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jeudi 21 novembre, 2024

Les élites algériennes et la définition des maux : deux mois après le Hirak

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En navigant sur l’Internet pour voir comment les « gens » analysent la crise algérienne et comment ils se positionnement idéologiquement pour sa résolution, je me suis trouvé perplexe.

Déçus globalement par nos intellectuels qui essayent d’expliquer en se rangeant du côté des baratineurs de cafés maures comme s’ils n’avaient pas le devoir de se référer à une grille de lecture avec des instruments de lecture, c’est-à-dire avec des concepts et des règles. Tout ce que nous imaginons, pensons, faisons, disons ou gesticulons devrait obéir à une sémantique, une grammaire et à un lexique. Lorsque l’intellectuel livre son opinion sans critères d’analyse, sans hypothèses, sans références historiques ou philosophiques, il est soit dans la démagogie pour gagner la sympathie du « peuple », soit dans la revanche contre le système, soit dans l’esprit partisan et sectaire en faveur d’un parti ou d’un clan.

Certes, il est difficile de rester neutre, objectif et impartial lorsqu’il s’agit de sa patrie et des siens, mais l’exigence de lucidité doit être de rigueur pour celui qui veut engager sa responsabilité éthique et accomplir son devoir. Sinon il vaut mieux changer de métier et devenir cafetier « boulitique » ou agent propagandiste.

Plus les choses sont confuses, plus le péril est grand, et plus la tête doit rester au-dessus des flots et en dehors de la mêlée. Il ne s’agit pas de mépriser le « peuple », mais de refuser les raccourcis morbides et les incitations à plus de confusion par simplisme réducteur ou par perspective sans focale.

Nous n’allons pas revenir sur l’absence de débat et l’absence d’émergence de leaders pour conduire la dynamique (Harak) populaire ni sur les slogans qui font écran ou écho à l’hystérie collective. Nous avons la conviction qu’il y a plusieurs volontés divergentes sur le plan des intérêts et des idéologies qui essayent de s’imposer par la guerre des images et des slogans. Ces volontés se feront la guerre implacable lorsque les choses prendront un autre tournant avec une perspective plus claire ne permettant alors plus le camouflage et l’œuvre dans l’ombre.

Même si nous revenons aux élections, le scénario de contestation y compris par la violence est déjà élaboré et testé à grandeur nature. Nous voyons déjà des dérives vers la violence verbale et physique. Nous voyons des mouvements sectaires passer à la violence contre leurs adversaires idéologiques, culturels ou religieux. Il n’y  a pas d’expression politique réelle, lorsque le champ social basculera à la violence, personne n’aura le courage, la compétence ou la légitimité pour y mettre fin.

Pour l’instant elles sont au diapason : Tout faire pour ne pas aller aux élections.

Chacun préfère différer à deux ans ou à jamais les élections, car ils sont convaincus qu’ils n’auront ni légitimé démocratique, ni légitimité économique, ni légitimité religieuse, ni légitimité linguistique, ni légitimité historique, ni légitimité informationnelle. Chacun veut une période de transition la plus longue et la moins démocratique pour imposer son agenda et ses hommes dans les rouages de l’Etat moribond. Chacun sait qu’ils n’ont ni la compétence, ni la légalité de leur côté, mais ils veulent vendre du leurre pour faire oublier ce qui fait la compétence, à savoir : La reconnaissance politique ou sociale ou professionnelle de son autorité.

Il n’y a d’autorité que dans le sens étymologique du terme :

  • Autoritas en étant influent et en ayant du crédit
  • Auteur en produisant des idées de projets, en étant capable de conduire ces projets à termes ou de trouver des solutions efficaces, viables et crédibles aux crises.

L’autorité ainsi définie est, sur le plan d’ordre politique, religieux ou autres, un contrepouvoir à l’autorité comprise comme hiérarchie de pouvoir et de commandement. Parfois elle est plus que le contrepouvoir, elle est la norme de référence, la règle d’arbitrage, l’impulsion au changement. Les philosophes et les artistes connaissent mieux que les politiciens les subtilités et les conséquences de cette définition en termes de déontologie, de règle de l’art, d’éthique et d’esthétique. Dans le mouvement universel de l’histoire des idées et des arts ce sont les autorités qui font l’histoire par leur capacité à inventer, à résister, à créer, à imaginer, à proposer, à résister, à légitimer les différents pouvoirs.

