Les dix commandements, les Révolutions arabes et Tariq Ramadan (3/3)
Nicolas Machiavel dans « Discours sur la première décade de Tite-Live » nous montre la voie de la probité quand la confusion s’empare des esprits et des nations : « C’est le devoir d’honnête homme de donner aux autres des leçons à faire le bien que par le malheur des temps et l’iniquité des gens il n’a pas pu faire, afin que parmi les plus favorisés et les disposés à faire le bien, quelqu’un d’entre eux, plus aimé du ciel, puisse le réaliser. » Mon but est transparent, je suis prêt à accepter n’importe quel musulman comme intellectuel de référence à la condition que je connaisse ses normes et qu’il affiche ses référents conformes au Coran et à la Sunna et non à la doxa dominante.
- L’armée, les USA et la non violence
- Le bras de fer entre le peuple et l’armée
- Le Fou, le Stratège et le Grand Échiquier
- Géostratégie exclue, économie tronquée
- La Syrie et la vision mécaniste de la révolution
- Pygmalion, aliénation ou libération
L’armée, les USA et la non violence
Selon Tariq Ramadan, l’armée n’est pas intervenue car elle a reçu l’ordre de Washington de ne pas intervenir et d’accompagner la révolution des jasmins et des fèves qu’elle a fomentée. Ceci est un gros mensonge. L’armée est intervenue en Tunisie mais le système sécuritaire de Benali reposait sur la police et ce système s’est effondré devant le foule frondeuse. L’armée sans doctrine et les troupes issues des régions frondeuses frontalières avec l’Algérie n’étaient pas disposées à faire couler le sang tunisien dans un combat dont elles ne voyaient ni la nécessite ni l’issue. Est-ce qu’Allah n’est pas capable de semer le doute, la confusion et la terreur dans le cœur des fonctionnaires de l’appareil répressif? Il est vrai que le Général Ammar a négocié avec les Américains car ceux-ci étaient doublement paniqués. Perdre un bastion avancé dans la lutte antiterroriste et le système de renseignement de l’US Navy et de la CIA ou risquer de se ranger ouvertement du côté de la répression et perdre définitivement la face dans une bataille qui en durant, en s’enracinant et en s’élargissant annonçait le triomphe du peuple.
Pragmatiques, les Américains ont reconnus leur défaite sur le plan du renseignement et se redéploient dans un environnement devenu hostile pour eux. Pourquoi leur donner plus d’importance qu’ils n’ont eue dans la révolution tunisienne ou égyptienne? Leur donner de l’importance c’est faire douter les Arabes de toute tentative de changement et leur présenter les nouveaux acteurs comme des traîtres et ce n’est ni intelligent ni juste tant sur le plan de la réalité historique que sur le plan moral.
En Égypte c’est pire. Faire la coïncidence de la visite des chefs militaires égyptiens à Washington comme preuve du complot ourdi par les artistes américains c’est prendre non seulement les Égyptiens mais les Américains pour des cons. L’histoire a ce côté surprenant et imprévu que le Philosophe même le plus rationnel accepte mais que le Musulman croyant au destin et à l’intervention de la providence divine récuse pour faire accepter l’idée que les Américains sont les maîtres du jeu du début jusqu’à la fin, donnant crédit à la fin de l’histoire humaine et à toute idée de résistance. S’ils étaient réellement et absolument maîtres du jeu, ils n’auraient ni paniqué, ni perdu la boussole ni tout tenter pour continuer à imposer leur vassal Moubarak et son allié stratégique Omar Souleyman qui ont sollicité l’armée. L’armée est intervenue pour mater le soulèvement. Le hic c’est qu’elle est intervenue avec son passif d’une armée commandée par des corrompus, d’une armée sans doctrine de guerre et dont la vocation n’est pas de faire le travail de police. Cette armée tant par son histoire que par la culture du patriotisme qui a besoin de héros, est une armée aimée par son peuple et elle le sait. Que peut-elle faire devant des millions d’Égyptiens répartis entre les grandes villes et les campagnes? Que peut-elle faire pour se substituer à un appareil sécuritaire effondré devant la marée humaine qui l’a vaincu dans un face à face sanglant et dans une détermination qui force l’admiration et le respect.
Tariq Ramadan devrait voir ou revoir le film soviétique Potemkine réalisé par Sergueï Eisenstein, sorti en 1925. Il traite de la mutinerie du cuirassé Potemkine dans le port d’Odessa en 1905, de l’insurrection et de la répression qui s’ensuivirent dans la ville. Il montre les rapports de classes dans l’armée tsariste identique aux rapports de classe dans la société russe. L’armée égyptienne est devenue une armée de classe et ses généraux l’ont amené à faire la faute la plus grave et que j’avais commenté pour annoncer la victoire des manifestants sur l’armée égyptienne dans la place Tahrir et pratiquement la chute de Moubarak. Voici ce que j’avais écrit quand l’armée a pris place dans les rues et les places publiques mais Tariq Ramadan ne connait pas le fonctionnement des armées, le déroulement des révolutions et ne peut donc comprendre et encore moins expliquer ce qui lui échappe :
« Le commandement militaire est certes impliqué dans les commissions et l’habitude de travailler de concert avec l’armée israélienne et américaine. L’armée américaine a intimidé et menacé l’armée égyptienne en utilisant la carte de l’aide américaine et ses dossiers sur la corruption. Mais la solution ne viendrait pas du commandement militaire mais des soldats et de leur hiérarchie directe. L’armée égyptienne a une culture que la corruption de ses chefs ne peut effacer : Elle a conduit des révolutions, elle a conduit des guerres contre Israël, elle a soutenu les guerres de libération et les résistances anti-coloniales. Aujourd’hui elle se retrouve sans véritable doctrine : Elle n’a ni vocation à combattre ni celle de faire la police de répression ni l’humanitaire militaire. Elle est donc déchirée entre sa culture traditionnelle populaire et sa marginalisation par la « paix ». Les décisions de ses chefs vont êtres décisives dans les heures ou les jours à venir… Se ranger du côté du peuple et tenter un coup d’État blanc ou tenter l’aventure d’un bain de sang dont l’issue est incertaine face à un parti au pouvoir corrompu, vieillissant, en fuite ou agonisant ?
C’est une armée de service national, une armée populaire. Le soldat confiné dans son casernement digère le travail psychologique qui lui présente le civil comme un irresponsable, un non nationaliste et un instrument au main de l’étranger qu’il faut mater pour sauver la patrie et sauver la vie du soldat qui défend cette patrie. Ce discours propagandiste amène fatalement le soldat à faire feu sur la population civile dans ce que les militaires appellent une « offensive dans la foulée » sur la population. Dans cette offensive menée comme un combat de rue, le soldat voit le civil comme un ennemi désincarné. L’erreur que le peuple égyptien peut exploiter est celle du commandement qui a mis le militaire avec son armement et son blindé au contact de la population civile pour éviter que l’effondrement sécuritaire ne devienne un soulèvement armé. Il était difficile pour cette armée de s’impliquer d’entrée de jeu dans la répression sans voir les conséquences de la révolution iranienne qui hantent tous les états majors au service d’un tyran : Tuer des milliers de morts, perdre l’honneur militaire et puis perdre les commandes de l’armée. Ce contact pacifique, le temps de voir la situation évoluer ou de l’empêcher d’aller aux lignes rouges, a « humanisé » le soldat qui voit maintenant le civil comme un être incarné et il lui sera difficile de lui donner la mort ou de le blesser dans un rapport de force disproportionné. Le civil en côtoyant le militaire dans les rues a perdu la fascination qu’exercent sur lui l’armée et la peur qui va avec. Voir chaque jour un blindé ou une baïonnette les rends moins impressionnants et moins redoutables.
Sans entrer dans les détails, on peut dire que le déploiement précipité et incompétent des forces militaires a paralysé toute action répressive de l’armée. Pour que l’armée intervienne comme force de répression, il lui faut redéployer ses troupes et les remplacer par d’autres qui sont restés confinés dans leur casernement ignorant les enjeux véritables et surtout déshumanisés par leur confinement. Si les manifestants sont organisés, ils doivent éviter la violence et surtout éviter le désengagement de l’armée. En fermant les accès, en entourant les blindés et en donnant à manger au militaire, non seulement il y a un acte de fraternisation qui rend la répression impossible mais place l’armée sur le plan de l’image et du moral : Otage symbolique du peuple. Comment donner l’ordre à un militaire de tenir longtemps confiné à vivre dans un cercueil roulant avec des besoins humains physiologiques, psychologiques, affectifs et logistiques incontournables. Il va y avoir un point de rupture car le militaire placé dans de telles conditions va craquer et va provoquer la victoire de la révolution en lui faisant l’économie du bain de sang et la pousser à s’attaquer aux bastions institutionnels du régime sans crainte ou prenant le risque d’affronter les chars et les troupes de l’armée s’interposant entre les symboles de la puissance publique confisquée par un parti et le peuple cherchant à s’approprier ces symboles pour en faire une chose publique qui exprime sa souveraineté et qui œuvre à son service. C’est la prise de la Bastille dans un autre contexte et pour une autre finalité et avec d’autres moyens.
Depuis deux jours on assiste à des tentatives de redéploiement de l’armée. Les assurances sur la neutralité de l’armée que donne le chef d’état major à quelques manifestants n’est que de la communication pour engager ce redéploiement. Dans cette situation de blocage, l’armée va être mise à contribution soit par des provocations venant de la part d’éléments infiltrés au sein des manifestants ou de provocation au sein d’éléments infiltrés dans les forces armées provoquant ainsi la panique dans la population et le déclenchement de la peur chez les jeunes soldats qui se trouvent en situation exceptionnelle et qui vont réagir de manière exceptionnelle : Tirer sur une foule anonyme par son caractère « hostile ». Le peuple égyptien peut se libérer de ce scénario en prenant l’initiative d’une dynamique inédite qui ne fait place à aucune improvisation ni compromis : Ouvrir une passerelle de dialogue avec le commandement tactique et opérationnel de l’armée qui peut basculer en faveur du peuple ou imposer à son commandement stratégique une sortie honorable en redonnant à la politique sa place dans le conflit et désengager l’armée.
