Nous allons nous référer à quelques éléments de langage du Général à la retraite Hocine Benhadid, ancien pivot dans la lutte antiterroriste et du commandement des forces spéciales, pour tirer quelques observations sur la suite du « renoncement » de Bouteflika au 5ème mandat.
Voici en substance le point de vue de Hocine Benhadid qui dénonce le régime et ses fabulateurs dans une interview au quotidien algérien Al Watan du 08-03-2019. Il faut le lire avec lucidité et le décrypter, il ne s’agit pas d’un jugement moral en sa faveur ou contre lui, mais d’une évaluation de son contenu et de ses conséquences à court ou moyen terme. Nous avouons ne pas connaitre les intentions réelles des éléments de langage de l’ancien général et de la signification de son message : communication politique, engagement idéologique, annonce publicitaire, revanche ?
Sur le peuple algérien
Je salue leur courage pour dénoncer l’injustice qu’ils subissent tous les jours et pour leur position historique sur la situation de l’Algérie.
Il a donné son verdict contre les dépassements de nos gouvernants. Il refuse un mandat de plus pour le président de la République. Il veut s’en débarrasser gentiment et pacifiquement.
Je salue, encore une fois, le sursaut du peuple algérien. Je souhaite qu’il continue la révolution contre ce pouvoir pourri et corrompu. Il va certainement réussir.
Sur le candidat Ali Ghediri
J’ai assisté à sa conférence de presse au Forum du quotidien Liberté et je peux vous dire que je ne partage ni ses convictions ni son programme. Je ne soutiens personne.
Sur le clan du pouvoir
Les prédateurs et les Apaches… Oligarques … tous les gouvernements successifs du temps de Bouteflika … les esclaves des Bouteflika.
Les partis politiques créés par le pouvoir dont celui du dissident du MSP, Amar Ghoul, de Amara Benyounes, et d’autres dont El Karama de Benhamou et bien évidemment le FLN et le RND. Ils sont devenus des porte-parole du gouvernement…
Sur l’armée
… le chef d’état-major n’est pas libre. On lui impose les chefs militaires pour les besoins et les intérêts de la présidence, comme par exemple certains chefs de Régions militaires, le poste du chef de la Garde républicaine et certains postes des renseignements. Ils sont tous imposés par lui.
Gaïd Salah reçoit même des ordres des Émirats. Trouvez-vous cela normal ? Imaginez-vous un chef d’état-major de l’armée qui parle de paix et de stabilité alors qu’il reçoit des ordres de l’étranger ? Il n’est qu’un pion.
Sur les dangers qui guettent l’Algérie
Contrairement à Gaïd Salah, je considère que l’Algérie est en sécurité, ce que lui ne dit pas. Il parle du danger extérieur. Qu’il dise lequel ? C’est lui qui a créé ce danger. C’est son invention. S’il y a un danger de l’extérieur, notre armée est capable d’y faire face.
Maintenant, si on croit Gaïd Salah et sa thèse de danger extérieur, ce qui veut dire une sorte d’invasion d’un pays étranger comme la France, les États-Unis ou autres, nous avons tout le potentiel nécessaire pour faire face à cette situation.
Nous avons une grande expérience dans la lutte contre le terrorisme en Algérie. L’armée algérienne a su s’adapter à cette situation. Elle le fera devant les grandes puissances. Gaïd Salah doit arrêter d’essayer de faire peur au peuple algérien.
Sur la situation actuelle du pays
Nous savons tous que l’actuel président de l’APN a été placé par effraction et par la force du cadenas et que c’est Saïd Bouteflika qui a placé les différents gouvernements, le Conseil constitutionnel ainsi que le chef d’état-major.
Tous les membres des gouvernements successifs doivent rendre des comptes. Ils doivent déposer leurs bilans et rendre publics leurs biens immobiliers depuis la prise de leurs fonctions. Ils doivent être interdits de sortie du territoire jusqu’à ce qu’ils prennent le quitus de la Cour des comptes.
Ils sont donc tous illégitimes. Il faut les destituer.
Sur l’État algérien
Il n’y a pas d’État. Nous sommes dans l’illégalité la plus totale.
Nos observations
Tout ceci est beau et bien dit, mais il ne reflète pas la réalité objective qui est celle de la lutte entre clans du pouvoir, de l’esprit de revanche, de la volonté des seconds couteaux qui veulent peser sur la destinée de l’Algérie qu’ils n’ont pas su promouvoir lorsqu’ils exerçaient de grandes responsabilités militaires ou civiles. Cela confirme la déliquescence du pouvoir et son effondrement par le suicide, la sénilité et le retour de manivelle… Cela confirme l’impossibilité pour le régime d’imposer un consensus pour se redonner légitimité et obtenir mandat de continuité dans la durée.
