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mercredi 11 décembre, 2024

Jamais deux sans trois par Omar MAZRI

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Après le plantage en Syrie puis en Ukraine voici le troisième plantage en DAESH. En réalité il y a plusieurs plantages dont les populations arabes et musulmanes paient le prix rédhibitoire. Les autres populations sont conduites au même désastre d’une manière moins ostensible et des moyens peu ostentatoires.

Les mises en scènes médiatiques de la femelle arabe, des fennecs bédouins, des louveteaux australiens et canadiens, et de la faune internationale qui participent comme comparses  au désordre international ne peuvent plus cacher les incompétences des journalistes embarqués dans leurs studios et  les incohérences des gouvernants alignés sur l’Empire en folie.

Terroristes, bandits, agents de la CIA, intégristes barbares, sectaires inhumains et tout ce qu’on veut comme qualificatifs pour dénommer les agents destructeurs du monde arabe qui instrumentalisent l’Islam otage du clergé, la paresse intellectuelle des élites, l’incurie des gouvernants arabes et la prédation du capitalisme ne suffisent pas pour qualifier les plantages récurrents des « civilisés » et des colonisés.

Les « fous de Dieu » en ciblant Kobané, troisième ville kurde de Syrie, le long de la frontière avec la Turquie, réalisent un coup de maitre médiatique, militaire et géopolitique contre la coalition censée les combattre. Tout l’arsenal médiatique et technologique est mis devant l’impuissance à réaliser le minimum de ses objectifs. Même le Furtif 22 (ou 36), fleuron du complexe militaro industriel, ne parvient pas à réaliser les performances  de vol et d’attaque les plus élémentaires.

Si on met de côté la dénonciation religieuse, morale et  humanitaire de ces fous il faut reconnaitre que leur folie met en exergue trois scénarios intelligents :

Le premier est  l’implication de la Turquie dans les batailles terrestres pour le compte de l’Empire qui compte toujours sur une guerre de 100 ans entre sunnites et chiites, arabes et non arabes, sunnites et sunnites. Erdogan, échaudé par la gestion des Arabes, de Gaza  et des Frères musulmans, menacé par l’Iran, sent le danger et esquive en portant l’estocade au cœur du débat : Il faut un mandat de l’ONU et une coalition internationale. Il est fort probable qu’Erdogan fasse du Chantage à l’OTAN pour intervenir directement et ouvertement contre le régime syrien. En tous les cas,  il remet à l’ordre du jour le problème de la légitimité de l’intervention étrangère et de la représentativité de la pseudo coalition.

Erdogan ne peut faire l’économie d’une crise de confiance (le moins qu’on puisse dire) avec les Kurdes et le PKK . La Turquie va recevoir la monnaie de ses fausses pièces. Le régime syrien en impliquant les Kurdes depuis plus de deux ans a préparé sa réponse aux ingérences de la Turquie. C’est triste de voir le monde musulman se déchirer et s’entretuer, mais il y a un peu de réconfort à trouver lorsque le désordre frappe tous les fauteurs de troubles.

Le second est l’aspect sélectif voire discriminatoire de l’aide humanitaire et de l’ingérence militaire. Les peuples Kurdes à l’instar des autres peuples de la région n’ont rien à gagner dans le désordre géopolitique voulu par l’Empire. L’Empire dévoile une fois de plus ses contradictions poussées par ses intérêts de prédateur. Il vole au secours d’Erbil car le Kurdistan irakien est riche en gaz et en pétrole, il est allié d’Israël, il abrite les centres du  renseignement américain et leur corps expéditionnaire d’élite pour les coups de forces dans la région.

Le troisième est bien entendu le facteur de troubles et d’injustice qui va pousser les Kurdes à se montrer solidaires  et à s’agréger en communauté territoriale pour réaliser deux objectifs. Immédiatement : partitionner l’Irak et finir le travail inachevé engagé lors de l’invasion de l’Irak. Sur ce point les élites irakiennes ont montré leur incompétence. En nommant comme présidents des anciens militants de l’indépendance du Kurdistan ils ont étalé leur impuissance à se fédérer en nation. Le sectarisme confessionnel latent a invalidé et dévoyé la résistance nationale contre l’occupant américain qui est parvenu à imposer son agenda politique.

