20.9 C
Alger
jeudi 21 novembre, 2024

Du verbiage sur la Constitution sans la réalité objective de l’Algérie, par Omar MAZRI

Les plus lus

Chacun se trompe ici-bas.

On voit courir après l’ombre

Tant de fous, qu’on n’en sait pas

La plupart du temps le nombre.

Au Chien dont parle Esope il faut les renvoyer.

Ce Chien, voyant sa proie en l’eau représentée,

La quitta pour l’image, et pensa se noyer ;

La rivière devint tout d’un coup agitée.

A toute peine il regagna les bords,

Et n’eut ni l’ombre ni le corps.

La Fontaine, dans « le chien qui lâche sa proie pour l’ombre », montre le nombre important d’insensés et de cupides qui abandonnent la réalité et la vérité pour quelques fictions et quelques mensonges ainsi que les naïfs qui s’acharnent à vouloir redresser l’ombre la confondant avec l’objet tordu sur lequel ils n’ont pourtant pas de prise.

Lorsque la vérité de situation et la réalité du terrain nous échappent, nous pensons, nous parlons et nous agissons comme des sujets en proie aux hallucinations et aux illusions.  Philippe Grasset décrivant les maquillages médiatiques dit :

« il nous importe d’affirmer que, entre les multiples “réalités” créées par notre univers de communication et de manipulation de la communication dans tous les sens, et d’autre part la difficulté de distinguer celle des “réalités” qui l’est vraiment (réelle), apparaît dans des cas précis et significatifs quelque chose qu’on pourrait qualifier de “réalité objective”, suscitée par une situation telle qu’on peut avoir l’intuition de la fixer, qui donne une indication indubitable de la vérité de notre temps. Cette “vérité de la situation” est, disons, une ouverture rapide et momentanée, mais significative et lumineuse, sur la réalité objective ; elle permet de déduire la “vérité de notre temps”, qui doit nous servir de référence. »

Ce n’est qu’une fois la vérité de situation ou la réalité objective saisie que l’on puisse alors se prononcer avec discernement et prendre parti comme le faisait notre Prophète (saws) :

« Allah mon Dieu faites-moi voir Al Haqq (vérité-réalité) comme haqq (vrai-réel) puis accordez-moi la faculté de m’y conformer ; fais-moi voir Al Batil (mensonge-faux) comme Batil (mensonger-fallacieux) puis accordes-moi la faculté de m’en détourner »

Discerner n’est pas un banal exercice intellectuel et prendre parti n’est pas devenir partisan, mais engagement pour servir la vérité et transformer la réalité sinon endurer avec courage et constance l’adversité sans se compromettre ni se renier :

« Allah mon Dieu! Accordez-moi la sérénité d’accepter les choses que je ne peux changer, le courage de changer les choses que je peux, et la sagesse d’en discerner la différence »

Les têtes bien pensantes bien au confort dans l’ordre actuel des choses ne sont pas concernées par le changement nécessaire au salut de l’Algérie et les attentes des Algériens. Leurs réalités et leurs vérités ne vont pas plus loin que les ambitions personnelles et les intérêts immédiats. Toute la critique du nouveau texte constitutionnel se résume à leur regret de ne pas voir quelques « conseils » s’institutionnaliser, de ne pas faire du Tamazigh langue officielle des documents administratifs, de faire peu de cas des binationaux, de donner trop de pouvoir au président… Pour ne pas trop se compromettre, certaines intelligences concèdent que la perfection appartient à Dieu et qu’une constitution aussi parfaite soit elle, n’est qu’une étape oubliant de nous préciser la nature, les modalités et l’échéance de cette étape dans un processus qui peut nous conduire au néant puisque personne ne sait où va l’Algérie.

Le régime très habile et bien assis grâce surtout à l’insenséïsme des uns et à la naïveté des autres fabrique des leurres, de faux combats, de fausses préoccupations et de fausses priorités dont le vacarme « médiatique » vise à fabriquer de nouvelles réalités et de nouvelles vérités pour faire oublier l’imposture et l’incompétence des faillitaires qui n’existent que sur le plan de la communication et du gaspillage des ressources. L’Algérie n’est pas un chantier où les compétences rivalisent d’ingéniosité et d’effort, mais un casino où les assistés attendent le nouveau messie et ses miracles.

L’instrumentalisation idéologique du berbère et de l’amazighité ne tient pas devant la raison, l’histoire et l’archéologie. Il y a des problèmes sociologiques et culturels qui ne peuvent être réglés que par le développement social et l’émancipation dans une Algérie libérée des mythes et des tabous. Une, deux ou trois langues nationales ou officielles ne changeront rien à notre faillite politique et économique comme il ne changera rien à notre indigence culturelle et morale : nous sommes des analphabètes trilingues incapables de lire la vérité de situation et d’écrire le changement de notre réalité.

Après les disparités linguistiques, ethniques, régionales, politiques l’Algérie entre dans la postmodernité en reculant et avec une nouvelle disparité : national/binational ou Algérien de souche/franco-algérien.

