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jeudi 21 novembre, 2024

Le Général Rachid Benyellès sur les arcanes du pouvoir en Algérie [vidéo et commentaires explosifs]

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Il n’y a aucun lien entre nous deux : il est général, je suis sans rang, il est de Tlemcen, je suis de Constantine, il a un profil idéologique et j’en ai un autre. Je ne fais qu’apporter ma contribution :

« Faites preuve de discernement si vous ne voulez pas porter atteinte par ignorance à la réputation des gens et que vous soyez par la suite mis dans les regrets de vos actes ».  

Lorsqu’on lit les commentaires insultant sur Youtube à la suite du forum consacré au livre de l’ancien général Rachid Benyellès : « Dans les arcanes du pouvoir (1962-1999) ». Face aux critiques et aux questions légitimes d’une jeunesse privée de repères et mise en situation de haïr son pays et ses élites, le devoir d’un honnête homme est d’y répondre sans polémique, mais sans concessions.

Quelle est l’attente des gens ? Entendre dire d’un général que l’ANP est une pourriture, que les militaires sont tous pourris et que les généraux sont des crapules à passer à la guillotine, parce que certains d’entre eux ont failli ou ont trahi ? Ce n’est pas raisonnable comme attente et cela ne correspond ni à la personnalité de l’ex général Rachid Benyellès ni à ses hautes fonctions.

Il a pourtant dit des choses graves et sérieuses avec subtilité et courage. Nous allons passer en revue certaines vérités du Général et les expliciter du mieux qu’on puisse sans violer l’intimité de sa pensée ou préjuger de ses intentions.

D’abord il a dit ce que l’intelligence et la sensibilité de l’Algérie dictent : « penser à ce qu’il dit sans être obligé de dire tout ce qu’il pense ». Dommage que son éditrice ait préféré souligner le grade de général de Benyellès, mettre en exergue ses désaccords avec lui, et surtout communiquer sur sa maison d’édition. Elle a pourtant ouvert le bal avec quelque chose de remarquable sur le général Benyellès : « Traverser l’histoire en oblique ». Nous devons nous attarder sur ce préambule lourd de significations et de non-dits qui veulent beaucoup dire.

L’oblicité c’est être en position et en trajectoire ni perpendiculaire ni horizontale. Ça peut vouloir dire avoir la faculté de rebondir si l’opportunité se présente pour explorer d’autres directions et s’élever à d’autres hauteurs. Les journalistes n’ont pas saisi l’opportunité, tout empressés de régler leur contentieux avec Boumediene et l’armée algérienne.

L’oblicité, c’est aussi se définir comme ni opposant radical ni partisan sectaire à un système que les circonstances poussent à servir et qu’il est donc difficile de déjuger parce que l’on déjuge soi-même et parce que l’on était persuadé de servir une institution héritée de l’ALN et dans laquelle on trouvait le cadre de continuer à vivre son idéal de résistant et parachever l’indépendance. Il explicite cet aspect des choses en précisant qu’il est un francophone (sous-entendu parlant la langue française qu’il ne faut pas prendre pour un francophile comme aiment le faire les experts algériens en raccourcis et en anathèmes) : les jeunes lycéens qui ont pris le maquis à l’appel du FLN historique. L’intonation de sa voix, son regard, son sourire laissent penser qu’il est désabusé, déçu, mais qu’il avait accompli son devoir dans les limites de ses possibilités et de son pouvoir réel pratiquement limité. Il parvient à dire ce qui lui fait mal au cœur : l’incompétence et la gabegie ont été les principaux maitres de l’Algérie.