Les Frères Musulmans, étaient le dispositif le mieux organisé pour apporter le changement de rythme qui mène à la désobéissance civile et à un nouveau virage décisif contre l’impérialisme et le sionisme, ont fait une erreur stratégique en acceptant le dialogue ouvert avec Omar Suleyman. C’ est stratégiquement et tactiquement un ralentissement, une hésitation, une temporisation qui disqualifie les Frères Musulmans comme elle a disqualifié le fameux comité des sages conduit par Amr Moussa, le Secrétaire général de la Ligue arabe. Les masses égyptiennes ne se laisseront pas duper et les Frères Musulmans vont se trouver dans un aiguisement des contradictions qui vont les pousser à apporter tout leur poids social, politique et organique au triomphe du combat des masses sinon ils vont imploser de l’intérieur ou se couper entre base militante et vielle hiérarchie des compromis. Plus le rythme s’accélère et plus la radicalité s’impose, plus les intérêts des partenaires économiques et politiques du régime sont en jeux et plus ils vont lâcher ce régime ou du moins s’en éloigner. Si les savants salafistes saoudiens entrent dans la danse pour discréditer la révolution et les savants religieux qui la soutiennent cela signifie l’isolement de plus en plus grand du régime égyptien et la panique de ses alliés, les monarchies arabes vassales de l’empire américain. Effectivement la faute est commise : Les prédicateurs saoudiens prennent le risque d’aller à contre courant de la volonté des peuples car il y a le feu en leur demeure. Le peuple égyptien vient enfin de se libérer de la fascination des savants saoudiens et de la hiérarchie des Frères musulmans. Les voies de communication entre le pouvoir et le peuple, entre l’Amérique et le peuple sont fermées.
Il ne reste que la confrontation ou la réconciliation entre le peuple et l’armée. Les Égyptiens ont gagné la première bataille politique et psychologique. Ils ne doivent pas faire comme le FIS algérien en donnant à l’armée l’occasion de remporter sur eux une victoire militaire car ils perdraient non seulement la victoire politique mais ils iraient là où l’Amérique et le sionisme veulent les conduire : Un déchirement sanglant et long ou tous, armée, partis politiques et peuple seront les perdants.
Dans ces moments cruciaux nous voyons certains musulmans céder à l’euphorie en se contentant de juger les façades sans voir les enjeux stratégiques et d’autres céder à la polémique en faisant des espaces de liberté en Occident des forums de désinformation sur l’Islam ou de haine contre les peuples occidentaux en faussant le rapport de l’Islam à la liberté et à la démocratie. Quelque soit le cours des événements dans les heures ou dans les jours à venir la situation reste encore hors de contrôle des Administrations sionistes et impérialistes et elle le restera longtemps encore si les Arabes et les Musulmans surmontent le Wahn et l’Euphorie. Le Wahn comme l’euphorie rendent toute chose impossible à réaliser car la dimension rationnelle est amputée de l’action, la finalité est absente et les moyens adéquats ne sont pas mobilisés avec pertinence (adaptation au lieu), opportunité (adaptation au moment historique) et cohérence (nos valeurs et nos stratégies dans une représentation saine et globale de la réalité)… Contre le Wahn et l’euphorie nous assistons à un déploiement efficace des assemblées et des comités des jeunes révolutionnaires. Si jamais la révolution égyptienne avorte, jamais l’Occident ni Israël ni le régime égyptien ne pardonneront aux égyptiens de les avoir défié. Les Baltajias, les escadrons de la terreur, n’étaient qu’un aperçu de la vengeance brutale qui attend son heure comme un myriapode à plusieurs têtes et à plusieurs mains dont les principales sont bien cachées en Occident.
Plus le temps passe, plus le peuple se nourrit de sa propre dynamique et les troupes militaires issues du peuples se restructurent mentalement soit par la sympathie pour le peuple soit par l’usure car une armée a pour vocation de livrer bataille sur un terrain militaire et non de rester confinée dans des places publiques isolées de ses bases arrières. Un char Abra doit se sentir petit et isolé dans la marée humaine qui l’encercle.
La restructuration en cours dans le champ politique et social va inévitablement se transformer en exigences idéologiques, politiques et économiques de démantèlement du régime de fond en comble. On voit déjà la liberté, la solidarité sociale et le multipartisme s’imposer de fait dans le champ et la dynamique des manifestations sociales et politiques rendant le retour en arrière presque impossible même si le prix du sang à payer sera exorbitant.
L’acte de fraternisation qui casse les barrières sociales, les tabous politiques et les carcans totémiques se réalise non par le discours religieux sur la fraternité islamique mais par la praxis sociale c’est-à-dire par le partage des mêmes revendications, de la même souffrance et du même strict minimum vital pour dormir et manger. Le sentiment de justice sociale qui crée la fratrie religieuse, sociale et humaine se réalise au quotidien par la solidarité dans l’épreuve et dans le partage. Vouloir vivre ensemble en tant qu’être humain dans la liberté, la dignité et le respect mutuel est le plus grand acquis quand ce vouloir vivre ne gomme pas la pluralité et la diversité.
Submergé par le ras de marée humaine, l’armée fut mise dans l’incapacité de réprimer l’insurrection du fait du contact prolongé des troupes avec la population et non du caractère républicain de l’armée comme le patriotisme exacerbé pouvait le laisser croire. Le commandement de l’armée égyptienne a pensé réussir un coup de génie en faisant démettre le président pour sauver le système et éviter la répétition du scénario des jeunes colonels et de Nasser tout en donnant l’impression que la révolution menée par le peuple a réussi. D’ailleurs Clinton ne cache ni son soulagement ni sa satisfaction: « Je pense que les militaires égyptiens ont fait montre, par leur retenue et leur appui à la liberté de rassemblement, d’un engagement très fort auprès du peuple égyptien ». Pour l’instant l’armée va trop lentement avec un but évident d’enliser la révolution populaire dans la diversion, la dispersion et de donner au parti unique de Moubarak le temps de reprendre son souffle, son courage et récupérer sa main mise sur le pays à travers ses appareils communicationnels, économiques et sécuritaires.
Il est vrai que les tyrans qui nous gouvernent et l’impérialisme qui les commandent connaissent la psychologie du Wahn des peuples arabes et musulmans qu’ils ont façonnés, humiliés, asservis et aliénés. A peine la « démission » de Moubarak annoncée voila que la rue égyptienne perd toute retenue et toute compétence de raisonnement, de vigilance et de continuité dans les exigences de renverser le régime. Comme en Algérie en 1962, le peuple s’est mis à chanter, à danser et à transformer une révolution larvée en kermesse. Le lendemain, les millions de personnes retournent chez eux pour vaquer à leur occupations comme si de rien n’était. Dimanche, le conseil suprême des forces armées a indiqué que « il prenait en charge la direction des affaires du pays provisoirement pendant six mois, ou jusqu’à la fin des élections législatives et pour la présidence de la République ». Le carré des meneurs de la révolution fut manu-militari expulsé de la place Tahrir. Clinton semble féliciter l’armée égyptienne et rassurer le congrès américain en déclarant : « Ils ont jusqu’à présent fait la preuve de leur sérieux et de leur engagement en faveur d’une transition qui conduira, nous l’espérons, à des élections libres et équitables ».
Dans ce moment où l’Amérique pensait avoir récupéré la mise en faisant baisser la tension, Obama fait la promesse d’apporter son soutien à la démocratie égyptienne sous forme d’aide financière et d’expertise politique et juridique à ses valets présents dans les partis politiques et les élites économiques et culturelles. En donnant importance au respect aux traités internationaux et en laissant les revendications populaires dans le flou, l’inconnu et des termes de temps sans limites et sans calendrier, le Conseil militaire aiguise les contradictions contre sa propre existence et sa propre légitimité. Les révolutionnaires en contre partie exigent des garanties dont notamment un directoire présidentiel de transition dans lequel l’armée aurait un membre à côté d’un membre de l’institution judiciaire et le reste composé des représentants élus par la révolution. Clinton de son côté exige plus : « Les mesures qu’ils ont prises jusqu’à présent sont rassurantes mais il y reste beaucoup à faire ».
Le bras de fer entre le peuple et l’armée n’est pas achevé
Je continue à livrer quelques extraits de mon analyse au quotidien pour comprendre le rapport – armée / peuple – et – armée / États-Unis – qui rend la théorie non violente un conte de fées, une diversion idéologique.
A travers l’inefficacité de l’armée égyptienne, non préparée à ce scénario dramatique, c’est encore une fois l’Amérique qui monte au créneau pour fixer le cap en se prétendant être à la fois la feuille de route, la boussole, le gouvernail et la vigie d’un bateau égyptien qui a pris le large défiant le destin et à l’insu du chef de comptoir colonial. C’est toujours Clinton qui tente de se rassurer : « Le moment est très difficile pour les militaires égyptiens ». Comment ne le serait-il pas quand les élites et le peuple égyptien reprennent leur esprit et commencent à s’organiser organiquement et intellectuellement avec des questions lancinantes : Pourquoi continuer à vivre sous l’ancien régime, pourquoi laisser l’armée continuer à exercer sa tutelle, comment le peuple doit exercer sa souveraineté, pourquoi se référer à une légitimité autre que la révolution populaire elle-même sans autre tutelle que le peuple, comment représenter ce peuple et garantir la pérennité de la révolution dans sa dynamique de transformation politique et sociale ?
