Je livre mon analyse avant le vendredi 29 mars.
Ce matin j’ai visionné « quelques » interviews de « certains » jeunes sur Youtube. On les présente comme partisans réductibles et radicaux du « dégagez-tous ». Je ne vais pas me permettre de juger le niveau politique, ni les connaissances juridiques des gens de la « rue ». Moi-même, je suis un pur produit du système comme la majorité des Algériens, je me dois donc d’apprendre à me désintoxiquer et tolérer la liberté d’opinion des autres. Le chemin de l’apprentissage est long, difficile, pas toujours droit et évident. C’est pourtant un passage obligatoire si nous voulons rompre avec le système et édifier un État de droit.
L’État de droit est inconciliable sans l’exercice des libertés individuelles et des droits sociaux, politiques, économiques et informationnelles. Pour moi, les droits d’autrui ne peuvent être respectés si soi-même on n’accomplit pas ses devoirs. Le premier devoir est de refuser d’infantiliser les gens, de leur mentir et de servir l’intérêt général au détriment de ses propres intérêts privés aussi légitimes soient-ils. Les droits et les devoirs étant indissociables les uns des autres et inséparables d’au moins trois catégories d’ordre éthique et philosophique
- Le jugement et la responsabilité
- Le savoir et l’information
- La liberté et l’exploration des possibilités selon la règle de la priorité de l’utile sur le nuisible, du plus bénéfique sur l’utile et du moins nuisible sur les nuisances lorsque les choix deviennent compliqués ou imposés par les circonstances.
Sinon c’est l’anarchie et la porte ouverte aux manipulations subversives et aux extrémismes de tout bord.
Les élites, du moins ceux qui se réclament en tant que tels, se doivent d’être pédagogues. On n’aspire pas à gouverner un peuple et à présider à son destin sans l’informer de ses responsabilités, sans s’informer de ses attentes et sans lui expliquer les projets de la gouvernance et la carte qui permet au peuple de naviguer, de choisir la bonne destination, le bon équipage qui tiendra la route dans une mer agitée et remplie de récifs. C’est un partenariat entre le gouvernant et le gouverné sur le principe « aidez-moi à vous aider ».
Par nos différences « naturelles » (génétiques, sociales, intellectuelles et culturelles) ainsi que par les circonstances politiques, nous sommes liés en tant qu’humains et en tant qu’êtres partageant le même territoire et le même destin par les droits à la différence et à la diversité ainsi que par les devoirs de solidarité et le respect des obligations qu’impose une hiérarchie, un code moral, une organisation, ou une Constitution. Droits et devoirs mutuels sont indissociables de la condition humaine et de la condition sociale :
وَرَفَعْنَا بَعْضَهُمْ فَوْقَ بَعْضٍ دَرَجَاتٍ لِّيَتَّخِذَ بَعْضُهُم بَعْضًا سُخْرِيًّا ۗ وَرَحْمَتُ رَبِّكَ خَيْرٌ مِّمَّا يَجْمَعُونَ
Et Nous avons élevé certains d’entre eux de quelques degrés au-dessus des autres afin que les uns soient au service des autres. Mais la miséricorde de ton Seigneur est meilleure que ce qu’ils amassent.
Cette conjugaison de droits et de devoirs est une miséricorde qu’il faut chercher à réaliser à tout prix pour que la vie ne devienne pas un enfer ou une malédiction dans un système où le peuple haït et maudit ses gouvernants, alors que ces derniers méprisent et oppressent leur peuple. Il faut changer le système et s’opposer à lui pacifiquement pour mettre fin à l’oppression, à l’injustice, au non-respect des droits et au non accomplissement des devoirs. Personne n’a le droit de changer une malédiction par une autre, une tyrannie par une autre, un État illégal et un pouvoir illégitime par le nihilisme et l’aventurisme. Depuis 25 ans, tous mes livres et tous mes articles défendent la même vision qui m’a poussé à dire publiquement que je refuse que Khaled Nezzar soit trainé par des Algériens devant les juridictions françaises et suisses par respect de l’État algérien et par conviction qu’il appartient aux Algériens de rendre justice le jour où il y aura l’État de droit. Les criminels, les aventuriers et les incompétents qui ont provoqué l’effusion de sang et confisqué l’indépendance peuvent échapper à la justice des hommes, mais ils ne peuvent se dérober à la Justice Suprême.
