Après le coup d’état blanc et contrairement à ce que l’on pourrait penser, le « ghâchi » du système de la rente ne s’est pas encore fissuré, mais se repositionne pour reconduire la transition qui dure de mars 1962 à ce jour. Tous attendent l’acte 6 où l’Armée algérienne annoncera son « initiative historique ».
Dans l’attente, tous les acteurs essayent de peser de toute leur force sur la dynamique sociale et politique : Empêcher le changement revendiqué par les populations algériennes. Les grands acteurs occultes sont les confréries « religieuses » c’est-à-dire les zaouïas.
Pour comprendre ce phénomène, il faut le situer sur le plan socio-historique : La coexistence d’au moins 3 types d’organisations confrériques :
La première est le soufisme spiritualiste qui est une rencontre entre les arabo berbères et les turcs. Ce mouvement très discret, apolitique et spirituel, refuse la politique et fonctionne sur le plan de la relation maître à disciple pour l’initiation et la retraite spirituelle. Certains groupes pratiquent le Sama’i avec chant et danse, d’autres juste le Medh (vénération du Prophète). En général ce sont des cercles ésotériques difficiles à pénétrer.
La seconde est le soufisme djihadiste, il est algérianisé avec pour cadre le mysticisme musulman en lutte contre le colonialisme et intervenant lorsqu’il y a risque d’effondrement de l’État. C’est un mouvement spirituel, érudit et social, qui n’intervient que rarement dans la politique. Il a soulevé des armées, mais a toujours dirigé ses armes contre l’occupant, jamais contre l’Algérien. Il est la continuité des Mourabitines (Almoravides) sur l’ensemble du Maghreb. En Algérie, il n’est pas composé uniquement de berbères, ni géographiquement implanté seulement en Kabylie. De grandes figures de résistances comme le bey Hadj Ahmed, l’Émir Abdelkader font partie de ce mouvement. Les grandes et antiques cités urbaines comme Constantine, Bejaïa, Tlemcen, Ksar El Boukhari, Biskra, étaient de grands centres soufis. Personne ne peut avoir le monopole de la résistance algérienne.
C’est ce mouvement qui a enfanté la dynastie berbère fondée par Ibn Toumert lequel a traduit le Coran en langue berbère. Il ne nous intéresse pas qu’il soit chiite ou sunnite, mais qu’il soit ancré dans la mémoire collective qui a enfanté au Maroc Abdelkrim al Khattabi et en Algérie les grandes figures immortelles : Cheikh Belhaddad, Al Mokrani, Bouziane …. Bani Mazigh et Bani ‘Ourban.
La lutte contre le colonialisme a engagé toutes les figures mystiques y compris les figures féminines comme Lalla Fatma N’Soumer. Les termes Sidi et Lalla ne signifiait pas saint ou sainte, mais maitre ou chef. L’orientalisme et l’ethnologie coloniale chrétiens ou athées ont falsifié nos noms, nos symboles et nos significations. Nous sommes suffisamment stupides pour en faire notre dictionnaire et notre cadre d’orientation.
Ce qui nous intéresse ce sont les grandes figures de résistance comme Bologhine ibn Ziri, fondateur de la dynastie berbère des Zirides qui rebaptisa l’ancienne ville (punique puis romaine) Icosium et lui donna le nom Djaza’ir (Alger), Beni Mezghenna (‘ouroch s’étendant jusqu’à la petite Kabylie). Nous ne sommes pas au stade du détail qui relève de l’Histoire de l’Algérie qui reste à réécrire non plus comme chronique ou comme redondance des historiens français.
La Zaouia mystique et djihadiste était et est toujours un centre du rayonnement spirituel, de l’apprentissage du Coran, d’enseignement de la langue arabe et de la purification morale. Ce mouvement est l’un des ressorts le plus important de l’Algérianité et le rempart contre la subversion idéologique menée par le berbérisme, le sionisme et la 5ème colonne de Hizb as Chaytan. Le terme marabout issu de l’algérien mrabet ou de l’arabe mourabit a une connotation négative voulue par le colonialisme. Malek Bennabi s’est laissé tromper en utilisant le terme de confréries maraboutiques au sens général alors qu’il ne s’agit que de la troisième catégorie.
La troisième organisation confrérique du MARABOUTISME est celle qui nous intéresse au regard de l’actualité. Les experts en Tmarbit (les illuminés du Tkharbit). C’est la double et sinistre rencontre entre :
- Les vestiges païens du fétichisme et de la sorcellerie avec la décadence musulmane qui a enfanté trois mythes : le fatalisme, la Zerda (festivités et bouffe) et le Zaïm (le culte de la personnalité)
- L’Algérien colonisable avec les agents du colonialisme.
Cette organisation, ou plutôt ces organisations, qui sont au cœur de la rente et de la trahison ont quadrillé le territoire algérien d’au moins trois manières :
- Se substituer à l’école absente au moment où le peuple algérien souffrait d’analphabétisme.
- Se substituer à l’État effondré en donnant des « Cheikhs » faisant la Baraka pour soigner les indigènes et fasciner les esprits.
- Devenir des auxiliaires de la guerre psychologique pour maintenir la carte mentale et psychologique des populations algériennes à jour. Le colonialisme avait établi son réseau routier civil et son organisation militaire sur les postes maraboutiques. Là où il n’y avait ni mausolée ni zaouïa, le cadastre et le génie militaire les construisaient. La rumeur et la propagande faisaient le reste pour rassembler les « fidèles » et les « clients ». Le colonialisme avait mis en place ce qu’on appelle le tourisme de dévotion ou le pèlerinage de bigoterie pour maintenir les Algériens dans l’aliénation totale afin de réaliser ses buts stratégiques : la colonisation de peuplement et l’effacement de la personnalité algérienne.