Le commandement supérieur de l’armée tenue dans une vie de rente, sans doctrine militaire et sans contact avec la population égyptienne dont il ignore la vie, les malheurs et les revendications en se mettant en première ligne a été surpris par l’ampleur et la radicalité des revendications sociales. Ces revendications sociales légitimes et contenues depuis trente ans pouvaient faire dévier la révolution ou la noyer sous les exigences corporatistes mais le conseil militaire en « confisquant la révolution » se trouve confronté à la colère de la rue, une colère qui est d’ordre social, économique et qui demande à être réglée d’urgence. Ce n’est pas la vocation de l’armée que de superviser la restructuration syndicale et de canaliser les exigences populaires vers plus de liberté syndicales, plus de démocratie participative et plus de justice sociale. Elle n’a ni l’expérience ni la logistique ni le champ libre face aux forces économiques et idéologiques contre révolutionnaires de s’engager dans l’humanitaire et l’aide sociale à moins de s’appuyer sur le réseau caritatif des Frères Musulmans. Dans ce dernier cas ce serait une révolution dans la révolution ! Le Conseil supérieur s’est mis donc dans la situation du serpent qui se mord la queue. Clinton et l’Administration américaine assiste de plus en plus impuissant à un scénario qui leur échappe : « On leur demande à présent d’assumer une responsabilité qui ne figure pas dans le manuel des jeunes officiers : Comment mener un pays à la démocratie par une transition pacifique et en bon ordre ». L’inquiétude américaine cache une menace : Les USA combattront la démocratie qui mettrait en péril leurs intérêts et l’existence de leur gendarme.
L’armée égyptienne ne peut prendre le risque d’aiguiser les contradictions politiques et sociales et d’entrer en conflit ouvert avec le peuple et perdre non seulement le prestige hérité de la guerre et de Nasser mais perdre la bataille contre un peuple qui ne veut pas être dépossédé de sa révolution. En tous les cas, la crise qui est s’est installée entre d’une part l’assemblée générale des différents comités, secrétariats et conseil de la révolution et d’autre part le conseil suprême des forces armées va sans doute libérer le peuple égyptien et arabe du patriotisme infantile qui glorifie la patrie et l’armée au détriment de la glorification des idéaux de foi, de liberté, de dignité.”
Ce sont quelques extraits de mes chroniques des heures et des jours de veille sur la révolution égyptienne. J’ai fait exactement la même chose sur la Tunisie et la Libye. Je l’ai fait pour ma conscience, ma foi, ma dignité et je l’ai partagé avec mes lecteurs. Ici je n’ai livré que quelques extraits pour appuyer ma contradiction à Tariq Ramadan et à ses visions réductrices. Par respect pour cette révolution, j’ai écrit un livre dans lequel je n’ai mentionné aucune ligne des centaines de pages que j’ai tenues sur les révolutions arabes. Ce livre donnait une lecture coranique d’un mouvement révolutionnaire qui pouvait se donner toutes les chances de réussir n’importe où et dans n’importe quelles conditions ainsi que les les risques de dérapages qui peuvent arriver et qui sont arrivées en Libye quand on respecte pas scrupuleusement les règles coraniques et les principes mohammadiens.
Il est inutile de citer d’autres extraits de mon analyse en temps réel de la situation égyptienne. Le commandement des forces armées égyptiennes s’est institué en pouvoir provisoire mais jusqu’à ce jour la révolution égyptienne n’a pas baissé les bras. Les luttes de pouvoir s’aiguisent, la légitimité de l’armée et de son rôle hors de ses casernes et du champ de bataille miliaire se pose avec sérieux à la conscience sociale et populaire qui a rompu avec la vision idyllique et patriotique romantique. Il y a des manifestations, des affrontements et des revendications demandant le départ du maréchal Tantaoui qui veut s’instaurer comme tuteur de l’État Égyptien pour le compte des États-Unis. Ce qui confirme une fois de plus que la lutte entre les peuples arabes et l’Amérique n’est pas achevée. Ce qui confirme une fois de plus qu’il faut continuer de supporter et d’entretenir la flamme révolutionnaire dans le monde arabe et ne pas la discréditer. L’intellectuel a le devoir de rappeler que le clivage ne doit pas se faire entre islamistes et non islamistes et autres étiquettes mais entre souveraineté nationale et liberté des peuples d’une part et tutelle étrangère, dictature des militaires et monopole économique du marché capitaliste d’autre part. Dans un clan comme dans l’autre nous trouverons des islamistes, des nationalistes, des libéraux, des laïcs.
L’intellectuel doit aider à clarifier le clivage et l’aiguiser sur l’essentiel et le prioritaire. A la veille des élections, le peuple égyptien lance une offensive contre le maréchal Tantaoui pour que l’armée ne soit plus la tutelle du peuple, de la Constitution et de la gouvernance, en un mot le peuple est conscient de livrer une bataille contre la tutelle de l’Amérique. Il n’y a pas une bataille ni un front de bataille mais dix… Le temps qui a dévoilé la vérité de BHL vient de dévoiler les contre vérités de nos intellectuels qui méprisent les Arabes et leur révolution. La colère gronde de plus en plus contre le Conseil suprême des forces armées égyptiennes qui s’est installé avec le consentement des salafistes et d’une partie des Frères Musulmans comme tuteur de la révolution, de la Constitution et de l’avenir de l’Égypte.
Comme c’était prévisible pour celui qui lit la littérature égyptienne et qui retrouve dans son propre pays les mêmes contradictions sociales et politiques au sein de la société égyptienne, les Apparatchiks de l’armée sont de nouveau face à la fronde populaire qui remet en question le pouvoir de l’armée et le retour de la politique de répression de l’ère Moubarak. Le vice premier ministre a mis le feu au poudre dans une Égypte qui a renoué avec la répression et les tribunaux militaires. Il avait annoncé deux graves décisions jugées inacceptables : La décision de conférer une immunité tacite à l’armée en la soustrayant au contrôle du Parlement ; lui donner le droit de regard sur la rédaction de la Constitution en accordant à l’armée de nommer les trois quarts de la constituante au lieu d’être tous issus du futur Parlement. La révolution populaire n’est pas linéaire comme la théorie de la non-violence pratiquée par Lech Valesa en Pologne ni celle pratiquée en Roumanie ni celle pratiquée en Georgie . Elle a ses pics de violence, ses accalmies, ses percées, ses reculs, sa propre dialectique. Encore une fois il ne s’agit pas d’exonérer l’Amérique de ses mensonges mais de ne pas spolier les peuples arabes de leurs luttes. L’Algérie a payé comme prix de la contre révolution organisée par la France et les Etats-Unis : 200000 morts, 20000 disparus, 1 million de populations déplacées, une économie moribonde malgré les réserves astronomiques… Même si l’Amérique a comploté, le peuple arabe n’est pas dupe et il continue de livrer bataille.
Si «Le régime militaire est mort, est mort» ainsi que «Liberté, liberté !» sont les nouveaux slogans des manifestants, « Nous sommes profondément inquiets des violences » est par contre l’inquiétude qui s’empare de nouveau de la Maison Blanche, s’exprimant par son porte-parole Jay Carney. Les Américains comme au début ne maitrisent pas l’agenda et désespérément font appel à « toutes les parties à la retenue » ont peur de voir le processus qui a fait tomber Moubarak leur échapper de nouveau « il est important que l’Égypte continue à progresser [vers la démocratie]. »
Assam Charaf celui qui a été plébiscité par la place Tahrir pour être installé comme chef du gouvernement est contesté au même titre que l’armée pour la lenteur de ses réformes. Le mouvement de contestation prend des formes de plus en plus violentes de part et d’autres et s’étend sur l’ensemble de l’Égypte et tout particulièrement au Caire et à Alexandrie car la révolution savait qu’elle a fait tomber un emblème et qu’elle donnait le temps pour un changement pacifique. Rien ne peut s’opposer à la volonté populaire : Ni pourrissement voulu par l’armée, ni le jeu maladroit de ‘Amr Khaled de remettre le peuple en état de travailler en proposant des arrangements d’appareils, des médiatisations de l’armée faisant du social, en galvanisant le patriotisme teinté d’Islam pour remettre l’appareil économique à produire alors que les antagonismes de classes sont toujours présents, l’injustice sociale est présente avec ses causes et ses processus…Le véritable danger est de voir le scénario FIS / Hamrouche / Nezzar se reproduire avec le scénario rue égyptienne / Assam Charef / Tantaoui avec une annulation des élections, leur trucage ou leur contestation pour amener l’Egypte à une guerre civile.
Les Égyptiens reviennent aux slogans du début de la révolution : Un conseil révolutionnaire pour gérer l’après Moubarak, l’élection rapide d’un Président de la République ayant plein pouvoir et l’armée qui devient une structure au service de la défense du territoire et non une institution au dessus des lois et supervisant l’État. J’avais écrit au début de la révolution que les Égyptiens devaient tirer les leçons algériennes d’octobre 88 et de Janvier 92 qui consistent à faire avorter en même temps les réformes politiques et économiques et la confiscation de la souveraineté du peuple. Ce langage n’est pas celui relayé par Cheikh Google, Facebook et Twitter mais celui porté par les mentalités collectives arabes qui suivent chaque événement, chaque défaite, chaque victoire, chaque erreur dans le monde arabe et l’emmagasine dans leur existentialité. C’est mépriser le peuple que de voir en lui cet être que l’oppression a rendu amorphe, apathique, inerte et ne pas voir en lui l’ingénieur ingénieux qui construit sa mécanique interne de résistance et de changement dès qu’il entrevoit la faille pour s’y engouffrer et ouvrir la brèche pour lui et pour les autres peuples en alerte.
Tous nous savons ce que veulent les États-Unis, Israël et les armées arabes : Fermer les brèches et caporaliser la dynamique populaire ou la criminaliser pour qu’elle ne fasse pas tâche d’huile mais peu d’intellectuels arabes savent ce que veut réellement le peuple arabe qui mène depuis des décades des luttes pour retrouver sa liberté, sa dignité et sa souveraineté. Encore une fois la problématique n’est pas dans les termes révolution ou soulèvement mais dans l’expression d’un peuple, sous forme de manifestation ou sous forme de résistance passive ou violente, qui prend son destin en main. C’est ce que vient de confirmer la Place Tahrir ou un interviewé dit : «On débat de la question de savoir si c’est la deuxième révolution. Mais, pour les gens dans la foule, c’est toujours la première : Ils pensent qu’ils n’ont eu qu’une demi-révolution et qu’elle s’est terminée par un coup d’Etat». Encore une fois l’intellectuel, généré par la douleur du peuple et enfanté par la dynamique populaire, lutte pour redonner à ce peuple l’initiative historique lorsque que celle-ci lui est confisquée et proclame tout haut et tout fort que quelque soit le temps mis pour accomplir cette initiative de son expression libertaire à l’exercice de la liberté par des institutions et des gouvernants qui garantissent cette expression et son exercice authentique.