Le recours aux anciens, même avec des têtes rajeunies, n’est pas un rajeunissement de la politique, mais une persistance dans la manipulation et le refus de céder la place.
Le système ou plus exactement les élites françaises qui le soutiennent savent utiliser la lutte idéologique à son avantage. Récupérer le mécontentement populaire et annoncer une seconde république sans la rupture et le changement. Leur fichier semble ne pas être à jour.
Le jeunisme, à l’image du Président Macron et de ses têtes d’affiches gouvernementales et partisanes ne doit pas nous cacher la réalité de la situation : c’est toujours, en Algérie ou en France, les mêmes vieux systèmes et les mêmes vielles têtes qui sont au commande. On nous montre des jeunes manifester avec joie au « renoncement » du Bouteflika pour s’approprier la rue et faire converger le désir du changement vers les désirs du système qui refuse le changement. On laisse s’exprimer des jeunes pour demander le départ des vieux et des anciens et laisser la place aux jeunes pour continuer à mettre le curseur idéologique sur des critères fallacieux et faire diversion. La question n’est pas être jeune ou vieux c’est être algérien et servir l’Algérie ou être un abruti qui sert les intérêts des rentiers et de leurs mentors, les experts du mondialisme et du marché.
Le général Hocine Benhadid en focalisant les contradictions sur les personnes, occulte la problématique idéologique et politique. Ce ne sont ni les règlements de compte ni la mise en place d’une équipe de sages, ni une période de transition qui vont résoudre la crise algérienne et protéger l’Algérie de l’Étranger. La solution est d’aller aux élections pour faire dégager le système et donner à tous le cadre institutionnel pour exercer leur devoir. Les droits de chacun sont le surplus de devoir de tous et non l’inverse.
Le général Hocine Benhadid, par son franc parlé, nous dit ce que la rue algérienne dit : ceux qui gouvernent l’Algérie sont des pions, ceux qui s’opposent organiquement à ces pions sont eux-mêmes des pions. La question sur laquelle on aimerait avoir une réponse est : qui est le maitre de ces pions ?
Le général nous dit sans détour, ce que nous avons toujours crié : l’ANP n’est pas la détentrice du pouvoir. Elle est par sa discipline et son esprit de corps un instrument à la merci de ses chefs pions du système. Elle est ce que le Général Rachid Benyellès dit : « un pouvoir de circonstance ». Elle est ce que l’ancien conseiller du Président Boumediene dit : « un organe de pouvoir ». Cela signifie que les forces réelles du changement doivent se battre et éventuellement « négocier » la sortie de crise avec les véritables détenteurs du pouvoir réel. Il nous dit qu’il faut destituer les têtes de chapeau du pouvoir apparent.
Comment destituer ces auxiliaires du pouvoir ? Il n’y a que deux possibilités :
Possibilité 1 – La rue pacifique refuse le scénario de continuité du régime et impose le retour aux urnes dans les conditions de la Rupture et du Changement. Sinon la rue pacifique se transforme en désobéissance civile et choisit un guide.
Possibilité 2 – Les forces armées imposent leur solution militaire : destituer et emprisonner toutes les composantes humaines du système sans craindre les Français et les Américains. C’est une forme de sursaut révolutionnaire qui mettrait en place une sorte de conseil de la révolution présidée par des Sages et qui superviserait la transition démocratique : dissolution de toutes les institutions, Constituante et relance des élections libres et démocratiques. Le seul problème est celui du respect de la légalité et de la légitimité. En période révolutionnaire ou de coup d’État, il n’y a plus de légalité ni légitimité.
La légitimité est celle de la force populaire sinon militaire ou une combinaison des deux ! Qui va prendre l’initiative historique qui doit être fondamentalement et radicalement subversive : renverser le régime ? Le peuple qui veut la rupture a dit son mot :
« Armée, Peuple : Frères »
Dans ces conditions révolutionnaires, le report des élections pourrait être toléré et aboutir à de nouvelles élections en des moments symboliques : 05 Juillet 2019 ou 1er Novembre 2019. Lorsqu’on parle de symboles, il s’agit de renouer avec la personnalité algérienne et les idéaux de la révolution algérienne. Lorsqu’on parle de symboles, il s’agit d’opérer les ruptures avec ce qui a détruit l’Algérie et confisqué l’indépendance des Algériens. Mettre le curseur sur les contradictions secondaires c’est se tromper de combat et empêcher l’émergence d’un cadre édifiant, structurant et fédérateur. Continuer à poser le problème en termes de lutte générationnelle, c’est succomber à la démagogie et à la complaisance. Le problème algérien est plus grave et plus complexe, il ne peut être résolu par de fausses équations ou par le simplisme réducteur.
Omar MAZRI – ALGERIE RUPTURE