Un peuple en liesse se comportant comme un immense stade, sans revendications structurées et structurantes, témoigne non seulement de l’absence de l’Etat, mais surtout l’absence d’Autorité.

La vocation de l’Armée n’est pas l’autorité, mais la défense nationale et la sécurité, elle ne peut à elle seule apporter une réponse au déficit d’Autorité. Les revanchards politiciens, les haines historiques, les apprentis politiciens et les aventuriers alimentent les confusions, les demandes insensées et irresponsables pour saper toute possibilité aux militaires de conduire le pays vers une solution apaisée et responsable. Les uns veulent une Etat d’exception pour empêcher le processus électoral, les autres veulent briser l’armée et pousser le commandement militaire à la faute ou du moins à l’inertie. Quelques énergumènes s’imaginent être le recours ultime pour sauver le bateau Algérie.

Le paradoxe, c’est réclamer l’Etat de droit et la démocratie tout en réclamant être le Messie sauveur. Ils ont mené des réformes, excellente sur le plan technico-narratif, mais déficitaires en termes d’appui populaire, comme les trois révolutions du Président Boumediene qui avait la probité morale de faire valoir la langue nationale et de ne pas laisser le peuple algérien musulman entrer au paradis avec le ventre creux. Les bonnes intentions et le volontarisme ne sont pas suffisants pour faire une politique durable.

Le plus étonnant, le plus détonnant, c’est d’entendre des intellectuels algériens, qui ont été aux affaires de l’Etat algérien et connaissant l’état des lieux, dire des absurdités comme par exemple

  1. La Constituante
  2. Les jeunes élus qui mettront fin à la corruption par le contrôle populaire sur le budget.
  3. La position non stratégique de l’Algérie

Parler de Constituante en ces temps de confrontation idéologique et d’absence d’Autorité, c’est exacerber la crise algérienne en se focalisant sur les clivages qui sont la langue arabe, l’Islam et le fédéralisme. Parler de la Constitution de 1962 et la lier à l’absence d’indépendance de l’Algérien n’est pas innocent puisqu’il s’agit de dire que l’Algérie berbère se doit d’être décolonisée des Arabes musulmans et des Turcs. Par ailleurs, pourquoi cracher sur les 57 ans d’indépendance de l’Algérie qui avait nationalisé le pétrole, introduit la médecine gratuite, industrialisé le pays et formé des millions d’Algériens.

L’ingratitude est impardonnable pour un intellectuel qui fait de la politique et qui a participé comme cadre supérieur à ce qui a façonné l’Algérie. Il semble que l’Algérie est vraiment malade de ses élites. Nous portons l’Algérie comme des galeux qui au lieu de trouver le remède à leur gale se mettent à se gratter la peau jusqu’à en faire une énorme plaie inguérissable.

Prétendre que le jeunisme parlementaire avec son contrôle populaire sur les budgets de l’Etat est la solution à la corruption c’est une manière « vicieuse » de dire que la gabegie et la corruption viendraient du budget colossal accordée à la Défense Nationale. Il est vrai que la vie démocratique parlementaire est une condition nécessaire à la transparence et la bonne gestion des affaires publiques, mais comme en mathématiques c’est une condition nécessaire, mais insuffisante. Il faut donc d’autres arguments. Du temps du président Boumediene, la doctrine socialiste exigeait une économie administrée qui avait étouffé l’Algérien, mais le libéralisme sauvage ne l’a pas amélioré.