Il faut du temps au temps car le Temps est une créature d’Allah qui entre en scène, vit et meurt comme toute créature qui a un destin à accomplir et une mission à réaliser et à cet effet elle est facilitée vers ce pourquoi elle a été existentialisée ici et pas ailleurs, en ce moment et pas en un autre. La naissance, la vie et la mort des moments mystiques dans la vie d’un peuple sont l’occasion de se réapproprier sa liberté, sa dignité, sa mémoire, son identité, son appartenance civilisationnelle. Plus le moment mystique ressurgit comme une résurrection plus l’intellectuel doit apporter sa voix pour donner un contenu plus idéologique, plus politique et plus institutionnel à la liberté, à la « démocratie », à l’égalité, à la dignité, à la souveraineté du peuple pour qu’ils ne soient pas confisqués une nouvelle fois par l’Occident néo colonisateur et son mondialisme « indifférenciateur » et négateur des civilisations. La plus grande bataille que doit livrer l’intellectuel est de dire et de faire comprendre aux autres que la véritable liberté est celle de penser, de dire et de faire en dehors des appareils de l’État. Ce n’est pas un mouvement vers l’anarchie mais la confirmation de la socialisation c’est-à-dire donner plus de poids à la société et faire de l’État une chose publique qui rend justice, qui arbitre entre les différents intérêts légitimes et légaux et qui défend la société. La vocation de l’intellectuel n’est pas de haranguer un public ou de l’inciter à la confrontation s’il n’a pas qualité d’orateur ou s’il n’a pas de présentiel dans une manifestation ou un soulèvement. Sa vocation est de dire c’est-à-dire de nommer les choses comme elles doivent être nommées.
En acceptant le dialogue avec Omar Suleyman, en acceptant le dialogue avec l’armée, en refusant la constituante au nom du maintien de l’Islam comme religion de l’État, les Frères Musulmans ont accrédité l’idée que la révolution égyptienne est une conspiration américaine ou un complot israélien pour exclure le peuple égyptien et les autres peuples du débat sur les enjeux majeurs de ce troisième millénaire. Dans cette théorie du complot, il y a ceux qui présentent les Frères Musulmans comme alliés de la conspiration de Satan et il y a les autres qui les présentent comme victimes sacrificielles car ils vont donner excuse à une intervention étrangère violente. Le peuple en intervenant dans le débat reprend l’initiative et remet les pendules à l’heure et les enjeux dans leur centre de gravité. Malgré les manœuvres de diversion et le sentiment patriotique des canailles que l’armée a su cultiver pendant 60 ans, le peuple égyptien vient de réaliser que le maréchal, ses généraux et l’institution fantoche qu’ils viennent de créer pour satisfaire les États-Unis sont le coeur du problème et non sa solution. Tout le système mis en place par les 10 commandements américains, à travers les réajustements structurels du FMI et le tout sécuritaire, est en train de s’effondrer comme un chateau de cartes. L’armée arabe dans sa configuration actuelle est le problème majeur. Chaque défaite politique et économique infligée à la hiérarchie militaire est une défaite de l’impérialisme.
L’ancien diplomate Abdallah al Achaal, futur candidat aux présidentielles, se distingue de ‘Amr Moussa et de Mohamed ElBaradeï avant le soulèvement et jusqu’à ce jour comme anti sioniste et anti impérialiste. Il revient en force pour revendiquer un État de droit indépendant de l’hégémonie américaine, d’Israël et de l’armée. Il est bon de retenir les positions d’Al Achaal sur les négociations arabes et le processus de paix avec Israël pour comprendre sa position et son engagement dans le combat qu’il mène auprès du peuple égyptien sans avoir la même médiatisation :
« … le problème est que le processus de paix qui est bâti sur la négociation conformément à la partie arabe, diffère de celle d’Israël et ses points forts avec en tête la répression militaire, la procuration politique qu’il reçoit des habitants d’Israël et enfin le soutien américain illimité. Plus important encore est l’objectif déclaré, à savoir celui de réaliser le plan d’Israël uniquement, de manière à ce que le processus soit un outil pour revêtir son plan de la légitimité requise. C’est effectivement ce scénario qui a abouti. Nous avons alors été témoins d’un recul de la volonté arabe collective, de la vision arabe globale de la gestion du processus de paix avec Israël. Sans oublier bien sûr le rôle primordial joué par Washington au niveau des pressions exercées sur tout le monde pour empêcher une cristallisation de la vision arabe. Ce qui aboutirait par conséquent à une perte d’Al-Aqsa, à la judaïsation de Jérusalem et de la Cisjordanie… La division arabe est inhérente au plan israélien qui estime que la réconciliation serait établie automatiquement si une volonté arabe globale existait en vue d’isoler Israël de la région dans un affrontement arabe global. Raison pour laquelle le plus dangereux dans cette pérennité du conflit arabo-israélien, vieux de 40 ans, est qu’Israël et ses symboles sont devenus des faits habituels dans les consciences arabes. »
Si les intellectuels arabes voient la main de l’Amérique qui anime un processus de non-violence ce n’est pas le cas des sionistes. C’est le ministre chargé de la Défense passive, Matan Vilnaï, qui a exprimé, mercredi, son desespoir à ne pas voir le maréchal Tantaoui maîtriser le nouvel élan révolutionnaire : « La situation est problématique, sensible et pas claire. Tantaoui tente d’éviter le chaos et de transmettre le pouvoir de la façon la plus ordonnée possible. Nous espérons qu’il va réussir et les Egyptiens doivent aussi l’espérer, sinon ce sera le chaos général et ce sera très mauvais, pour l’Égypte ».
Entre les déclarations de l’Arabe Abdallah al Achaal et celles du sioniste Matan Vilnaï se jouent les véritables enjeux que notre intellectuel ne peut ni voir ni entendre car sa culture du compromis l’a amené à s’assoir à la même table que les sionistes qui hantent les médias français. Ayant du mal à se positionner sur l’échiquier idéologique, notre intellectuel ne voit pas la tragédie du « un pas en avant, deux pas en arrière » des Frères Musulmans qui faussent toutes les lectures politiques car ils sont dans l’incapacité de fixer le marqueur politique depuis la révolution contre le roi Farouk à ce jour sur une ligne stable et affichée autour de laquelle les Egyptiens peuvent se fédérer : Pour, contre ou en situation de soutien critique. Ils subissent la répression, ils sont incapables de sortir de l’impasse et lorsque les militaires ou le peuple mène sa révolution ils se retrouvent en retrait, encombrant le champ de vision et puis surgissant de nouveau pour tout brouiller. Celà n’est pas le résultat de la théorie de la non violence américaine mais leur incapacité à créer un cadre d’orientation idéologique où les clivages socio-historiques se font au delà du conjoncturel, de l’esprit partisan et du simple fait religieux. La maladie provient de l’absence de transparence et de pratique démocratique dans un mouvement qui fonctionne comme une confrérie presque maraboutique étouffant l’immense talent et l’immense réservoir de ses cadres amenés à composer avec le pouvoir et à faire de l’humanitaire social sans imprimer la marche de l’histoire vers la libération du peuple du despotisme et l’émancipation du capitalisme.
Le Fou, le Stratège et le Grand Échiquier
Dans une stratégie de communication redoutable et malhonnête, Tariq Ramadan s’attaque au dossier libyen en se déchargeant, sur plan religieux, sur Qaradhawi et sa Fatwa demandant l’assassinat de Kadhafi. La probité morale pour celui qui prend position en faveur de l’homosexualité, de l’avortement, de l’annulation de la lapidation et de la polygamie et du doute sur l’obligation de porter le voile est de prendre position sur le plan religieux sur une Fatwa assassine qui s’est appuyée sur une opinion partisane et une manipulation sans doute de l’entourage libyen de Qaradhawi qui ont joué sur ses sentiments en lui montrant des images affreuses supposées commises par Kadhafi ou son régime contre les Frères Musulmans de Libye. La vérité est au delà des passions, des intérêts et des traitements selectifs! Où sont les arguments religieux donnant alibi religieux à un mouvement séditieux armé par un savant qui a consacré sa vie à réfuter les arguments religieux et politiques des Kharijites? Où sont les arguments religieux donnant autorisation à l’ingérence étrangère ?
Tariq Ramadan est subtil, volatil, il pose la Fatwa de Qaradhawi comme un axiome philosophique : Vérité évidente mais non démontrable donc non discutable. Elle lui donne légitimité tout en lui permettant d’échapper au débat religieux et de se retrouver sous l’étiquette d’islamiste ou de Frère Musulman que lui cherchent Christine, Marine et consœurs . Il est dans de la casuistique cléricale , l’art de persuader et non l’obligation de parler vrai comme l’exige l’Islam.
Mais dans son raisonnement et son discours, il va explicitement non seulement donner crédit à la Fatwa de Qaradhawi mais à l’agression de l’OTAN qu’il ne condamne ni sur le plan juridique ni sur le plan philosophique en invoquant Kant et la paix perpétuelle faute d’invoquer l’Islam et ses règles à un public qui est en attente de connaitre l’Islam dans sa Grandeur, son humanisme par un grand intellectuel mondialement reconnu par son intelligence et son talent. En effet s’il ne peut prendre le risque de « choquer » ou d’entrer dans un « débat tranchant » sur l’Islam, il a en sa qualité de philosophe « la paix perpétuelle » de Kant pour répondre indirectement à BHL, à Obama, à Sarkozy et à tous ses transgresseurs du droit international qu’ils ont tissé et approuvé.