L’oblicité signifie aussi être ni trop près ni trop loin des événements pour les comprendre parfaitement et les modifier, ni trop subalterne pour exécuter avec insouciance ni grand décideur pour changer le cap. Il va le dire d’une manière presque timide comme à la fois un reproche à ceux qui ne veulent pas comprendre et à la fois comme une conscience heurtée par le drame de l’Algérie.  Il insiste sur la noblesse de cœur et le dévouement du président Boumediene qui a à son actif la révolution agraire, la révolution industrielle et la révolution culturelle (le débat sur la charte nationale et l’identité algérienne en 1977). Il dit sans ambiguïté : le patrimoine moral de la guerre de libération nationale, le foncier industriel et les ressources humaines de l’Algérie ont été anéanti depuis 1980. Il n’en reste plus rien. Personne ne lui pose la question sur les raisons, les causes et les instruments de ce massacre. La question ne se posait pas sur le choix de Chadli puisqu’il explique que l’armée intervenait (plus exactement on la sollicitait) pour porter le fardeau et trouver des solutions aux grandes crises algériennes et elles sont nombreuses puisque l’ANP est intervenue sept fois selon ses dires. Il indique les pistes : cherchez les civils qui ont impliqué l’armée dans ce qui n’était pas sa vocation. Cherchez le cabinet de Chadli et la promotion des hauts fonctionnaires. Cherchez la liquidation des cadres compétents, cherchez la mise à la retraite des Anciens moudjahidines, cherchez l’exclusion des cadres compétents ou leur confinement dans des tâches subalternes. Il avait dit que l’armée était homogène en tant que corps militaires sinon l’Algérie serait en véritable guerre civile avec des systèmes d’armes déployés à travers le vaste territoire déchirés par des seigneurs de guerre que tout oppose sur le plan idéologique, sociologique et économique.

Il va plus loin en disant que l’armée algérienne détentrice du pouvoir et décisionnaire est un mythe. Il n’est pas en train de dédouaner les défaillances et les impostures, mais de les révéler avec finesse et bravoure : où se trouve le véritable pouvoir ? Qui détient les clés de l’administration, de l’économie, du culturel, du commerce, de la diplomatie ? Qui gère la rente ? Qui gère l’énergie ? Qui gouverne ?

Non seulement le pouvoir de l’armée est un leurre, mais la sécurité militaire est incompétente en matière de sécurité publique et de défense nationale. Il dit avec des mots polis et mesurés que l’Algérie est un château de cartes sans consistance. Les forces de sécurité, confinées à la répression et à la police politique ont failli dans les grands dossiers du renseignement, de la sécurité des frontières, dans la lutte contre la subversion idéologique. L’économie est fragile, le peuple algérien est vulnérable dans sa nourriture, ses médicaments, ses biens et services. Il n’y a pas de doctrine de défense. Il le dit avec politesse et douleur. Bien entendu, les partisans de la rente et les agents de destruction de l’Algérie le chargent et le dénigrent. Lorsqu’il cite Kasdi Merbah, réputé pour son intelligence, son patriotisme et tant d’autres, il dit en même temps que nous étions prisonnier de notre époque, de notre creuset et de nos défaillances : l’Algérie avait donné le prix de sa jeunesse pour son indépendance et pour combler le vide elle a fait le plein, sans penser à la qualité. Le militaire et le civil souffre de ce vide et de la manière dont il a été comblé. Les cancres sont devenus une classe dirigeante, aidés ou propulsés par l’Etranger qui dispose du fichier le plus détaillé et le mieux actualisé sur l’Algérie.

En parlant de civils et de militaires, il a la pudeur ou le manque de temps, pour ne pas se disperser, de mettre le doigt sur certaines réalités. Par exemple la réalité de la mentalité algérienne. Ceux qui portent les armes et l’uniforme ont en mépris le civil qu’ils jugent peu patriote et chaotique, incapable de gérer convenablement. Le peuple algérien aime l’armée parce qu’elle lui suggère la discipline et l’ordre qui lui font défaut. En tant qu’ancien Moudjahid, il a parlé convenablement et aimablement des officiers issus de l’armée française qui ont servi l’armée avec professionnalisme et ont construit une administration efficace par rapport à l’administration civile. Les militaires issus intégralement de l’école algérienne ont conjugué le patriotisme des Moudjahidines et l’efficacité administrative des DAF. Il faut donc rendre hommage à sa probité et au refus du clivage basé sur l’origine des militaires. Cela n’exclue pas de comprendre ce qu’il dit ou écrit en filigrane : la masse au détriment de la qualité. Les DAF exemplaires et compétents étaient peu nombreux, une grande partie s’est révélée une bande de canailles et autre partie, celle qui a gravi tous les échelons et occupé des postes stratégiques. Dans le meilleur des cas, issu de l’école des sous-officiers de Koléa ou des champs de bataille de la France coloniale, ils n’avaient pas le niveau requis pour suivre de grandes écoles, se former à l’intelligence militaire ou administrer avec rigueur et science. Ces gens-là ont occupé des postes stratégiques et ont pris des positions qui n’honorent ni l’ALN ni l’ANP. Quel est le secret de leur ascension fulgurante ? Le Cabinet du Président décidait des nominations et de la mise à la retraite, faiseurs de rois et de courtisans. Cela continue. L’école algérienne a produit beaucoup de ratés et d’exclus qui sont parvenus à des postes décisifs dans l’armée et le civil.

