (matériaux de construction, menuiserie, forge, etc.).
Ceci favorise la création d’emplois directs et indirects. Par ailleurs, les transferts de fonds via le réseau bancaire marocain établi en France représente 40% du montant total des dépôts à vue et à terme du système bancaire marocain et contribuent ainsi à augmenter la liquidité de l’économie marocaine et à doper ce même réseau bancaire.
Toutes ces précisions visent tout simplement à illustrer que la problématique de la diaspora algérienne doit être analysée sous le poids des nouvelles politiques forgées de part et d’autre de la Méditerranée pour une nouvelle approche dans ses incidences sur les économies algériennes et françaises. L’impératif d’une croissance forte et durable requiert une mobilisation de toutes les potentialités et ressources financières internes et externes à des fins productives.
La constitution d’une élite française d’origine algérienne investissant divers espaces économiques en France est un atout pour l’Algérie. Il est évident que l’attachement affectif et culturel de cette élite n’est pas suffisant. Il faut donc chercher à l’appuyer par des incitations d’ordre économique et à créer un environnement adéquat pour l’investissement. Cela suppose une révision par les diverses institutions algériennes et françaises de la perception du rôle actuel et potentiel de la diaspora algérienne.
Les Français d’origine algérienne doivent être considérés, à la fois en France et en Algérie, comme des acteurs et des partenaires appuyant les efforts de développement dans les deux pays. Il s’agit donc de définir les modalités d’action de cette coopération en concertation entre l’Algérie et la France, en valorisant le rôle économique, culturel et artistique de la diaspora algérienne en France.
A la lumière des perspectives qu’offrent les économies française et algérienne, il semble que c’est la voie qui permet de faire respectivement de la diaspora algérienne un acteur du développement et de la croissance dans les deux pays, d’autant plus qu’elle participe d’une manière significative à l’équilibre du budget français en payant ses impôts.