Il sait comme tout philosophe que Kant était en opposition intellectuelle et courageuse avec l’idée répandue chez les ignorants et les belliqueux qui pensent que la paix n’est qu’un intermède utopique et éphémère entre des guerres perpétuelles. Pour lui, si la guerre est l’état naturelle, la paix est l’état du civilisé qui l’instaure par le droit dans un effort humain, juridique, intellectuel, philosophique et diplomatique à inscrire comme idéal humain et social à atteindre. Kant va donner à l’Occident guerrier et belliqueux le principe de l’avènement du droit comme salut politique et la foi dans l’application stricte de ce droit comme règle de conduite pour fonder et préserver la paix. C’est ce principe et cette foi partagés qui vont faire de la paix entre les États un projet réaliste, une réalité perpétuelle et non une armistice que les intérêts des puissants violent à chaque occasion. En symbiose avec Rousseau et son « Contrat social », il pose les fondements de sa théorie de paix en s’attaquant au problème de la guerre qui est essentiellement la propriété qui doit se poser non plus en termes de possession mais en termes de droit. Le principe de citoyen du monde, de mondialisation est annoncé comme le triomphe du respect du citoyen et du droit.
L’intellectuel musulman vivant en Occident a matière pour argumenter sur le plan philosophique tout en étant en paix avec sa foi et à l’abri des islamophobes. Il peut se monter plus singulier et se mettre sur le plan strictement de la logique humaine en disant que la guerre sans raison valable et sans agenda affiché ne peut mener qu’à l’entropie et conduire à une autre guerre en réponse à cette guerre ou à l’exportation de cette guerre ailleurs sans droit ni justice ni morale. Ce qui est vrai par la logique impériale, historique et que confirme les événements tragiques en Libye. Qu’il vive en Occident dans un microcosme médiatique adulé par des fans en quête d’idoles, il ne peut se dérober à la règle des savants de l’Islam comme celle émise par Mohamed Al Ghazali : « Si la voix de la religion ne résonne point dans le combat pour la liberté, quand pourra-t-elle se faire entendre ? […] L’expulsion des colonisateurs-voleurs est une obligation inéluctable pour chaque musulman […] A ceux qui restent en arrière, incombe la tâche de purifier le front interne pour soutenir les combattants, et barrer chaque complot qui donne accès à l’occupant d’usurper les biens du pays, ce genre de Jihad, s’il est accomplit sincèrement, représente une participation effective avec les combattants, qui affrontent les colonisateurs ». Il n’est pas attendu de l’intellectuel d’enfoncer des portes ouvertes mais de donner sa lecture, même si elle est imparfaite, comment mettre en place des gouvernants légitimes en encadrant, en encourageant et en donnant du combustible idéologique, intellectuel et politique aux soulèvement arabes.
Mohamed Al Ghazali montre le cadre dans lequel s’inscrit l’engagement de l’intellectuel musulman pour contrecarrer le colonialisme et son vassal intérieur le despotisme intérieur : « … l’illumination du cœur, et l’éveil de la conscience […] Refouler l’injuste ; Prendre la défense de l’opprimé ; Inciter autrui à participer au refoulement de l’agression et de la fraude. »
On n’entend ni la voix de Hassan Al Banna ni celle de Mohamed Al Ghazali quand on est dominé par l’arrogance et flatté par le culte de l’idolâtrie de personnes en mal d’identité, en mal d’expression, en mal de connaissance de l’Islam. La logique d’arrogance de se planter comme le monopole du savoir et de la raison fait que Tariq Ramadan et ses semblables dans le monde musulman ne voient plus ceux qui vont tuer sous un étendard de confusion et de Jahiliya comme illégitimes et ne voient plus ceux qui vont se faire assassiner par le même étendard de confusion comme des êtres humains, des musulmans et que l’assassinat d’un « fou » ne se justifie pas et s’il se justifie, il ne peut être une raison pour se taire et occulter les milliers de morts innocents qu’il faut assassiner et les villes à détruire avant de trouver la cible désignée comme folle. L’humilité qui rend l’homme sensible au battement du coeur du monde aurait fait entendre à l’intellectuel l’analyse du psychiatre et sémiologue Serge Tisseron sur la « vache folle » dont le terme folie, la traque des bêtes dans les fermes, leur traitement dans les abattoirs et la traction voyeuriste devant les caméras de télévision sont une intrusion invasive sur le psychisme de l’individu qui conserve dans l’inconscient collectif les drames de l’Europe médiévale avec la peste qui décime d’un côté et les tribunaux de l’inquisition qui déciment de l’autre, mutilant le mental et fragmentant le corps social privé de compassion, de solution, d’espoir et de perspectives d’avenir autres que les hécatombes et les malheurs. Si tel est le dégât de l’image de la vache folle on peut imaginer le dégât du traitement infligé à un chef d’état arabe et musulman présenté comme fou et traité sans aucune compassion ni égard pour son rang ni pour son statut d’humain allant jusqu’à lui nier la symbolique du rituel mortuaire auquel a droit tout musulman sur cette terre.
En traitant Kadhafi de « fou », Tariq Ramadan entretient les traumas judéo-chrétiens du Moyen-age et ceux des Croisades, fermant la porte à tout raisonnement lucide, rationnel pour laisser sortir les peurs et les démons des sociétés occidentales privées de leur humanité par le capitalisme, le crédit, les nouvelles maladies, la peur du lendemain, les guerres mondiales. Pire il défonce la porte sur plusieurs fautes graves.
- La première c’est qu’il s’inscrit, alors que rien en apparence ne l’oblige, dans la logique de diabolisation de l’Occident de présenter l’homme à abattre comme un « fou ». Dans l’objectif de guerre médiatique, psychologique et militaire, l’occident ne dit pas que Kadhafi est « aliéné, malade mental » comme cela se dit de toute personne souffrant d’altération pathologique des facultés mentales. Il dit en termes allégorique de symbolisation inversée que Kadhafi est dénué de bon sens car son intérêt est de céder, il est dénué de prudence et nous allons avoir le dessus sur lui, il va à l’encontre d’un exil doré qui est la chose la plus raisonnable pour lui au lieu de finir lynché.
- La seconde c’est qu’il relaie les médias qui veulent présenter Kadhafi comme un homme qui mérite de mourir de la manière la plus abjecte car dépossédé de la raison, il est dépossédé non seulement de son statut de chef d’État mais de son humanité qui lui préserve un minimum de dignité et de compassion.
- Tariq Ramadan fait la troisième faute en s’inscrivant comme « idiot utile » comme si son QI a chuté devant le matraquage médiatique et se met à relayer le terme non de dément mais de fou dans le sens que Kadhafi a dépassé la mesure considérée par la norme occidentale comme convenable. La violence et l’intensité des propos inconsidérés de Kadhafi dénonçant une Croisade contre la Libye et acceptant de se soumettre aux décisions de l’Union africaine ou de Hugo Chavez mais pas à celle de l’Occident prouve le désordre mental de Kadhaffi qui ne se soumet pas au rapport de force en sa défaveur et il faut en finir avec lui car il peut causer des désordres à d’autres.
- La quatrième faute aussi vile et impardonnable pour un intellectuel se réclamant de l’Islam, c’est qu’il se met sur le terrain des jugements de valeur alors que la vocation d’un intellectuel, froid et calculateur comme lui, se veut d’être objective, déductive et non subjective.
- La cinquième faute est qu’il lui reconnait paradoxalement sa compétence de fin stratège. Soyons sérieux, il est rare de trouver un fou privé de raison et du sens de ses intérêts et doté des compétences d’élaborer des stratégies. Et c’est là où le discours est vicieux et ne correspond ni à l’éthique ni à l’esthétique d’un intellectuel se réclamant de surcroit musulman. En effet, faire admettre à une assistance que nous avons face à nous un fou, et que ce fou soit un stratège, cela signifie tout simplement qu’il fait admettre à l’auditoire naïf que ce personnage ne mérite ni pitié ni compassion humaine car il est capable de toutes les monstruosités, de toutes les nuisances. Kadhafi = pouvoir politique + génie machiavélique + pschychopate = Danger pour tous! Ce travail de connotation de mots et d’images est celui des laboratoires de psychologie et de traitement de choc de la CIA et de l’armée américaine. L’intellectuel doit savoir qu’il s’aventure ici sur un terrain miné, subversif… Il n’a pas le droit de prendre les choses à la légère. Ainsi non seulement la Fatwa de Qaradhawi est sensée mais celle de l’OTAN de mettre sa tête mise à prix mort ou vif comme un bandit dangereux pour son propre pays, ses voisins et pour la communauté internationale est la plus sensée, la plus juste, la plus légale. Pour la paix et la sécurité du monde, il faut vite en finir avec un fou stratège. Le crime est justifié, la mise sous camisole de force des consciences est effectuée par les médias et les « intellectuels ».
Le temps a montré comment le « fou » a fini dans une opération médiatique de désymbolisation qui a violé la compétence symbolique de l’homme de tisser du sens et l’ a entrainé par l’œil de la caméra du non sens à un orgiasme satanique où on cultive la jouissance bestiale et le festif des cérémonies de catharsis et d’exorcisme des foules païennes. Si c’est cela le travail et la déontologie d’un intellectuel, de surcroit musulman, et si c’est cela la signification des applaudissements des fans en quête d’idole et non en quête de vérité alors chaque musulman sincère devrait se mettre à pleurer sur son sort car c’est le règne des démons et des illusionnistes qui ont fait de la parole un bavardage de justification idéologique et non un canevas des idées de la Nahda ou de l’Islah dont a besoin le monde arabe pour s’émanciper de la prédation vorace du capitalisme et du satanisme des dominants qui ne respectent ni pacte, ni intelligence, ni sensibilité, ni droits ni humanité. L’imam Ali a laissé cette sentence : « A chaque fois qu’une tradition du Noble Prophète (saws) vous est rapportée, examinez-la, ne soyez pas satisfaits de la seule répétition textuelle de celle-ci, car il y a de nombreuses personnes qui répètent les mots contenant un savoir mais seuls quelques uns méditent sur eux et essayent de saisir pleinement le sens qu’ils transportent« . Que penser alors de ceux qui propagent les idées et les plans du colonialisme et du capitalisme sans en vérifier la véracité, la portée dans les esprits des Musulmans et la dimension dans la configuration de l’histoire qui se joue entre un colosse rationnel, réveillé et cruel et les peuples musulmans crédules, irrationnels et somnolents. Quel est le rôle de l’intellectuel : Éveiller les consciences, aiguiser les contradictions, inciter à la lutte pour s’inscrire dans l’avenir maitre de son destin ou se livrer à Satan?