Ensuite il s’agit de  fédérer les Kurdes de Turquie, de Syrie et d’Iran pour réaliser des césures géographiques et  politiques non seulement dans la région musulmane, mais dans ses jonctions avec la Russie et sa zone d’influence. L’Empire a sans doute évalué les gains de son emprise capitaliste sur les montants et les mouvements des capitaux, des marchandises, de l’énergie et des armes mis en circulation sur les côtes de la mer noire, l’Ukraine, le        Caucase, la Roumanie,  la Géorgie et la Turquie et leurs voisins de Méditerranée et d’Anatolie. C’est un vieux projet qui s’actualise contre l’Eurasie de Poutine et qui veut en plus modifier radicalement la géopolitique du pétrole et du gaz pour contourner la Russie, la confiner, l’isoler et l’étouffer. Pour l’anecdote l’Empéreur de Russie Piotr Alekseïevitch Romanov (Pierre le Grand ou Pierre 1er au XVIIe siècle) et l’impératrice de Russie Catherina Alexeievna (Catherine II au XVIIIe siècle) avaient mis fin à l’hégémonie de l’Orient sur la mer noire et ses régions alors sous le contrôle total  des  Tatars puis des Turkmènes qui avaient mis fin au monopole des Vénitiens et des Génois, ancêtres du capitalisme,  qui dominaient le commerce maritime du VI siècle au Moyen-âge  et étendaient leur domination financière et marchande jusqu’à Constantinople cœur de Byzance. Ce sont les Russes qui avaient donc  réintroduit les Européens dans cette région du monde lorsque l’empire ottoman s’est trouvé malade à bout de souffle, et ce sont aujourd’hui les Européens poussés par les Américains qui tentent de  chasser les Russes de Crimée. Ce sont les Musulmans arabes et non arabes qui avaient civilisé cette région du monde et ce sont eux qui introduisent ces dernières années la barbarie par le biais des royaumes anglo-saxons.  L’histoire a des retournements qui dépassent l’entendement humain et ses calculs mondains immédiats. Les Russes et les Orientaux sont dans leur élément naturel et ils finiront par trouver un compromis contre les intrus. C’est une question de survie.

Ces trois scénarios ne disent pas et ne prouvent pas que les  « fous de Dieu » agissent de concert avec l’Empire ou qu’ils soient ses agents. Ils exécutent son agenda comme les Moudjahidines l’ont fait en Afghanistan car d’une part les intérêts objectifs se rencontrent et d’autre par les savants de l’Arabie saoudite alimentent l’alignement sur la politique américaine tant par impulsion des autorités saoudiennes que par incompétence morale, religieuse et intellectuelle.

Pour l’instant la magie se retourne contre les magiciens : les frappes aériennes non seulement ne brisent pas la colonne vertébrale des DAESH, mais leur donne un élan et un redéploiement inédit : ils renforcent leur présence au centre du monde musulman historique. Ils n’ont rien d’autre à faire que continuer à semer la terreur et susciter des adhésions massives. Que vont faire les coalisés ? Intervenir au sol ? Entretenir les narratives ? Attendre les prochaines élections et passer la main?

–         Solliciter la collaboration des régimes syriens et iraniens et annoncer leur incompétence à gérer la région ? Cheikh Al Bouti, avant qu’il ne soit assassiné par les armes de la régression morale et religieuse avait montré la voie : le retour du peuple musulman à l’Islam comme rempart authentique tant contre ceux qui instrumentalisent la religion à des fins diaboliques que contre ceux qui favorisent le retour des ex colonisateurs par leur incompétence à gouverner ou par leur incompétence à se mettre en opposition politique aux gouvernants sans que cela ne devienne une catastrophe nationale.

–         Les monarchies vassales sont-elles disposées à laisser l’influence iranienne et chiite prendre de l’ampleur ?

–         Quelle est la limite à la folie narcissique des DAESH qui décapitent, violent et prennent l’initiative d’agresser des villages et des villes. L’intervention de l’Occident et son échec de plus en plus patent ne sont-ils pas le moyen de repousser ces limites au-delà de tout ce que nous pouvons imaginer comme horreur. Si la confession chiite ou ibadite ainsi que la loyauté au régime syrien pouvaient être rejetées comme argument religieux  et politique dans ce désordre il serait difficile dans ce désordre installé de trouver des arguments contre la résistance et la mobilisation face aux « croisés ». Ils ne partagent ni  les frontières ni la religion ni l’histoire ni la langue ni la mentalité des territoires pour avoir légitimité d’intervention dans ces territoires. Ce ne sont pas les chatons musulmans français et anglais qui vont peser dans la formation de l’opinion dans la géographie sunnite.

–         Les contestations et les attentats des Turcs et des Kurdes sur le territoire turc pour et contre DAESH vont aller jusqu’où ? Quelle est la capacité de nuisance des officines étrangères en Turquie ? Quel est le niveau d’intelligence idéologique des Frères musulmans et des Salafistes de Turquie pour ne pas s’affronter en Turquie ?

–         Les mouvements djihadistes ne vont-ils pas faire leur mue idéologique et leur mea culpa moral et politique pour se fédérer contre la Jordanie et/ou contre l’Arabie saoudite et faire tomber les familles régnantes.  Les milliards d’armements fournis par les Etats-Unis et la France ne sont-ils pas déjà l’entrepôt qui va permettre à DAESH, ses sœurs et ses petits-enfants d’alimenter une guerre  régionale pour ne pas dire planétaire sur 30 ans jusqu’à l’épuisement de l’Empire prévu dans vingt à cinquante ans.