Ce verset nous dit aussi que la question centrale est l’utilité sociale. Les nations, les élites et les pouvoirs ne durent que le temps de leur utilité vis-à-vis des autres. L’Empire romain polythéiste est demeuré dominant jusqu’à l’émergence de l’Empire musulman qui a disparu dès que son rayonnement s’est éteint. Tous nos problèmes doivent se poser en termes de rapport à ce qui est utile à la vie des gens, à leur intelligence, à leur sécurité, à leur paix et à leur progrès :
{فَأَمَّا الزَّبَدُ فَيَذْهَبُ جُفَاءً ۖ وَأَمَّا مَا يَنفَعُ النَّاسَ فَيَمْكُثُ فِي الْأَرْضِ}
L’écume, quant à elle, disparaît sans laisser de trace ; mais ce qui est utile aux hommes reste sur la terre. C’est ainsi que Dieu propose des symboles. Ar Raäd 16
Dans le contexte coranique (la pluie qui tombe du ciel et le feu de cuisson des matériaux) l’écume est symboliquement la masse de déchets emportés par les torrents, des impuretés évaporées : ce sont toutes les illusions, les apparences, les conjonctures emportées par l’histoire et le mouvement des sociétés. L’épreuve est une nécessité historique, c’est par elle que se réalise le changement. L’acteur, l’observateur, l’écrivain doit faire son choix : être un résidu ou une futilité, une nuisance ou une utilité, une fiction ou une réalité, une inertie ou une dynamique. Il n’est pas évident de se juger, mais il est obligatoire de se positionner et de prendre le risque de se tromper. Cela fait partie de la liberté et du devoir de dire, de faire…
L’intelligence est donc de hâter la réalisation de l’État de droit et la promotion de la vérité, mais en respectant la réalité telle qu’elle est et non telle qu’on voudrait qu’elle soit. La voie la plus rapide est bien entendu « un vote une voix ». Ce chemin n’a de sens que si le peuple s’organise autour de débats d’idées, de projets, de propositions et fasse émerger des cadres organiques et des élites. Si le peuple prend la fausse route, il risque de s’égarer de perdre le nord. Cela consiste à ne pas s’engager dans l’une des deux impasses :
- Créer l’organe avant la fonction. Créer un parti ou une association sans débat et sans assemblées constitutives. L’argent de la rente, la bureaucratie, les services, les opportunistes, et les fauteurs de troubles vont les infiltrer et les conduire à être des coquilles vides. C’est le conseil que j’avais donné à des organes nés après Octobre 1988, après Janvier 1992 et avant 2014. Nous constatons l’absence de débat et le déficit d’émergence d’élites malgré la profusion de partis politiques. Nous constatons l’emprise des mêmes équipes idéologiques sur les grands médias algériens. Ces équipes nées dans le prolongement des réformes de Mouloud Hamrouche de 1989 ne sont pas nées dans la véritable concurrence et ont davantage servi des lignes idéologiques et partisanes que l’information objective et professionnelle. La seule chose qui les fera perdre le terrain est le débat libre et l’initiative populaire. D’autres équipes sont nées et se disputent l’audience et la parole : Les réseaux sociaux dont la majorité verse dans le sensationnel, la rumeur et la manipulation soit étrangère soit celle de l’argent sale.
- Suivre comme des moutons les mettent en faillite politique et idéologique. Nous constatons qu’ils suivent le peuple alors que leur devoir était d’éclairer le peuple en lui donnant de l’information crédible, en lui procurant les outils d’analyse. Ils utilisent le peuple comme paravent. Ils connaissent le système dont ils ont été des artisans et de fervents défenseurs même si aujourd’hui ils semblent se montrer ingrats et opportunistes. Ils connaissent l’opinion publique formatée par l’école et la mosquée d’une part et par la rue sale et oisive. C’est une donnée objective sur le subjectif de notre état social et intellectuel que les Pagsites, les démocrates, les islamistes, et tous les « isme » convertis aux affaires et intervenant dans la lutte subversive contre le peuple.