Le Musulman qui ne rentre pas comme pion dans le jeu d’échec est assassiné comme Abdelkader Hachani ou mis dans la position de fou comme Ali Belhadj. L’Algérie avait déjà inventé le concept de bon Musulmans et de mauvais musulmans, de bons fils de Chahid et de mauvais fils de Chahid. Celà va continuer tant que le peuple musulman prolonge son long sommeil. Hélas lorsqu’il se réveille et se met en révolution il se trouve face à ceux qui le font douter, diaboliser sa révolution ou la récupérer en faisant semblant de la porter. Malek Bennabi a fait le fou en disant cette phrase géniale que nos élites n’arrivent pas à interpréter dans le théâtre de folie qu’est devenu le monde : « On pare l’idole pour humilier l’idée« . L’intellectuel ne doit pas servir l’idole ni avoir peur de dénoncer le fétichisme de l’idée ou de la personne comme l’avait souligné Mohamed Al Ghazali en s’attaquant à ceux qui croient défendre l’Islam et qui en réalité, consciemment ou inconsciemment le desserve : » Ils sont tels des gens qui bloquent une route sans en ouvrir une autre […] D’autres également ne font point de distinction entre les problèmes périphériques et les problèmes centraux, ni entre les sujets fondamentaux et les branches secondaires, ni entre les problèmes majeurs et ceux qui sont mineurs. Ils dépenseraient toute leur énergie pour combattre les problèmes secondaires. Ainsi, il est probable qu’ils attaquent par la mauvaise direction, là où le véritable ennemi attaque par une autre direction. Il leur arrive parfois d’attaquer même des ennemis imaginaires. Tous ces prêcheurs sont un pénible fardeau pour la Prédication Islamique. Ceux-là doivent être corrigés, tout comme ceux qui prêchent pour leurs profits personnels et non pour des principes islamiques sincères« .
Ali Belhadj est une personnalité sincère qui a payé un lourd tribut pour sa liberté de parole. Je ne suis ni son tuteur ni son mentor mais il doit faire mieux puisqu’il est un Moussabil dans la cause de l’Islam : S’entourer d’une bonne équipe qui lui donne une vision globale sur l’économie, la géostratégie et les jeux de pouvoir. Il doit écrire ses mémoires en écrivant au peuple algérien pour témoigner de sa vérité comme s’il était devant le Jour du Jugement dernier pour que les nouvelles générations tirent enseignement et qu’ils dévoilent les gens de l’ombre dans son camp et dans l’autre camp qui ont tissé ensemble la toile d’araignée pour diaboliser l’Islam et faire payer au peuple algérien le prix de ce qu’il voyait comme une révolution qui allait toucher les intérêts des rentiers et ceux du colonialisme. Il doit se libérer du rôle du fou dans lequel le régime l’a installé et dans lequel il semble se complaire. En étant complaisant dans le rôle taillé pour lui, il s’est mis, même s’il veut mourir en Chahid, dans deux postures qui ne servent pas sa cause :
- Être livré aux confréries maraboutiques et aux salafistes apologétiques de la monarchie saoudienne qui le traitent déjà de Kharidjite et qui n’attendent que l’ordre de le lyncher
- Être désavoué de ses anciens frères de combats impliqués dans le partage de la rente, l’importation et Houb ad Douniya
- Exprimer une haine et un esprit revanchard contre le régime en la retournant contre le régime libyen dont il a très peu de connaissances à part le discours des « islamistes » qui se sont fait les alliés de Satan. Le régime prépare sa succession dans des arrangements d’appareils et des combinaisons idéologiques où il pourrait servir de lapin aux éradicateurs et de test pour les Américains. Le Croyant ne se fait pas piquer deux fois par le même serpent…
L’intellectuel musulman est au service de la vérité et non au service du pragmatisme. Il doit indiquer le Taghut qui porte aujourd’hui d’autres noms et emploient d’autres méthodes et arguments. Il doit indiquer les voies pour se libérer du Taghut. Pour cela il doit construire sa propre grille de lecture ou choisir une autre grille de lecture mais il ne peut utiliser celle des ennemis déclarés de sa foi et de son peuple. Parmi ces grilles nous avons Shakespeare et ses fous. Le « fou » dans la tragédie shakespearienne est présenté dans un état d’humiliation et de déraison pour pouvoir dire et faire admettre la vérité la plus cruelle mais la plus vraie à un monde pris dans ses convenances, ses arrangements, ses combinaisons et sa déchéance morale. Ceux qui ont approché, même de près les tragédies de Shakespeare savent que les fous sont les seuls personnages qui disent la vérité avant de disparaitre comme le malheureux Macbeth » La vie n’est qu’un fantôme errant, un misérable comédien qui se pavane et s’affaire une heure sur la scène, et puis on n’entend plus … C’est une histoire dite par un idiot, plein de bruit et de fumée, et qui ne signifie rien ». Dans une Angleterre qui livre bataille contre elle même à l’intérieur de ses frontière et contre les autres à l’extérieur l’histoire sanglante devient un roman saignant qu’une plume trempée dans le rouge des lynchés et des décapités traduit en folie que n’arrêtent ni le destin ni le jeu des dieux. C’est l’histoire des anglo-saxons dans la cité et dans les palais royaux ; en mettant en scène l’extravagance du fou dans le palais royal, Shakespeare place le fou dans une sorte de contre pouvoir, un autre pouvoir en perspective moins factice, une image d’un garde-fou contre la folie et la cruauté du pouvoir.
Géostratégie exclue, économie tronquée
Quand on a tout perdu de ce qui fait l’émotion, l’intelligence on ne voit pas les objectifs cachés de guerre qui coïncide étrangement avec l’annonce de l’assassinat de Ben Laden et la difficulté impérialiste de contenir l’Égypte que le Prophète (saws) a qualifié de carquois de l’Islam. L’impérialisme ne joue pas à l’intellectualisme, il est efficace. Il annonce la mort de Ben Laden pour qu’aucun sosie ne viennent annoncer le Djihad contre les mécréants et le Croisés en Libye et fausser toute la couverture de la ligue arabe, des monarchies, des Djihadistes ignorants la réalité, des mercenaires rentiers du Djihad et des agents de la CIA qui combattent sous l’étendard de la confusion et détruisent un pays qui vivaient en paix.
Tariq Ramadan est un combattant comme les autres qui intervient sous l’étendard de la confusion car ses arguments qui cautionnent l’intervention étrangère et l’assassinat d’un dirigeant « fou » sont inacceptables sur le plan de la religion, de la logique historique, de la dignité humaine et des enjeux civilisationnels. Il faut étudier ce que les savants musulmans confrontés à l’impérialisme et au colonialisme avant de se prononcer. Ces enjeux sont liés à la fin de l’histoire de Fukuyama. Le clash des civilisations a conduit l’Amérique à des guerres qu’elle a perdues et dont elle va sortir épuisée et humiliée. Elle a le temps de construire grâce à l’intégration de la France à l’OTAN, de la vassalisation de la ligue arabe une autre guerre idéologique et médiatique derrière la guerre réelle : Combattre l’Islam par l’Islamophobie en montrant le musulman fourbe, lâche, traître, déloyal, haineux, barbare, profanateur de toutes les valeurs de l’humanité. Le CNT libyen et ses troupes nous sont présentés comme le plus grand laboratoire vivant à ciel ouvert et en temps réel. Tariq Ramadan spécialiste de l’acrobatie médiatique annonce son désaccord avec l’impérialisme mais il parvient à le sublimer et à le présenter comme le seul modèle dominant. Et c’est ce que veut entendre l’Occident civilisé, humaniste et ethnocentriste. L’Islam est l’épouvantail présenté dans sa forme naïve et brutale ou dans sa forme subtile et raffinée. Cet Islam là doit proclamer la grandeur et la puissance de l’Occident qui lui donne la victoire et lui donne de l’audience comme il lui donne l’aide alimentaire et l’instruction à la délation.
Pour l’instant, trop préoccupé à vendre son discours et à en garder le monopole même s’il ne tient que sur du déjà entendu de la bouche de Hillary Clinton, il ne voit pas le gaspillage de vie humaines et l’échec encore flagrant de l’Occident et le déclin de l’Amérique. Contre tous leurs matraquages psychologiques, militaires et idéologiques, la Tunisie va aller vers un Islam plus présent dans la vie sociale, politique et civilisationnelle même si Ennahda fait des concessions idéologiques et politiques. Ces concessions politiques, économiques et idéologiques font partie de la culture des Frères Musulmans et de leur engouement soudain pour le modèle turc dont ils ne voient pas les soubassements géostratégiques ou feignent de ne pas les voir croyant se donner une liberté de manoeuvre contre Satan. Je ne suis ni moralisateur ni dans leur position difficile. Je suis dans celle de l’observateur averti qui fait davantage confiance au peuple musulman de Tunisie qu’à Ennahda. L’urgent est de consolider les acquis « démocratiques » et d’aller vers la continuité de la révolution qui va continuer car les contradictions nationales et internationales sont toujours présentes avec cette fois-ci un peuple qui s’est libéré de la peur et qui a su prendre l’initiative historique. Ennahda n’a pas la majorité absolue pour imposer ses concessions et ses compromis avec l’ingérence étrangère. Le clivage sur l’ingérence étrangère se fera au sein de ses propres rangs et se fera à l’extérieur de ses rangs tant au niveau de la gauche tunisienne que du mouvement islamique qui pour l’instant n’est pas porté par un mouvement populaire soit par méconnaissance soit par l’utopie de son programme de Khalifat qui doit passer par « la grammaire » et la conjugaison des phénomènes de civilisation. Allah leur a mis l’épreuve de la Libye comme épreuve dans leur tentative du Tamkine. Encore une fois le débat doit être remis au peuple et la révolution doit être comprise comme mouvement populaire de reconquête de la dignité, de la liberté, du droit de participer à l’Islah et de débattre de la Nahda et du Khalifat. Cela prendra du temps et nous ne devons jamais perdre de l’esprit que nous sommes une communauté du Sabr, celle qui agit avec constance, endurance et espérance…
L’intellectuel froid et lucide ne doit pas tomber dans ce piège que j’ai souligné dans l’article « Libye : Révélations sur Seif-A-Islam et lutte idéologique« et qui s’est révélé vrai dans les quinze jours qui ont suivi, par l’arrestation de Seïf al-Islam, montrant qu’il est lui aussi une victime de la mise en scène du « fou fils d’un fou » alors que la réalité démontre qu’il a toujours agit comme un grand naïf . Encore une fois, il faudrait peut-être sortir de la politique et des médias et relire le Roi Lear de Shakespeare pour voir Saïf al-Islam dans un personnage qui briguait la place de son père poussé par le « Griffon ». Un intellectuel ne doit pas, pour sa crédibilité, se substituer aux psychiatres ni faire dans le sensationnel et encore moins juger sur la doxa au lieu d’étudier la praxis. Ce qui est attendu de lui est de faire des analyses et même s’il se trompe, personne ne lui en voudra car tous nous subissons les événements, le manque d’informations et il est encore loin le temps où nous ferons l’histoire. Nous avons conscience de la subir mais la dignité et le devoir nous commande d’éclairer les générations montantes. Ce sont ces générations qui vont faire l’histoire. L’analyse que j’avais faite sur la lutte idéologique présentant Seïf al-Islam comme une figure politique pour faire diversion vient d’être confirmée par la voix de la résistance libyenne qui reproche à ce « naïf » d’avoir frappé le guide libyen dans son dos en répondant aux sirènes occidentales mais qu’il s’est racheté en livrant bataille sans déserter. L’histoire ne retiendra pas de lui « Al Firar Youm al Zahf ».