Le clan Bouteflika s’est appuyé sur les réseaux de ces confréries maraboutiques pour ériger son système, ensuite il leur a donné une rente colossale et sans doute il est devenu leur chef « spirituel ». Cette machine s’est manifestée déjà au début de l’indépendance en agissant de concert avec l’administration coloniale post indépendance. Elle a mené une lutte acharnée contre les Communistes algériens et le Mouvement algérien réformateur (Islahiste). Peu de cadres issus des centres de rayonnement culturel de l’Algérie pouvaient émerger : ils étaient broyés.
Il faudrait qu’un jour nous puissions consulter les archives « confiées » à la France et examiner le cursus « pédagogique » de nos Elites. En attendant nous pouvons consulter les archives du journal « La dépêche de Constantine » ou celles des Oulémas algériens pour voir comment les « nobles » ont livré bataille contre Benbadis et comment la Préfecture « arbitrait » et faisait pourrir la situation.
Chaque fois que le système algérien est remis en cause, poussé au changement évolutionnaire, ou en crise interne, les confréries sortent de leur silence et expriment leur allégeance. Aujourd’hui, elles se repositionnent pour une nouvelle allégeance en faveur du nouvel antéchrist. Ce n’est pas une force de foire, c’est une force à plusieurs têtes, une multinationale avec un capital d’affaires en milliards de dollars, de puissantes connexions en Afrique et dans le monde arabe, des convergences peut-être avec la Franc-maçonnerie. Il ne faut pas se leurrer, elles peuvent s’exprimer au nom de l’Islam, de l’arabité et de la berbérité selon la conjoncture et le programme de communication. Les Frères musulmans ne sont rien en termes de forces nationales ou internationales par rapport aux Zaouias, même si tous peuvent trouver des arrangements d’appareils. Bouteflika a été quand même bien inspiré en organisant les Zaouïas maraboutiques en appareils politiques, il les a rendus moins opaques et a installé des chefs avec qui négocier la rente.
Elles savent que les Oracles du pouvoir, le pouvoir réel, ont annoncé la fin de règne et préparé la relève. Toutes les périphéries du système sont mises en transe pour la transition sous le conseil des « Sages » qui peuvent s’avérer de vrais démons hideux une fois installés. L’expérience des élections algériennes du second collège et de l’Assemblée des Indigènes de 1947 n’est pas si loin. Elle va se répéter si le peuple ne s’y oppose pas avec lucidité et détermination.
Les Algériens nourris à la culture de la Zerda et du culte de la personnalité sont conduits vers l’impasse : la Salmiya qui devient Kama Hiya ou Thawriya : Moussa Al Hadj et Hadj Moussa.
Sur ce plan une quatrième confrérie peut être sollicitée de nouveau :
La quatrième organisation confrérique du TERRORISME.
Les sectaires, les ignorants, les drogués, les pervers narcissiques, les désespérés peuvent être facilement mobilisés et embrigadés dans les escadrons de la mort. Les menaces de Ouyahia, converti à l’anti bouteflikime, sont à prendre au sérieux. Le seul rempart ; la solidarité populaire, le débat et le refus de faire des alliances conjoncturelles avec les infantilismes politiques et les revanchards.
La cinquième organisation confrérique : le démocratisme sans le peuple
Les intégristes du modernisme et du progressisme n’arrivent toujours pas à comprendre qu’ils ne pèsent rien dans la lutte des imaginaires et des mentalités. La lutte est entre la pensée musulmane authentique nourrie par la terre algérienne et l’instrumentalisation de la religion à des fins de rente, de colonialisme et de pouvoir. On peut dire que c’est un débat interne à l’Islam. L’instinct reptilien dicte la conduite : Ne pas aller au verdict des urnes, car le peuple algérien engagera la bataille sur le registre de sa personnalité que le colonialisme et l’indépendance confisquée n’ont jamais pu effacer.
Nous n’avons pas de prise sur les foules ni sur les évènements, mais un peu de culture générale nous permet d’affirmer un des principes du magnétisme : « une aiguille aimantée placée dans un champ magnétique s’oriente dans le sens du champ magnétique, sa force et son intensité s’ajoute au champ dominant ». Chercher les aiguilles et le champ principal, vous aurez la compréhension globale et le sens de l’histoire à venir.
L’issue : le peuple algérien résistant
La seule issue : débattre et s’organiser pour devenir l’alternative incontournable. L’expérience malheureuse des Gilets Jaunes risque d’être sinistre pour les Algériens s’ils continuent à se comporter en foules délirantes ou en foules ignorantes à qui on jette un placebo cathartique : Une fois c’est Tewfik, une fois c’est Saïd, demain ce sera Flen si ce n’est pas le FLN.
Tous les ingrédients nocifs du passé sont activés pour annoncer l’acte 6. L’acte 5 n’est pas encore achevé : Il peut y avoir un sursaut d’honneur parmi les militaires algériens ou un sursaut de lucidité : Un mouvement brusque et décisif de dégoût, d’horreur, d’indignation, d’orgueil, de rage, de révolte, d’amour pour ce pays… La rupture !
Il ne s’agit pas de la rupture avec Bouteflika qui ne peut plus gouverner, mais avec les gouvernements de l’ombre. Il faut juste mettre un peu de lumière et éclairer la scène par le débat transparent et responsable.
Est-ce que les Algériens ont envie de débattre ou de faire la fête comme en 1962, là est la question centrale ? Est-ce qu’on leur a donné suffisamment d’outils et d’informations ? Est-ce qu’ils ne sont pas otages des réseaux sociaux ?
Omar MAZRI – ALGERIE RUPTURE