Il était aux premières loges. Il s’est vite fait une place dans la très serrée garde rapprochée du Président. A l’occasion du remaniement du 5 mai 2014, il est intronisé ministre du stratégique secteur de l’Industrie, auquel on rattache celui encore sensible des Mines.
Homme-clé dans le dispositif présidentiel qui s’est affirmé au lendemain de la reconduction de Abdelaziz Bouteflika pour un quatrième mandat, Abdessalem Bouchouareb a connu une ascension fulgurante. Lors de la campagne présidentielle d’avril 2014 où il occupait le poste de directeur de la communication, il était aux premières loges. Il s’est vite fait une place dans la très serrée garde rapprochée du Président. A l’occasion du remaniement du 5 mai 2014, il est intronisé ministre du stratégique secteur de l’Industrie, auquel on rattache celui encore sensible des Mines.
Jouissant d’une proximité avancée avec le cercle présidentiel, l’homme qui est chargé de «réindustrialiser» le pays prend de l’ampleur et bouscule le Premier ministre Abdelmalek Sellal dans ses territoires, lui reconnaissant peu d’autorité. «Il se comportait en Premier ministre bis», confie un ancien ministre. Bras droit d’Ahmed Ouyahia au sein du Rassemblement national démocratique (RND), homme de confiance de la présidence de la République, M. Bouchouareb fait partie des intouchables.
Un puissant ministre. Un pacha de l’Exécutif. Il se rêvait Premier ministre. Voire plus. A la tête du ministère, il s’est employé à réorganiser la machine industrielle du pays en mettant au cœur de sa stratégie le montage de véhicules. Un ambitieux projet qui s’est mué en une grande arnaque, qui commence d’abord par l’élimination des acteurs du secteur de l’automobile qui ne lui sont pas acquis pour créer une sorte de trust à l’algérienne.
En un laps de temps record, le marché de l’automobile passe entre les mains d’une poignée d’«opérateurs». Une manœuvre menée tambour battant sous couvert de passage de l’importation directe à l’installation d’usines de montage pour passer, à terme, à «la production». Cette opération de «recentrage économique» est escortée par une campagne de «disqualification» de certains investisseurs économiques.
Alors que le pays entre de plain-pied dans une crise économique, le ministre de l’Industrie déclare la guerre au premier investisseur privé, Cevital d’Issad Rebrab. Fait inédit. Et c’est lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue tunisien en septembre 2014 qu’il sonne la charge contre Cevital, l’accusant d’avoir importé du vieux matériel pour son usine de Brandt. D’autres industriels qui n’étaient pas dans les bonnes grâces sont voués aux gémonies. La stratégie consiste à affaiblir les groupes industriels privés nationaux au profit d’une nouvelle classe d’hommes d’affaire dont l’activité est fondée essentiellement sur l’importation.
C’est la guerre de «la bourgeoisie compradore contre la bourgeoisie nationale. L’argent violent contre l’argent légal et semi-légal», résume un expert de la finance. Au cœur de la «nouvelle stratégie économique», l’ancien président du Conseil national économique et social (1994) pilote les projets, fait et défait les lois régissant le secteur de l’industrie. Dans un contexte de luttes acharnées entre groupes politiques et financiers aux intérêts contradictoires à l’intérieur même du système, il est surtout celui qui favorise «les amis», aide à la promotion d’hommes d’affaires.
La chute d’un Pacha du gouvernement
L’implication directe du ministre qui pèse de tout son poids en faveur des uns contre les autres n’a pas manqué de susciter des interrogations, des doutes et des soupçons sur ce qu’on appelle le «système Bouchouareb». Des enquêtes internes auraient été menées aux «conclusions accablantes sur la part d’ombre de l’homme».
Abdessalem Bouchouareb, qui brille de mille feux, a fini par se prendre de plein fouet une première décharge venue de la lointaine Panama. Son nom est cité dans l’enquête sur les Panama Papers et il serait propriétaire d’une société offshore Royal Arrival Corps en 2015. Pour illustrer l’information, le très influent journal Le Monde publie à sa Une la photo du chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika. Colère noire à la Présidence.
L’homme de confiance devient alors le ministre par qui le scandale arrive. Il devient encombrant, suscitant de la méfiance. Le président de la République ne le vire pas pour autant. «Il aurait aimé le voir partir de lui-même». Dans certains cercles proches de la Présidence, on n’hésite pas à parler de «confiance trahie». Son passé sulfureux refait surface. L’affaire Khalifa dans laquelle il est impliqué le poursuit comme son ombre, même si le dossier sommeille à la Cour suprême, lui évitant l’explication devant les juges.
Il est protégé par son immunité parlementaire et son statut de ministre, mais surtout politique. Cependant, la nouvelle conjoncture politique pousse à de nouvelles alliances et Bouchouareb passe du statut de «privilégié» de la République promis à un destin national à celui de paria. Par souci de tourner la page terne de Sellal, Bouteflika nomme un nouveau gouvernement confié à un autre homme de confiance, Abdelmadjid Tebboune.
Un homme dont l’hostilité à l’égard de l’ex-ministre de l’Industrie et des Mines ne fait pas mystère. Non seulement Bouchouareb n’est pas retenu dans la nouvelle équipe gouvernementale, mais il s’est fait cramer publiquement par Tebboune lui-même à l’occasion en parlant d’une astronomique cagnotte de près six milliards de dollars partie dans la fumeuse politique industrielle. Une première salve. Il ouvre ainsi la boîte de Pandore. Son nouveau ministre de l’Industrie, Mahdjoub Bedda, embraye pour mieux enfoncer son prédécesseur.
A propos du secteur de l’automobile, il parle «d’importations déguisées, de nombreuses failles dans le cahier de charges, des défaillances dans les domaines des mines et des zones industrielles». Il établit un constat des plus négatifs. «Le secteur a bénéficié de beaucoup d’aide de l’Etat dans le but de diminuer la facture des importations, mais du constat qui a été établi, je n’ai rien trouvé», révèle-t-il encore. Un autre scandale à inscrire au palmarès de l’enfant de Aïn Kercha. L’accusation est d’une extrême gravité qui doit déboucher en toute logique sur l’ouverture d’enquêtes sérieuses.
Pas seulement dans l’Industrie. Le constat est valable aussi pour d’autres secteurs. Sans faire dans la chasse aux sorcières, le gouvernement Tebboune se contentera-t-il d’établir des constats accablants sans franchir le pas et exiger des comptes ? L’ex-ministre sera-t-il contraint de fournir des explications sur sa désastreuse politique industrielle qui a coûté cher au Trésor public ? Rendra-t-il des comptes ? Il y va de la crédibilité de l’action du nouveau gouvernement.