La Syrie et la vision mécaniste de la révolution
En dernier point de son intervention Tariq Ramadan adopte un raisonnement sans nuances sur la Syrie en faisant trois mensonges qui circulent dans tous les forums des apologues de la monarchie despotique, de l’Islam infantile et du sionisme.
- Dire que la Syrie ne livre pas bataille contre Israël c’est colporter la guerre psychologique et la diversion américano-sioniste et arabo-sioniste. Tout homme possédant un minimum de culture militaire consulte une revue de défense et fait un tableau de rapport de forces. La Syrie dans l’état actuel de ses forces n’est pas en mesure de livrer bataille contre un ennemi plus puissant et disposant du soutien inconditionnel de la communauté internationale. Sa doctrine militaire est fondée sur la défense et cette défense coûte cher à un pays disposant de ressources pas très importantes. Toute guerre ouverte et déclarée par la Syrie contre Israël en ferait dans la configuration du monde actuel un champ de ruines auquel toute la communauté internationale participerait. Que ces propos soient tenus dans un bistrot de village serait compréhensible mais là ça devient risible. Par ailleurs la Syrie joue convenablement son rôle en matière de renseignement, de logistique et d’appui politique et diplomatique avec la résistance libanaise et palestinienne. La pression qui s’exerce sur elle est de se soumettre aux 10 commandements américains et de tourner le dos à l’Iran et à la résistance arabe. Son problème intérieur avec l’opposition est une affaire intérieure. Il est du droit de l’opposition de demander des réformes politiques et économiques. Comme en Libye, l’ingérence étrangère est inacceptable ?
- Dire que l’Amérique soutient le régime syrien car il travaille ses intérêts c’est stupide et risible. La Syrie ne répond pas aux dix commandements pour être un allié des États-Unis. Les États-Unis mènent une subversion en Syrie faisant participer certains éléments du Liban, les monarchies arabes, les Frères Musulmans et les agents de la CIA. L’Amérique a trouvé trois os. L’expérience du régime syrien face à la déstabilisation américaine ; les savants syriens ont de l’autorité et du savoir et la Syrie ne peut être livrée à l’irresponsabilité des savants du Golfe ou d’Al Jazeera ; la couche moyenne reste attachée à l’unité du pays car elle n’est pas sûre de gagner dans le changement du régime provoqué par l’Occident, elle soutient la résistance ; elle est consciente de la partition du pays et surtout elle est le témoin au quotidien des malheurs du peuple irakien dont des millions vivent réfugiés sur son sol.
- Le troisième mensonge est d’occulter le travail de la Syrie dans la stabilisation du Liban. Le Liban est la porte de contact entre l’Orient et l’Occident, entre les Chrétiens et les Musulmans. Si le Liban tombe aux mains des sionistes ou aux mains des Américains et des Français, le monde arabe reviendrait à la période ante Salah Eddine avec des principautés de princes arabes féodaux alliés des Croisés. L’esprit sectaire et partisan de certains musulmans les rend dociles et manipulables. Une fois de plus il ne s’agit pas d’intelligence, de diplômes ou de statut d’intellectuel mais de la fibre musulmane, de la sensibilité humaine qu’ils ont perdu à force de tricher ou de se mirer dans leur nombril au lieu de voir leur devoir et la souffrance des autres. En effet la foi en Islam est une conscience intellectuelle qui n’est pas prisonnière de l’instant ou d’une portion de territoire. Elle est une durée qui s’inscrit dans l’étendue de l’aire musulmane pour en exprimer les contradictions, les espoirs mais aussi montrer les faux chemins, les faux calculs, les fausses priorités, les faux discours, les faux combats…
Il est à remarquer que la Turquie dispose de 4 drones américains de type « Predator » déplacé d’Irak à sa base aérienne d’Incirlik dans sa lutte contre les rebelles kurdes du PKK ainsi que de colossaux investissements qataris pour financer la station de gaz liquéfié et le gazoline reliant la région du Golfe aux pays de l’Union européenne. Ankara et Tayeb Erdogan répondent aux « Dix Commandements » de Washington et agissent comme auxiliaires de l’OTAN. Dans la division internationale du « Soft Power » ils deviennent l’instrument de mobilisation des Frères Musulmans syriens et de la déstabilisation de la Syrie prenant le risque d’une confrontation armée et d’une intervention turque en territoire syrien. Sous les apparences d’Islamisme modéré, le modèle turc est un nationalisme turc exacerbé mis au service de l’impérialisme et de la liquidation de l’axe de la résistance au Moyen-Orient. Si on comprend la stratégie turque on ne peut comprendre celle de Tariq Ramadan qui traduit médiatiquement la volonté anglo-saxonne et la vend non seulement aux Arabes de services en France mais la vend aux Français.
Les millions de Syriens qui manifestent pour demander des réformes tout en dénonçant l’ingérence américaine et la politique de la Ligue arabe contre l’axe de la résistance ne semblent pas interpeller les consciences de Qaradhawi ni Tariq Ramadan et pourtant si nous devons rester neutre nous ne pouvons soutenir à grands cris la minorité armée par Washington et oublier la présence en Syrie de la majorité qui défile pacifiquement sous le slogan « Assurer l’unité du pays face au complot extérieur« .
Il faut être fada pour se mettre du côté de la ligue arabe qui a détruit l’Irak, la Libye et qui veut détruire la Syrie mais qui se tait face à la répression au Bahreïn. Si la ligue arabe avait une politique de libération nationale et d’édification nationale nous aurions compris ceux qui se font les portes voix arabes menaçant de suspendre les vols aériens avec la Syrie, de geler les avoirs syriens dans leurs banques, de suspendre leurs échanges commerciaux et de demander aux Nations unies de prendre les mesures nécessaires pour faire pression sur Damas pour préparer comme en Libye une intervention militaire ou un embargo diplomatique et économique. Quand la voix d’un intellectuel arabe ou musulman est tolérée ou invitée à s’exprimer pour dire la même chose que la ligue arabe, la conférence internationale islamique ou la diplomatie américaine et française, nous disons non ça suffit ! L’intellectuel ne voit pas la déconstruction dans le lexique et la grammaire des civilisations arabo-musulmanes pour que la verrue incrustée dans le cœur du monde arabe puisse réaliser par l’influence médiatique et diplomatique ce qu’elle n’a pas pu réaliser dans les mentalités et les géographies arabes : Le vœux avoué des sionistes d’agrandir l’état d’Israël du Nil à l’Euphrate et de Dahrane à Wahrane.
Encore une fois, non seulement en Syrie, en Algérie, en Arabie saoudite la révolution est nécessaire mais également en France et aux États-Unis pour redonner la parole et la dignité aux peuples. Encore une fois il faut se mettre d’accord sur la définition de la révolution. Encore une fois il faut se libérer d’une lecture mécaniste et formaliste de la révolution, du soulèvement ou de la réforme qui ne suivent ni nos désirs d’intellectuels ni les lignes tracées par les officines. Il y a des conditions objectives et subjectives qui agissent pour lui donner naissance et il y a des possibilités qui agissent comme accoucheurs et comme adjuvants mais ils existent aussi des contre synergies et des contre adjuvants objectifs et subjectifs qui peuvent freiner ou faire avorter une révolution. L’intellectuel peut donner son avis personnel dans un cercle privé mais dès qu’il s’adresse à un auditoire il n’est plus dans la doxa personnelle mais dans l’analyse dialectique des conditions, des possibilités, des contradictions sans esprit partisan car il agit davantage comme médecin qui pose un diagnostic que comme un soldat dans un champ de bataille dont il est trop près pour voir les lignes de fronts, les rapports de force et les stratégies qui se font dans les états-majors. L’intellectuel a une mission qui relève de celle des Prophète et non des apprentis sorciers. Les apprentis sorciers occidentaux et sionistes depuis les années 80 ont développé le droit d’ingérence humanitaire et ils vont le mettre en application contre la Syrie.
Pygmalion, aliénation ou libération
Il nous faut malgré nos peurs et nos angoisses rester optimiste sans être naïfs ou crédules. Des résultats ont été obtenus, d’autres résultats sont en voie si la contre révolution ne trouve pas de terreau fertile et si les intellectuels musulmans ne remplacent pas les Cassandre médiévaux de l’Occident et se mettre à dénigrer ce qu’ils n’avaient ni prévu ni organisé ni encadré ni conseillé et puis se retrouver par la puissance du verbe et la force des moyens en train de mener la lutte idéologique contre les mouvements populaires arabes au lieu et place de l’impérialisme avec peut être plus de mépris et de dédain dans une stratégie de communication qui relève du processus mis en jeu pour fabriquer l’indigène et l’empêcher de voir la lumière à laquelle Allah l’appelle pour défendre son droit au sens et son devoir à la dignité et à l’usage de ses sens : Séduire ou stigmatiser.
