Abdeslam Bouchouareb

La justice française a définitivement rejeté, le mercredi 19 mars 2025, la demande d’extradition d’Abdeslam Bouchouareb, ancien ministre algérien de l’Industrie (2014-2019), réclamé par Alger pour des affaires de corruption. Ce verdict, rendu par la chambre de l’instruction de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, s’appuie sur des motifs humanitaires : l’âge avancé (72 ans) et l’état de santé dégradé de l’intéressé, jugés incompatibles avec les conditions de détention en Algérie . La Cour a invoqué l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, interdisant les traitements inhumains ou dégradants, ainsi que l’article 5 de la convention d’extradition franco-algérienne de 2019 .

Cette décision intervient dans un climat diplomatique tendu entre la France et l’Algérie, marqué par des désaccords récurrents sur les questions migratoires, sécuritaires et judiciaires. Pour Alger, ce refus constitue un camouflet supplémentaire, alors que le président Abdelmadjid Tebboune dénonce régulièrement la « complaisance » de Paris envers des figures politiques ou économiques controversées .

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Les fondements juridiques et les accusations

Abdeslam Bouchouareb, en fuite en France depuis 2019, a été condamné à cinq reprises par la justice algérienne à 20 ans de prison pour corruption, détournement de fonds publics et abus de pouvoir. Un sixième procès est en cours pour des faits similaires . L’Algérie avait formulé six demandes d’extradition, toutes rejetées par les autorités françaises, qui estiment désormais « épuisées » toutes les voies de recours.

Lors de l’audience du 5 mars 2025, le procureur Raphaël Sanesi de Gentile avait déjà préconisé la non-extradition, soulignant que le transfert de Bouchouareb « ferait courir un risque de déclin irréversible » à sa santé . La défense de l’ancien ministre a renchéri en évoquant la surpopulation carcérale en Algérie et en qualifiant son client de « grand industriel anti-islamiste », une ligne argumentaire contestée par Alger .

Crise diplomatique et enjeux bilatéraux

Ce dossier s’inscrit dans une crise plus large entre les deux pays, amorcée en 2023 après des propos controversés d’Emmanuel Macron sur la colonisation. Les tensions se sont exacerbées autour des politiques migratoires : l’Algérie reproche à la France de refuser les reconduites aux frontières de ressortissants jugés « indésirables », tandis que Paris critique les restrictions algériennes aux visas .

Dans une interview accordée à L’Opinion en février 2025, Tebboune avait accusé la France d’octroyer « la nationalité ou le droit d’asile à des criminels économiques », en référence à des figures comme Bouchouareb . Ce dernier, ancien pilier du régime algérien, incarne les divergences de vue entre les deux États : pour Alger, il est un « voleur » devant « répondre de ses actes », tandis que Paris privilégie le respect des droits fondamentaux .

Perspectives et implications

La décision française pourrait avoir des conséquences durables. D’une part, elle risque d’alimenter le sentiment anti-français en Algérie, où l’opinion publique suit de près ce dossier symbolique. D’autre part, elle illustre les limites des accords d’extradition face aux considérations humanitaires, un équilibre délicat entre coopération judiciaire et respect des droits de l’Homme .

Par ailleurs, cette affaire soulève des questions sur la gestion des conflits d’intérêts entre États : alors que l’Algérie cherche à sanctionner des figures de l’ère Bouteflika, la France se retrouve prise entre son allié historique et ses principes démocratiques . Une issue diplomatique pourrait passer par une médiation européenne ou une négociation bilatérale incluant des garanties sur les conditions de détention de Bouchouareb .

L’affaire Bouchouareb n’est pas seulement juridique ; elle reflète les complexités des relations postcoloniales et les défis de la justice internationale. Alors que la France évite un duplicate content diplomatique en refusant une extradition aux relents politiques, l’Algérie voit dans ce dossier un test de crédibilité. Pour les observateurs, cette décision rappelle que le droit et la géopolitique ne font pas toujours bon ménage .

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