En parlant de la promotion Lacoste et de Khaled Nezzar, le général ne fait pas dans la dentelle : il ne remet pas en cause leur attachement à la patrie et ne les accuse pas de trahison, mais met en exergue leur incompétence et leur faible niveau qui fait d’eux des incapables à mériter le qualificatif d’intelligence machiavélique. En effet les personnes limitées intellectuellement et sans bagages scolaires, civils ou militaires, profanes ou religieux, ne peuvent commettre que des bêtises de leur niveau même si leur arrogance n’a de limite que leur ignorance. Le général Rachid Benyellès nous dit, sans cryptage, que l’armée détentrice du pouvoir réel est un mythe, que la puissance démesurée de la SM est une usurpation, que la promotion Lacoste est d’un niveau limité qui ne lui permet pas d’agir avec compétence ou de prendre des décisions sensées. Qui recrute les cadres, qui valide leur choix, qui leur donne des prérogatives étendues, qui les révoque, qui contrôle leurs actes ? Comment se prennent les décisions stratégiques et dans quel cadre ? Partout c’est le règne de l’incompétence, de la gabegie et de l’opacité.

Est-ce qu’il s’agit d’obliquité c’est-à-dire de manque de droiture et de franchise ou d’oblicité c’est à dire d’un détournement de la trajectoire de son but et de sa finalité. En tous les cas, il y a quelque chose d’ambigu dans son discours à moins qu’il nous dise à notre insu et à son insu qu’il a tenté de s’opposer, mais qu’il a été vaincu par la doxa générale.

Je ne connais ni sa fortune, ni ses fréquentations, ni ses lectures. Je ne vais témoigner que de ce que je sais pour l’avoir personnellement vécu. J’ai eu l’occasion de participer à trois réunions de travail, destinées à l’examen de questions techniques et industrielles sur la construction navale et la réparation navale dont une avait trait à la réparation par des moyens algériens et des techniciens algériens de l’arbre de transmission d’une vedette de la marine de guerre.  Une fois j’étais en face de lui légèrement en oblique et une fois à côté de lui et je peux témoigner de mon ressenti à l’époque (1982 – 1983 et 1984) : c’est un homme qui écoute profondément et avec bienveillance ses interlocuteurs. Il comprend bien et vite. Il est très poli, très doux. Il s’était entouré pour la circonstances de cadres techniques sérieux et compétents. La relation avec ses cadres était une relation de confiance, de respect et de gravité. C’était une excellente impression qui ne m’a jamais quitté.

L’impression est peut-être subjective. Je vais donc solliciter un souvenir plus objectif pour étayer mon sentiment profond sur ce monsieur.  Nous sommes au début des années 80 et le début de la liquidation du Boumediennisme et tout particulièrement de la mise en faillite de la révolution agraire, du service national, de la révolution culturelle (l’arabisation) et de la révolution industrielle (le général Benyellès parle avec fierté de 100 grandes entreprises publiques édifiées en moins de 13 ans). Cette période 80 correspond au triomphe suprême de l’ambition américaine : faire du monde un marché et des Etats-nations des auxiliaires de ce marché privé de régulation et d’investissement social. En fait, cela dépasse les USA en tant qu’Etat, il s’agit du triomphe de l’oligarchie financière. Cette oligarchie a construit des destructeurs de l’industrie française comme Laurent Fabius et des faiseurs d’opinion comme Jacques Attali dont les réseaux d’influence s’étendent sur toute les anciennes colonies françaises y compris sur l’Algérie. L’Algérie s’est alignée sur ce magnétisme mercantile et antinationaliste mondial avec les conséquences que nous savons, dont la plus tragique est l’esclavage post moderne (la fuite des cerveaux et des bras). C’est dans cette ambiance que l’Algérie s’est désistée de la politique industrielle et a commencé à démanteler le service public et les entreprises nationales. Le drame, c’est que cette décision a été prise par les civils algériens et les militaires, les civils étant plus nombreux et mieux outillés pour changer le cours des choses. Du côté civil on avait l’ancien premier ministre Abdelhamid Brahimi (surnommé Hamid la Science ou Abou Maqla), son ancienne équipe du ministère de la planification, et le plus grave, les plus grands « capitaines » de l’industrie algérienne (SNS, SONELGAZ par exemple) tous surdiplômés. Les militaires étaient peu nombreux et la majorité ne connaissait rien à l’économie et à l’industrie. Cette commission nationale était présidée par le colonel Guenaïzia. Il n’y avait pas encore de généraux. La commission nationale de restructuration de l’industrie algérienne avait mis fin à l’expérience du développement industriel en Algérie. Expérience unique dans le tiers monde.