Demain le jour va se lever sur le même peuple festif et gonflé à bloc contre le système. Nous allons analyser ses revendications après sa manifestation.
Nous pouvons dès aujourd’hui prévoir que tous ceux qui sont contre la voix du peuple seront présents avec force car il s’agit de leur dernier vendredi, le vendredi de la communication magique, pour peser sur l’opinion, l’ANP et les Étrangers.
Ce sera la bataille des images.
Chacun va tenter de brandir ses affiches, ses slogans et faire porter sa voix avec YouTube, Facebook et les podcasts. Les télévisions françaises ont mis déjà en branle de combat depuis hier, les stratèges de la désinformation et du mensonge faisant dire que le peuple refuse l’application de l’article 102 de la Constitution et qu’il veut que tout le monde dégage. Les experts du Renseignement disent ouvertement que la position géostratégique de l’Algérie dépasse les Algériens et qu’elle relève de la compétition entre la France, les États-Unis et la Russie-Chine.
Depuis 2005, nous disons ouvertement et sans détours que l’Algérie est en péril dans son existence territoriale et étatique, l’Armée algérienne est appelée à devenir une annexe de l’OTAN ou une avant-garde de résistance contre l’Empire et ses vassaux. La plus grande armée du monde ne peut rien faire si le peuple lui tourne le dos ou la harcèle sur ses arrières.
L’équation « armée, peuple, fraternité » est posée en termes stratégiques et non en termes d’euphorie festive.
La bataille a commencé, place aux images d’abord !
Il n’y a pas plus subversif qu’une image « sage »
Il n’y a pas de pire et de plus mortel pour la démocratie que ce que la sémiologie a démontré : L’image de fascination invite à l’hypnose alors que la démocratie invite à la réflexion. Les démocraties occidentales sont éteintes par le « Panem circenses » (pain et jeux du cirque de la Rome antique qui avait inventé les banderoles symboliques et les emblèmes de fascination comme instruments de pouvoir).
Il n’y a pas plus subversif que la psychologie sociale aux mains de ce qu’on appelle la fabrique du consentement. La psychologie sociale montre que l’humain mis dans une foule perd ses facultés cognitives en faveur de l’affectif, du préjugé et de l’irresponsabilité. Il a été démontré expérimentalement que face à des comparses, se prêtant au jeu de conformité dans un lieu donné, affirmant qu’un cercle est un carré, le sujet acceptera le faux et se soumettra sans résistance pour devenir l’idiot utile qui va valider et relayer le faux. Celui qui résiste, risque d’entrer en conflit avec lui-même en se mettant à douter de l’évidence. S’il ne prend pas la fuite en s’isolant, il est perdu. Le Prophète (saws) a demandé aux musulmans de ne pas succomber à la Fitna, de ne pas suivre les insensés et de se maintenir sur le vrai et le réel, même lorsque la majorité défend le contraire. Le conditionnement festif est propice à fabriquer le stimulus et la réponse souhaitée par les laboratoires. Notre esprit n’est pas toujours rationnel surtout lorsqu’il est paresseux ou endormi.
Les véritables combats idéologiques et politiques se déroulent dans les coulisses avec des sommes d’argent colossales, des moyens de communication effarants et des intelligences diaboliques. Il s’agit du partage de la rente, de la domination d’un clan sur un autre, de l’hégémonie impériale sur la planète. Ils arrivent à faire accepter l’idée qu’un carré soit un cercle, que deux plus deux ne font pas quatre et que l’article 102 de la Constitution est une invention du pouvoir pour rester au pouvoir. Celui qui résiste et défie la doxa subira l’ostracisme intellectuelle et politique. Cela fait partie de l’ordre des choses. La vie n’est pas une partie de plaisir, mais un devoir à accomplir.
« Ce n’est pas le sommeil de la raison qui engendre les monstres, mais la rationalité vigilante et insomniaque » disait le philosophe français Gilles Deleuze. Nous sommes encore endormis alors que ceux qui veulent nous soumettre et qui veulent régler leur contentieux historique sont bien éveillés.