Du temps du président Boumediene, il y avait trois mécanismes de contrôle : L’avis des finances de 77 qui garantissait le monopole de l’Etat sur les Finances, l’industrialisation et le développement des campagnes, le code des marchés publics. Ce dernier était appuyé par une armada d’agents de la SM, de la gendarmerie et du FLN pour empêcher la corruption et le clientélisme. Il est vrai que l’économie n’était pas performante, mais nous étions en quête d’une voie de développement dans une époque mondiale de décolonisation et de non alignement. Le système Boumediene a été démantelé sans précaution, sans transition et sans savoir-faire : On a remplacé un volontarisme socialiste par un volontarisme libéral avec les conséquences dramatiques de la rente, de la corruption, de l’effondrement financier. Le volontarisme politicien et économique avec ou sans technicisme ne change pas l’équation fondamentale : Il faut une théorie, des concepts, des modèles de développement et un peuple en marche. Nous avons fait l’impasse sur ce qui fait civilisation en nous, focalisant exclusivement sur les outils et les instruments qui ne peuvent se substituer à une finalité. A chaque fois, il y a un démantèlement de système sans référence populaire, sans méthodologie, le malheur c’est que nous continuons dans la même voie au nom du peuple, du progrès, de la démocratie, de l’Islam qui va nous mener à chacun contre tous ou à l’asile des galeux.

La position non stratégique de l’Algérie est une affirmation qui soulève le cœur. Elle va à contresens de ce qui dit le général français Dominique Delaware, ancien patron du Cyber Renseignement :

« Aucun des deux grands camps qui s’opposent aujourd’hui dans le monde ne peut être indifférent à ce qui se passe en Algérie. L’ingérence étrangère y est donc plus que probable. Le contraire serait surprenant », écrit cet ancien patron du renseignement électronique français.

« Ceux qui s’ingèrent sont ceux qui y ont un intérêt et qui en ont les moyens. Ils s’appuient très habilement sur la triple opportunité qui leur est offerte : l’usure du pouvoir en place et de son chef, l’indéniable crise économique et sociale imputée à la gouvernance Bouteflika et l’échéance électorale prévue par la Constitution », souligne le général Delaware, en expliquant qu’« ils s’appuient aussi sur les moyens techniques – les réseaux sociaux – et les moyens financiers et humains dont ils disposent ».

Il dit en substance que la géostratégie de l’Algérie dépasse les Algériens. Nos Algériens sont plus intelligents, ils nous disent le contraire et démentent la réalité de l’histoire et de la géographie.

Les faits historiques nous disent que l’Algérie est, avec le Maghreb, presque le seul pays à vivre dans la proximité géographique, culturelle, linguistique et économique de son colonisateur. Même si nous voulions n’être que le néant, la France nous considère comme un enjeu stratégique et son intérêt consiste à ce que nous soyons persuadé de n’être que des insignifiants ou de n’être que ce qu’on appelle le « miroir des diables » qui inverse les perceptions de soi et les cognitions sur l’autre.

L’Histoire et la géographie nous disent que nous sommes sur la façade musulmane de la Méditerranée en face de la façade judéo-chrétienne : Ou bien il y a coopération ou bien il y a affrontement. Maintenant un troisième facteur manifeste sa présence hégémonique et menaçante : Le sionisme soutenu par son mentor l’américanisme. Nous pouvons négliger notre appartenance arabo musulmane, mais ce n’est pas le cas de notre vis-à-vis.

Dans cette confrontation virtuelle ou dans cette collaboration virtuelle entre les deux rives nous avons sept éléments de géostratégie :

  • L’énergie,
  • Les nappes phréatiques du Sahara,
  • L’Empire qui ne veut que d’un seul interlocuteur régional au Maghreb (voire en Afrique du Nord)
  • La lutte antiterroriste
  • Les flux migratoires de l’Algérie et de l’Afrique à destination de l’Europe
  • Les ressources minières
  • La population consommatrice et le mondialisme d’insertion

Comme si tout ça ne suffisait pas à nous rendre une proie vulnérable, la géographie est éloquente :

  • Les périls à nos frontières : Libye, Mali, Niger, Soudan
  • La loi de l’attraction et la loi de la résultante des centres de gravité : Nous attirons les autres par notre poids géographique, notre densité humaine, et nos différents potentiels. Qu’on le veuille ou non, nous sommes un facteur de stabilité et de progrès pour nos voisins et notre environnement sinon un facteur de chaos. Nous ne pouvons être indifférents à ce qui se passe dans notre environnement ni être indifférenciés par les plus puissants.