Lorsque le général Benyellès parle d’intelligence machiavélique, il évalue le drame algérien à sa juste valeur, même s’il n’arrive pas ou ne veut pas donner des noms ni décrire des mécanismes concrets. Le système est tellement opaque qu’il est impossible de révéler la toile. Elle est présente à tous les niveaux et dans tous les domaines en étant presque invisible comme une force dont on ne voit que les effets et les intensités sans jamais voir son vecteur et son point d’appui. A chaque fois que vous dites ça y est j’ai compris, le puzzle se recompose dans le désordre. C’est pire que la Maffia, c’est satanique.

Il faut une intelligence maléfique, bien informée et ayant un contentieux historique et idéologique avec l’Algérie (ALN et FLN) pour provoquer la mise en scène : quelques militaires qui président et rapportent ce que les experts civils algériens vont approuver et qui a été décidé ailleurs, dans les sphères du Cabinet occulte en Algérie en travail commandé pour les intérêts non seulement de la France, mais de la globalisation impérialiste. Il faut connaitre la mentalité des élites militaires et civils : les uns sont occupés à leur promotion (grades et postes), les autres aux missions à l’étranger et à la gestion des pénuries. On peut multiplier ad nauseum  ce constat à tous les niveaux de l’administration et dans les registres de l’activité nationale : on place des militaires, soit incompétents soit sans moyens et sans soutien, dans un nid de vipères civiles et on laisse faire le pourrissement et surtout on construit un mythe de l’omniprésence de l’armée, de l’omnipuissance de la SM tout en préparant la disqualification du FLN et de l’ANP (ALN). J’ai travaillé dans les secteurs de l’industrie, de la pêche, de la santé, de l’éducation, de l’économie et c’est le même constat sur les mêmes mécanismes de sabotage, sur le même procédé de désignation et de nomination.

Est-ce qu’il est logique de travailler pour un organisme comme le Ministère de la Défense Nationale dont les services de sécurité vous accordent une habilitation code C, après un an d’enquête, vous autorisant à manier des documents sensibles, puis de ne pas être validé pour un poste de cadre supérieur dans un ministère sous prétexte que les services de sécurité se sont opposés à votre décret alors que votre parcours ainsi que celui de votre famille est exemplaire sur le plan de la compétence et du patriotisme. Il est encore moins logique que lorsque vous parvenez à ficeler un dossier sur la corruption et le sabotage, les services de sécurité vous demandent de laisser tomber et de les rejoindre pour faire valoir vos compétences dans l’appareil en voie de restructuration. Il y a un problème de cohérence et d’efficacité sur le plan du travail, mais il y aussi beaucoup de Hogra, de cooptation et de corruption. La main étrangère n’est pas loin comme n’était pas loin la main « rouge » dans l’assassinat des militants de la cause nationale. La traitrise des algériens et l’appât du gain et de la facilité ne sont pas loin aussi. Ce sont ces réminiscences douloureuses qui remontent à la surface en écoutant le général Benyellès.