–         Que dire à l’opinion arabe qui ne va pas rester silencieuse indéfiniment. Va-t-elle faire sien le discours qui consiste à faire de DAESH l’allié d’Israël et la fabrication de la CIA ou   au contraire montrer de la sympathie ? Dans quelques semaines sinon dans quelques mois nous verrons la posture populaire. Pour l’instant le discours et l’activisme des gouvernants arabes se passent dans une autre planète loin des préoccupations des populations. L’instrumentalisation de l’actualité est contreproductive lorsque l’école, la mosquée, l’administration et l’économie sont  sinistrées.

Les commentateurs et les politiciens font les ingénus en montrant le rapport des forces militaires entre les Kurdes du PKK et les « islamistes » occultant deux réalités flagrantes. La première est que la théorie de la régression féconde peut devenir  khallat ha tasfa (provoque le désordre si tu veux clarifier) un champ de clarification idéologique et géopolitique si les hommes se mettent à raisonner et à chercher du sens à ce qui semble absurde. La seconde est que l’armement lourd et blindé de DAESH est un butin de guerre pris contre l’armée irakienne. Cette armée mise en déroute est le pur produit de la politique américaine. Nous pouvons imaginer les déroutes des autres armées arabes encadrées par l’Empire. Il est peut-être temps que le débat sur la mondialisation reprenne dans son cadre réel celui de l’alternance au système actuel agonisant.

En vérité nous ne sommes pas au troisième plantage de l’Empire, mais au nième après celui du Vietnam, de Cuba, de l’Afghanistan, de l’Irak et de tant d’autres…  La vérité qui doit être répétée inlassablement, au-delà de la dénonciation de l’Empire, est celle de la situation du monde arabe et musulman qui ne parvient pas à se hisser au niveau de ses responsabilités religieuses qui lui imposent la justice, la miséricorde et la lucidité au service de l’humain et de la liberté qui donnent sens à la responsabilité et élan au  déploiement pacifique et mutuellement bénéfique.

La lutte idéologique contre l’Islam parvient à cacher le plantage en donnant crédit à l’habillage islamique des hordes criminelles comme elle donne l’habillage démocratique des envahisseurs étrangers. Elle parvient à cacher la récurrence historique des contradictions entre l’Empire et ses alliés conjoncturels lorsque la convoitise des uns rencontre la stupidité des autres. Les raccourcies et les préjugés de la lutte idéologique ainsi que  les secondes d’images de la guerre médiatique  peuvent marquer  les esprits indolents ou déjà acquis, mais ils ne peuvent se substituer à la logique historique et à son dénouement.

On continue comme « Jeune Afrique » à voir dans le « printemps arabe » une révolution confisquée sans avoir le courage de voir le plantage des élites arabes, islamistes et non islamistes, libérales ou progressistes. C’est sur ce plantage qu’est venu  s’ajouter le plantage récurrent de l’Empire. Nous restons en première et dernière instance les artisans de nos malheurs et de nos catastrophes. Il y a depuis longtemps déjà que nous avons préparé nos esprits à appartenir à des identités factices et à déserter la vérité pour devenir des partisans du culte de la personnalité, du nationalisme, du progressisme ou du libéralisme puis de l’islamisme. Nous sommes devenus le terreau fertile de notre plantage ainsi que celui des autres. Tant que nos mentalités demeurent en retrait ou en opposition à la quête de vérité, nous resterons sans sens : disponibles (sans engagements intellectuels, religieux ou affectifs – à la disposition de quelqu’un d’autre – ouverts à toutes les sollicitations extérieures sans volonté)  et disposés (mis en situation ou en place selon un ordre – préparés pour une circonstance ou pour une action) à tous les plantages.

Une fois que les ravages de la guerre  auront achevé leur funeste destruction on devrait se poser plusieurs questions et y apporter des réponses avant d’entamer un nouveau cycle de plantage. Il faut oser traiter l’Arabie saoudite comme un pestiféré et lui enlever la légitimité politique sur les lieux saints et l’aura religieuse qui lui permet de former et de reproduire la pensée déformatrice sur l’Islam. Il faut oser avouer le gaspillage de vie et des énergies arabes et musulmanes : tous ces jeunes qui ont versé leur sang en Afghanistan et en Syrie pour une fausse bannière auraient pu servir la cause palestinienne ou la cause du développement national s’il y avait une gouvernance sensée et efficace qui permet à chacun d’exprimer son talent et ses convictions dans la transparence et au profit de l’intérêt public. L’effusion de sueur par le travail et le mérite est sans doute l’une des meilleures garanties contre l’effusion du sang des innocents.

Omar Mazriwww.liberation-opprimes.net

Rédaction

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