L’intellectuel Musulman loin du combat est comme le mythe de Pygmalion, roi de Chypre, célibataire misogyne, qui sculpta une statue dont il tomba amoureux. Il la nomme Galatée, l’habille et la pare richement. Follement épris de sa créature il demanda à la déesse Aphrodite de lui donner apparence humaine et vie. Pygmalion finit par épouser sa statue incarnée.
L’aspect édificateur du mythe dans sa version positive ou dans sa version inversée montre que c’est par le regard de l’autre sur nous que nous sommes ainsi sublimés ou diabolisés selon que le regard soit un regard d’empathie qui fait d’un tronc d’arbre une femme belle et désirable ou que le regard soit celui du haineux qui transforme des fragments d’humanités blessés et humiliés en symboles de provocation, de diabolisation pour appeler le mépris et l’exclusion. Le psychopédagogue américain Rosenthal reprenant à son compte les travaux du sociologue Robert Merton sur le mythe de Pygmalion en tant qu’influence de l’attente sur le comportement, avait fait une expérience sur des rats et constaté que ceux qualifiés de « brillants » avaient donné deux fois plus de réponses correctes, dans un test de labyrinthe, que ceux désignés comme « stupides ». Il énonce sa découverte : « Si des animaux considérés comme plus brillants par leurs dresseurs devenaient effectivement plus brillants grâce aux préjugés favorables de ceux-ci, cela pouvait être vrai aussi pour les écoliers ».
En manipulant les instituteurs de plusieurs écoles en leur livrant de faux tests psychotechniques et de fausses analyses du QI, il a poussé les maîtres d’écoles à changer leur regard sur leurs élèves. Un an après les élèves désignés comme « aptes » repassent le test d’intelligence avec des résultats évalués réellement qui montrent le bond prodigieux que ces élèves ont fait dans leur capacité cognitive par le simple fait du bond prodigieux qu’ils ont auparavant fait dans le regard de leurs maîtres. En psychologie on appelle cet effet l’effet Pygmalion positif qui refuse de désigner à la stigmatisation des maîtres des élèves qu’il aurait pu présenter comme cancres ou retardés mentaux et qu’il a choisi de présenter à l’insu du système pédagogique comme des excellents. La psychologie cognitive et la psychologie sociale peuvent inverser les travaux de Rosenthal et produire l’effet Pygmalion inversé pour stigmatiser. Dans un cas comme dans l’autre on est en présence d’une intention active et d’un regard en attente du regard posé sur lui. Il faut jouer sur le regard ou la parole qui accompagne ce regard pour produire de la libération ou de l’aliénation selon l’intention du maître de jeu sur l’échiquier du destin des hommes sans repères.
Sayed Qutb fût un des premiers à voir ce qu’on appelle en France, l’Islam de France, lui il l’a vu aux États-Unis et l’a dénoncé car contre l’Islam authentique, la seule arme efficace où on n’entend ni les bombes ni les morts ni les blessés ni on ne voit les ruines des consciences, c’est l’Islam américanisé : « Ces jours-ci, il semble que les Américains se sont rappelés de nouveau de l’Islam. En effet, c’est parce qu’ils ont besoin de l’Islam. Ils ont besoin de l’Islam pour pouvoir se battre contre le communisme dans les pays de la région du Moyen-Orient, dans les pays musulmans de l’Asie et de l’Afrique… Cependant, il faut savoir que l’Islam que les États-Unis et leurs alliés occidentaux colonialistes souhaitent voir développer dans les pays du Moyen-Orient, n’est pas du tout le même Islam qui se bat contre les puissances colonialistes et contre les gouvernements despotiques. En effet, Ils souhaitent que l’Islam se batte uniquement contre le communisme. Ils ne veulent pas de cet Islam qui est capable de gouverner, car en réalité ils ne peuvent pas du tout supporter l’existence d’un État islamique. En réalité, si l’Islam prenait le pouvoir pour fonder un État islamique, il formerait une nouvelle Oumma et il apprendra aux peuples qu’ils devraient absolument devenir puissants pour rejeter le colonialisme. En tout état de cause, le communisme n’est pas différent du colonialisme, car tous les deux sont ennemis et usurpateurs. ».
Tous les penseurs musulmans ont rencontré sur leurs chemins les intellectuels de service et ont invité les Musulmans à s’en prémunir comme ici Malek Bennabi dans témoin d’un siècle « Les “intellectomanes“ que le colonialisme a lâchés dans le Souk idéologique du pays et qui monopolisent grâce à lui, les moyens d’expressions, ont faussés les idées les plus fondamentales. » Malek Bennabi dans « la lutte idéologique » montre comment le colonialisme intervient pour contrer l’idée imprimée dans la conscience du peuple (ici la révolution par le peuple pour le peuple) en se faisant le promoteur de l’idée exprimée par le verbe (ici la révolution planifiée par les États-Unis au profit des États-Unis). Pierre Bourdieu nous donne une définition de ce que fait l’intellectuel de service : « Opération de basse police symbolique, antithèse absolue de tout ce qui définit l’intellectuel, la liberté à l’égard des pouvoirs, la critique des idées reçues, la démolition des alternatives simplistes et la restitution de la complexité des problèmes ».
L’interlocuteur valide, l’intellectomane, l’intellectuel organique pour masquer le travail idéologique de dissimulation des souffrances et des victoires potentielles du peuple arabe, de négation de ses efforts méritoires et de la justesse de son combat, va tout simplement évoquer ce qu’il tient implicitement pour évident en l’occurrence la conspiration tout en explicitant son rejet de la thèse du complot et n’apportant en définitive ni explication ni anticipation ni prise de position. Il cultive les évidences et la confusion… Et c’est ce qu’attend l’impérialisme dans la pensée musulmane : Produire ici une attente messianique, produire à côté une culture eschatologique, produire un peu plus loin un apologue d’une civilisation disparue, produire dans un détour un polémiste sur le sexe de la fourmi de Salomon, produire au dessus un sublimé qui fascine par ses paroles, produire dans une cave un exorciste qui islamise les Kabbales, afficher une librairie islamique qui vend du henné et des gandouras à côté de traductions de versets du Coran dont certains sont traduit comme blasphémation, mettre en scène la vanité de faire une révolution qui finit dans la tragédie ou qui finit entre les mains du conspirateur même lorsque, pour une fois, cette révolution est vraie. En réalité il cultive en nous ce qui fait notre colonisabilité, l’acceptation de la colonisation des mentalités et des géographies : Nous vendre comme le souligne Malek Bennabi deux mythes dans le souk de la Baraka du colonisé :
- Le mythe de la chose facile qui engendre la paresse et la non nécessité de faire un Ijtihad ou un Jihad,
- Le mythe de la chose difficile qui sape les efforts et rend vain l’idée même de l’Ijtihad ou du Jihad
L’interlocuteur valide pour vérifier sa montre et celle des peuples arabes doit tenter une expérience simple : Franchir les lignes rouges du système et dire la vérité toute la vérité et oser comme Marx « provoquer le scandale pour ne pas devenir sa proie » en dénonçant l’ingérence en Libye comme agression coloniale, en présentant l’assassinat de Kadhafi comme inacceptable sur le plan moral religieux et juridique, en présentant le soulèvement arabe comme menace perçue par Israël qui a dépêché ses plus grands experts pour se joindre à ceux de l’empire pour mettre en place la contre révolution et déjà ne pas donner suite aux promesses égyptiennes d’ouvrir la frontière de Rafah avec toutes les conséquences sur le plan humanitaire sioniste qui consiste à affamer la population de Gaza, à corrompre la population de Ramallah et à faire passer la cause palestinienne d’un fait colonial qui exige une résistance à une question de sac de riz qui exige une administration comme celle des Bureaux aux affaires arabes dans les anciennes colonies françaises. Il verrait alors le mythe de Pygmalion dans ce que la tragédie grecque sait mettre en scène pour montrer le destin implacable et les jeux pervers des divinités de l’Olympe : Les deux filles née de l’union de Pygmalion avec son adorable sculpture Galatée eurent un comportement rebelle envers la déesse Aphrodite qui les châtia en allumant dans leur cœur le feu de l’impudicité. Après s’être assurée que les dégâts moraux et sociaux de la progéniture d’un amour hors norme leur ont fait perdre toute crédibilité et toute audience, Aphrodite transforma alors leurs corps en rochers inertes.
Nos « interlocuteurs valides » verraient alors les mythes fondateurs de l’Occident dans toute leur étendue et leur symbolisme : La punition exemplaire et impitoyable des dieux cruels et vengeurs contre ceux qui cherchent à aimer ce qu’ils ont façonné de leurs mains. Ils verraient alors la malédiction des dieux s’abattre contre ceux qui tentent de posséder, dans un processus de libération et de civilisation, le cœur et le miroir du regard d’autrui qui rendent le moi aimable à ses propres yeux et l’ipséité respectable à autres yeux libérés de la fascination, de la fabulation et de la dérive démiurge laïque ou judéo-chrétienne qui se partagent trois monopoles : l’humanitaire, l’intelligence ethnocentriste et la lutte idéologique menée contre l’Islam.
A nous de choisir notre regard sur le monde : Le regard endogène ou le regard exogène, le regard vassal qui se résigne au destin construit par les autres ou le regard actantiel qui opère sa mue ontologique et sociale pour se libérer de sa colonisabilité, le regard empathique de Pygmalion positif ou le regard indifférent et autodestructeur de Pygmalion négatif et inversé? Le choix est dans notre intention, notre visée du cœur, notre aspiration, il n’est pas chez les autres. Les autres n’ont que le pouvoir de fasciner ou d’intimider. Nous avons celui de construire notre destin selon la méthodologie du Prophète (saws).