C’est une expérience pénible pour les jeunes doués et politisés qui voulaient travailler. A ce jour j’ai cherché en vain qui a eu l’idée de monter le scénario morbide de fragmentation et de privatisation des industries algériennes. J’ai la conviction que les Militaires avaient cautionné ce projet en le présidant, certains y voyaient sans doute une occasion pour leurs ambitions personnelles, mais je dois avouer que la luttes des classes et la conscience de classe bourgeoise n’étaient pas encore mures pour déboucher sur un projet politique autre que les petits calculs d’épiciers qui sont devenus des barons de l’import-export.

C’est dans cette même période que le projet de réalisation des industries militaires a été envoyé aux oubliettes, malgré le passage de l’ex patron des services secret, Kasdi Merbah, au poste de vice-ministre de la défense chargé de l’industrie militaire avec comme chef opérationnel le colonel Touati Abdeslam un ancien Moudjahid du corps de la Marine de guerre et ancien commandant de la base navale de Mers El Kebir.  Un brave homme, un homme lettré. Ni le général Benyellès nommé au poste de ministre des transports, ni Kasdi Merbah nommé à la Santé publique, ni Touati nommé à la compagnie nationale des transports maritimes n’ont pu mener une action de réforme. La vie civile algérienne est une jungle sans règlements, sans commandement, sans administration : ingérable. Le cabinet de Chadli pris en main par Larbi Belkheir nommait, révoquait, permutait au gré des humeurs et d’intentions que seul Dieu connait. 30 ans plus tard la situation est pire.

Puisque le général Rachid Benyellès définit l’oblicité comme le cadre idéique d’un homme qui veut se présenter comme traversant l’Algérie en biais, mais connaissant tous ses arcanes y compris celui de l’utopie des Industries Militaires. Il nous permet donc de faire rebondir quelques une de ses idées en leur donnant plus d’amplitude et une orientation plus précise. Nous allons donc revenir sur l’échec des industries militaires qui lui tenait à cœur et nous poser les questions qui doivent faire mal à sa mémoire. Est-il possible et sage de confier à l’armée la réalisation de l’industrie militaire alors que ce n’est pas sa vocation. L’industrie nationale (civile) aurait dû avec ses infrastructures s’ouvrir sur les fabrications militaires, l’armée avec ses bureaux d’étude, son état-major logistique et ses centres de recherche se seraient occupés des cahiers de charges, de sécurité, de documentation technique, de licences, de brevet, de réception, d’essai. L’industrie nationale était planifiée pour une mise en faillite et un démantèlement, elle ne pouvait donc être le réceptacle et le promoteur de la haute technologie militaire. L’ANP a pourtant fait l’effort colossal de former des milliers de techniciens et d’ingénieurs pour cette industrie avec l’idée que même si l’industrie militaire ne verrait pas le jour, les cadres formés seront utiles à l’Algérie et à la technicité de l’armée. Sur le plan de la vision stratégique comment envisager une industrie militaire alors que le niveau conceptuel des chefs et des sous-chefs ne permettait ni d’élaborer une doctrine militaire ni de concevoir le schéma de l’économie de défense ni encore celui de la sécurité nationale (culturelle, idéologique, économique, sociale, scientifique) ? Comment édifier une industrie militaire déboitée de l’université algérienne qui continue de délivrer des enseignements scholastiques et caducs, qui ne s’investit pas dans la recherche scientifique et technologique et qui n’a aucune passerelle praticienne avec le monde du travail et les préoccupations réelles de l’économie, de la défense ? Comment concevoir une industrie militaire alors que l’Etat de droit est absent et qui est nécessaire à la promotion des compétences, à la défense de la souveraineté nationale ? Comment concevoir les capacités de production et dimensionner les chaines de production sans partenariat avec les pays voisins car l’industrie militaire exigent de grands budgets et ne peut se contenter de faire de la production de petites séries ? L’industrie militaire, n’est pas une finalité en soi, mais est un outil au service de la souveraineté nationale et en tant qu’outil de défense, il devrait participer à la défense de l’Algérie contre quel ennemi et sur quel terrain de combat ? Peut-on édifier une industrie alors qu’elle est concurrencée par la culture de la rente et des importations qui l’alimentent.