  • La dimension et la place de l’Algérie dans la carte de l’Islam :

Le fait militaire. Contrairement à ce qui disent nos « experts », le facteur militaire est le facteur clé de la géostratégie, car par définition la géostratégie est à la fois géopolitique et stratégie militaire. La géopolitique est l’adaptation à l’environnement dont les facteurs territoriaux, économiques, sociaux, culturels et juridiques ont une influence sur notre existence et qui subissent notre influence. La stratégie militaire est le rapport de force entre les armées en présence ou susceptible d’être en confrontation. Sur le plan de la défense territoriale et de la sécurité intérieure, le fait militaire est déterminant pour l’existence, la souveraineté et la politique d’un Etat. Peut-on imaginer que l’ANP soit un néant ? Peut-on imaginer l’influence d’une armée avec un potentiel d’un million d’hommes ou de deux millions avec les réservistes hyper équipés en terme de géostratégie ? Peut-on imaginer les rapports de forces politiques sans rapport de forces militaires ?

Quel est l’intérêt des Algériens à prendre pour de la pacotille leur armée nationale alors qu’elle est redoutée et considérée comme l’armée arabe la plus compétente, la mieux équipée et la plus combative ? Quelle est la raison qui poussent certains algériens à demander la paralysie des ports, des aéroports, des infrastructures routières et des champs pétrolifères qui sont non seulement des sites sensibles sur le plan de l’économie nationale, mais des points névralgiques sur le plan géopolitique et géostratégique ? A quelle rivière de la folie les Algériens ont bu ?

Je serais d’accord avec les détracteurs s’ils posent quelques problèmes et y proposent des solutions :

Peut-on imaginer une défense nationale et une sécurité intérieure sans démocratie, sans progrès social, sans éducation et sans indépendance économique ?

Peut-on construire un rapport des forces militaires avec un ennemi potentiel ou historique en étant doté du même équipent que lui et ses alliés ?

Peut-on être influent sur le plan géostratégique et géopolitique sans profondeur stratégique ? Quelle est la profondeur stratégique de l’Algérie si ce n’est pas l’ensemble de nos frontières terrestres, maritimes et aériennes ?

Peut-on être performant sur le plan géostratégique en imitant l’armée coloniale qui s’est équipée en fonction de la topographie algérienne (la steppe en particulier et ses étendues) ou au contraire en s’équipant de système d’armes de dissuasion comme la balistique qui peut frapper n’importe quelle ville ou n’importe quelle infrastructure stratégique en riposte à une intimidation ou à une agression ? Quelle est le prix humain et économique et avec quel budget préparer cette riposte graduée ?

Doit-on calquer le modèle politique algérien et son armée sur ceux de l’Europe ou imaginer un autre modèle plus proche de nos réalités historiques et plus réalistes au regard des défis que nous imposent la géographie et le rapport des forces mondiales ?

Ce sont quelques points qui m’ont semblé important de souligner qui viennent s’ajouter à nos manquements à la règle universelle qui exige une autorité et des règles pour arbitrer et surmonter la crise. Mais, il faut d’abord connaitre les limites et accepter de se soumettre à un arbitrage.

Je le dis sans arrière-pensée et sans intérêt personnel : Il faut voir le feu en la demeure lorsque l’élite supposée recourir à l’arbitrage et inciter au respects des règles devenir l’incarnation de l’abdication de la raison devant le sentiment et l’envie du suicide poussé par le désir de revanche.

L’absence de raison et l’esprit de revanche a permis de qualifier le mouvement populaire, spontané ou poussé, non pas de révolution, mais de Harak. Ce terme est signifiant pour l’armée coloniale qui a inventé la Haraka (la dynamique rapide des unités légères) et les Harakis (soldats indigènes regroupés dans les Harakas. En face il y avait le Moudjahid et le Fidaï. Le dialecte algérien n’a retenu que le terme Harki sans chercher à lui donner un sens sociologique et militaire. C’est peut-être une coïncidence, mais comme tant de récits sur l’Algérie nous sommes étrangement remplis de coïncidences.

Chaque mot à une signification, chaque omission a une raison. La géostratégie, la géopolitique et l’art militaire reposent sur le renseignement, l’information et la communication avant la subversion et l’offensive. L’envie de faire plaisir aux élites occidentales et le désir qu’elles soient satisfaites de nous sont tels que nous cédons gracieusement l’Algérie à l’Occident en croyant la libérer de son emprise et de sa prédation.

Omar MAZRI

Hwal dounya  احوال الدنيا

Rédaction

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