Ce pouvoir est fini dans sa forme actuelle, ses acteurs présents et ses procédures. La bataille qui est perceptible est déjà livrée : la Présidence et ses clans civils et sécuritaires d’un côté et l’ANP de l’autre. La société civile, les partis politiques et les Marabouts veulent nous conduire au triomphe de la Présidence avec une nouvelle figure et au renouvellement du système. L’Armée ne veut plus jouer le rôle de bouc-émissaire ni aller à une véritable guerre civile.
L’Armée ne veut plus jouer le rôle de paravent ou d’appareil au service du système, elle veut renouer avec sa vocation populaire de résistance et sa mission de défense du territoire. Nous devons l’aider à sortir du bourbier dans lequel les traitres l’ont mise. Nous devons :
- maintenir la pression populaire sur le système pour qu’il dégage,
- refuser l’effondrement de l’État et les règlements de compte.
- Faire dégager les élites et les médias système
- Ne pas donner foi aux rumeurs et à l’intox
- Rester vigilant pour ne pas être dépossédé de la victoire certaine
- Se préparer aux élections pour donner légitimité aux acteurs qui feront tomber les institutions du système et ses rouages administratifs, financiers et politiques
- Continuer à revendiquer la souveraineté populaire et lui donner une plateforme politique
Chacun devra assumer ses responsabilités.
Contrairement à ce que dit le candidat de la « Rupture et du Changement », il ne s’agit ni d’une seconde république dans le sens des traditions françaises ni dans un conflit entre générations. Le Renseignement français et américains dit que la bataille est stratégique. Les plus experts en désinformation actuellement sont les infantiles qui n’ont pas le sens de l’État, et les plus cupides dans la course au pouvoir sont « les jeunes loups ». Sur le plan tactique et sur le plan de la réalité ou de la vérité, je ne vois pas l’intérêt de situer le curseur sur l’accessoire.
Il faut qu’on arrête de nommer les choses autrement que par leurs vrais noms. Il faut qu’on arrête de se présenter comme le Messie sauveur et entrer dans le débat populaire. Si le peuple n’est pas outillé, c’est aux élites qui espèrent gouverner de donner à ce peuple les instruments pour débattre, sinon commencer à débattre sur les grands thèmes. Nous sommes à l’heure où l’Empire connait la couleur de notre slip et le contenu de notre estomac. La seule façon de le neutraliser, c’est d’amener le peuple à produire sa pensée de résistance et d’édification. Sinon on refera une nouvelle révolution sans débat, sans programme, sans élites, sans cap et bien entendu on aura un autre mars 1962 et de nouvelles rentes.
A propos de 1962 qui ressemble étrangement à 2019, voici ce qui disait Malek Bennabi sur une ambiance analogue :
« En 1962 nous n’avions pas compris la gravité du moment qui marquait le couronnement de sept années de lutte héroïque du peuple algérien. La joie et l’orgueil, bien légitimes, avaient quelque peu atténué en nous, sinon étouffé, le sens des grandes responsabilités que nous prenions en ce moment-là. Il y a eu aussi la démagogie […] En ce moment nous ne faisons face qu’à la crête de la vague. Si rien n’est changé, nous aurons affaire, d’ici, quelques années, à la lame de fond qui se prépare…»
Si la démagogie ne laisse pas place à la réflexion et à l’anticipation, la réalité aussi ne répond pas toujours aux désirs. Il y a des lois sociologiques et historiques qui agissent. Il y a l’avenir qui se prépare, nous ne faisons rien pour y aller dans de bonnes conditions.
Nous allons voir comment le peuple va se comporter : pensée magique née de la narrative ou intelligence collective qui, par la loi des grands nombres, parvient à dire sa vérité la plus intime et sa perception des faits les plus réels. Les neurosciences montrent par des expériences en espaces sociaux que la population parvient à exprimer une opinion moyenne proche de l’exactitude. Les traditions musulmanes rapportent que le Prophète a dit que :
« Jamais ma communauté ne se mettra d’accord sur un consensus fallacieux (égarement) »
Omar MAZRI – ALGERIE RUPTURE