Lorsque le monde civil et militaire fonctionnent selon la règle de l’interlocuteur valide, agrée par les intérêts mesquins du moment et cautionné par les intérêts stratégiques de l’Etranger, il ne peut y avoir ni décideur véritable ni Etat authentique. Partout, c’est de la fausse monnaie, des impostures, des usurpations et des éphémères. L’intégrisme à l’image du délabrement de tous les secteurs de l’Algérie est le produit des Algériens. L’éradication janvieriste laïciste est aussi un produit de l’Algérie. Cette Algérie qui produit des monstruosités n’est ni indépendante ni sensée.

Le général Benyellès connait ses contradictions et il a sans doute lu Malek Bennabi : l’homme le plus compétent et le plus intègre ne peut rien faire lorsque le milieu dans lequel il évolue manque d’efficacité, de synergie et d’orientation. Comme une aiguille aimantée dans un champ magnétique soit s’aligner sur le champ le plus fort soit se détraquer ou être exclu par la force de répulsion.

Ces souvenirs méritent d’être soulignés en faveur du général Benyellès qui avait manifesté son intention de relancer le chantier naval de Mers El Kebir qui avait couté 100 milliards (1DA = 1.3 FF) d’investissement infructueux à l’Algérie. Il voulait confier la réparation des vedettes des gardes côtes aux Algériens. Il voulait lancer la fabrication de petites unités navales et de cochons de mer lance torpilles.

Le destin est incroyable ! C’est au cours de ces réunions de travail que j’ai fait la connaissance du général Ali Ghediri actuel candidat aux élections présidentielles. Il m’a laissé une excellente impression : il connaissait son dossier ; il était sobre, discipliné, bosseur et intelligent ; il soutenait le développement national et l’acquisition technologique ainsi que la confiance à accorder aux ingénieurs et techniciens de l’armée et du civil. Je me rappelle avoir rédigé avec lui les comptes rendus des réunions de travail : on a fait du beau travail, on n’a négligé aucun détail et on n’a fait aucune faute de style ou de syntaxe. A l’époque, il était capitaine sous-directeur technique de la marine de guerre. Sa candidature est à prendre au sérieux et il peut gouverner l’Algérie : c’est un jeune, bon technicien, bon administrateur, patriote.

Dans ces réunions nous venons d’horizons divers et de régions multiples : frontière marocaine, frontière tunisienne, kabyles, chaouis… L’esprit du Makhzen que nous lègue Bouteflika et les clans qui se disputent la rente étaient en larves, mais l’amour de l’Algérie et le salaire mensuel nous suffisaient pour travailler. L’armée est une discipline, une hiérarchie et une administration qui structurellement sait gérer les différences et les clivages. Les clivages étaient perceptibles entre les issus de l’armée française complexés par le passé glorieux des Moudjahidines de première heure, les issus de l’ALN frustrés de voir les DAF avancer plus vite en grade et en poste de responsabilité, les purs produits de l’indépendance étaient dispersés entre ceux-ci et ceux-là. Les plus politisés et les plus visionnaires avaient du mal à s’intégrer, car ils avaient d’autres attentes et d’autres ambitions ainsi que beaucoup de déception. Le grade, la gamelle et la solde de l’armée les intéressaient moins que prendre les initiatives pour gagner en opérationnalité et en organisation. Ils sont devenus tout de suite encombrant et problématiques dans leur gestion de carrière. Les Moudjahidines méritaient un autre traitement, une autre prise en charge singulière en termes de formation. La culture de la rente et des avantages sociaux en milieu des années 80 a littéralement changé la perception des militaires sur l’armée, par la gestion de la pénurie et du favoritisme ont créé le fameux « sauve qui peut » de Malek Bennabi. Dans la vie civile, le sauve qui peut a pris des dimensions de catastrophe nationale. Chacun pour soi et l’Algérie pour les passe-droits. Certains d’entre nous ont pu traverser sans encombre l’existence, d’autres ont failli, mais beaucoup ont été mis à l’écart, car ils étaient peu enclins au compromis ou à la corruption.

Benyellès a raison lorsqu’il dit que Boumediene a créé un équilibre, mais l’équilibre était fragile car les divergences idéologiques étaient profondes et le cap différent. L’incompétence conjuguée à la subversion étrangère sapent une nation. Il est temps d’y mettre fin. A titre d’exemple de l’opposition des caps et des visions : vous avez une vision qui voulait que l’ANP soit organisé en divisions hyper mécanisées et donc lourdement équipées et demandant des budgets colossaux avec en parallèle une logistique qui fait de l’importation et du magasinage. En face vous avez, à l’instar du général Liamine Zéroual, une vision radicalement différente : une armée professionnelle légère hautement équipée et très mobile eu égard aux 60% de steppe du territoire. La logistique se devait d’être un véritable état-major des arrières. Dans la Russie de Poutine, c’est cette vision qui est en application et qui permet à l’armée russe d’entrer dans la guerre de cinquième génération et de devancer le Pentagone. Chez nous les partisans de la démesure et du gaspillage l’emportent sur les compétents. Ceci est valable tant pour les militaires que pour les civils. L’Algérie est le pays des équilibres précaires, des faux compromis, des fautes d’appréciation et de l’insouciance morale et intellectuelle.

Les propos de Benyellès confirment donc l’existence de la cinquième colonne et démontrent surtout que le pouvoir réel n’est pas aux mains des Algériens. L’armée est un décideur de circonstances. La question est qui crée ces circonstances. Il a raison lorsqu’il parle de l’action étrangère devant laquelle l’Algérie était démunie par incompétence et par négligence. En parlant des assassinats politiques, il invite l’historien à faire son travail, il invite le journaliste à investiguer, le juge à enquêter. Il a donné son opinion et a livré son expérience, n’attendez-pas de lui ce qui n’est pas sa vocation : juger ses pairs ou lancer des anathèmes. Il a beaucoup dit et il confirme notre intime conviction de la présence de la cinquième colonne hyper active en Algérie et il confirme surtout notre idée que le pouvoir réel n’est pas aux mains des Algériens. Pour s’en rendre à l’évidence, il faut voir le phénomène du turn-over dans l’armée algérienne et surtout la facilité avec laquelle on évince des généraux et des officiers supérieurs et on les met au silence. Une armée qui détient le pouvoir réel ne se laisse pas défaire de ses chefs.

Le général est tenu de pas ses fonctions et son grade à une certaine réserve, mais l’observateur qui a vu de près peut dire tout haut certaines vérités sur le pouvoir réel. Lorsque l’Algérie décide de créer le grade de général, beaucoup d’officiers issus de l’ALN ou de l’indépendance ont refusé ce grade, car il opérait une rupture symbolique avec les grades historiques de l’ALN. Les carriéristes et les DAF y ont vu une opportunité de promotion et de pouvoir et surtout un écart entre les militaires d’en bas et les militaires d’en haut. Lorsque l’Algérie décide de supprimer l’avis 77 sur le monopole de l’Etat sur la devise et propose la loi sur l’économie mixte, l’ANP a émis des réserves et a exprimé clairement sa désapprobation. Les Américains sont venus, après la promulgation de la loi sur l’économie mixte, proposer aux militaires un schéma qui met fin à l’industrialisation, qui met fin à la coopération russe en matière d’équipement et un projet financé par les Américains et piloté par leurs bureaux d’études pour transformer l’Algérie en un vaste réseau routier avec motels, ateliers de réparation et station services. Ils se sont adressés à l’ANP car ils pensaient qu’elle détenait le véritable pouvoir (politique et économique), mais l’Armée algérienne non seulement n’a pas donné suite, mais a envoyé un rapport à la présidence exprimant ses réserves sur le contenu, la faisabilité et l’incohérence de ce projet avec nos traditions industrielles et surtout avec les fameux slogans de transfert de technologie et d’intégration nationale. Si les militaires avaient dit oui et s’ils étaient décideurs politiques, l’Algérie serait en train de monter avec l’Egypte les chars américains Abrams et les hélicoptères de lutte antiterroriste équipés de vision nocturnes. Rachid Benyellès était je crois déjà général et secrétaire général du MDN lorsque l’armée se démarque de la nouvelle vision civile du développement économique et du partenariat stratégique. D’ailleurs, il dit que le Ministre de la défense, avec son cabinet de décideurs, a toujours était le Président de la République. Celui qui fait et défait ce cabinet, qui fait les présidents, les assassine ou les fait démissionner détient le véritable pouvoir. Les Algériens peuvent faire les basses besognes, mais ils n’ont pas l’intelligence machiavélique pour concevoir, planifier et superviser.

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