Il s’agit de la manœuvre communicationnelle autour de l’article 51 de la révision de la Constitution de la République Algérienne Démocratique et Populaire qui fait couler beaucoup d’encre en ces moments propices à l’insulte, à la diversion et aux confusions sur le devenir fatal du pays qui semble ne plus trouver de voie de salut ni de voix de raison. Le vacarme entretenu par les clients, les oppositions asservies, les prétendants à la rente et les réseaux corporatistes – pour donner illusion de vie et leurre démocratique – n’intéresse personne. Le patriotisme des canailles et l’arrogance des proxénètes qui abusent de l’Algérie et la livrent comme une prostituée à la rapine seront balayés par le vent de l’histoire lorsque le peuple algérien deviendra plus mature et plus responsable et changera l’hymne national « one two three viva l’Algérie » par « one two free où va l’Algérie » ou lorsque tout simplement et avec véracité il donnera réalité au serment de novembre 54 et à la vérité révolutionnaire :

Nous jurons par les tempêtes dévastatrices abattues sur nous

Par le sang pur généreusement versé

Par les éclatants étendards flottant au vent

Sur les cimes altières de nos fières montagnes

Que nous nous sommes dressés pour la vie ou la mort

[…]

Nous sommes des combattants pour le triomphe du droit

Pour notre indépendance, nous sommes entrés en guerre

[…]

Le verdict, Notre révolution le rendra

Car nous avons décidé que l’Algérie vivra

Soyez-en témoins ! Soyez-en témoins ! Soyez-en témoins !

Il ne s’agira plus de chercher à n’importe quel prix sa part de la rente ou son insertion dans le système de cooptation pour se servir, mais bien de reconfigurer l’Algérie pour que les Algériens puissent vivre citoyens prenant part aux changements du monde et au progrès de l’humanité sans rien ne devoir à personne.

Tout Algérien qui a – lui ou sa famille – donné sa part de sang, de larmes et de sueur, par amour et par devoir, ne peut attendre moins que la gloire de l’Algérie par la liberté, la justice et le progrès eu égard aux sacrifices des Algériens, à la position géographique de l’Algérie et à ses ressources. Toute réussite mondaine sociale, politique ou économique, toute référence à l’Islam ou au nationalisme, tout appel à la modernité et à la citoyenneté, toute attente générationnelle ou corporatiste, et toute ambition personnelle en deçà de la gloire de l’Algérie sont mesquineries et tartufferies même si elles peuvent paraitre « légitimité » et « légalité » au regard des pratiques et du droit en vigueur.

Il ne s’agit pas de jeter des anathèmes sur les gouvernants, les partisans, les corporatistes et les pseudo opposants qui entretiennent le leurre d’une gouvernance ou d’une démocratie, ou du changement, alors que l’Algérien Lambda sait que le système est mort et décomposé depuis longtemps, car il est sans idées sur le devenir et sans possibilités de se reformer. Il ne s’agit pas d’appeler à un énième rassemblement partisan ou multi partisans et se présenter comme alternative, substitut ou auxiliaire du pouvoir en place. Il s’agit de s’offusquer contre la laideur de notre manière de penser au devenir de l’Algérie et de notre mode de lui exprimer un amour vulgaire, accaparant et exclusif comme si elle était chose à posséder et non idéal à servir.

Lorsque le binational (franco-algérien) crie au scandale, car on lui a fermé une possibilité de promotion politique dans l’appareil d’État il ne fait qu’exprimer ou bien son ignorance du fonctionnement de l’État algérien ou bien son appartenance au jeu de communication qui consiste à donner vitalité à un système agonisant qui croit et qui veut continuer de faire croire qu’il est la vérité implacable et la réalité incontournable sans lesquelles il n’y aurait point de salut.

Et pourtant :

1- Tous les agents économiques, sociaux, culturels et politiques marginalisés du fait de leur probité morale et intellectuelle et de leur compétence savent que si en France la tendance est pour la préférence nationale, en Algérie la tendance est au contraire pour la préférence étrangère d’une manière générale et française d’une manière particulière. Le mononational et le binational sont logés à la même enseigne : ou bien ils appartiennent à la pépinière de la cooptation et de la préférence étrangère qui les destine à la promotion ou bien ils appartiennent à la plèbe exclue et méprisée. Les Constitutions algériennes (anciennes, présentes et futures) même si elles sont admirablement bien « écrites » ne demeurent dans la réalité objective que des exercices de style pour les scribes du pouvoir lequel se complait à faire un étalage triomphaliste de ses prouesses alors que la vérité indique l’imposition de la rente et la vassalisation comme idéologie dominante.

2 – Les services de sécurité respectant à la lettre le principe de « l’algérianité » se sont opposés à la nomination d’Algériens jugés « douteux » à des fonctions supérieures, mais le système de cooptation les a maintenus à leur poste alors que le réseau d’affaires leur a permis des privilèges de la fonction et profiter des largesses de la rente puis de faire profiter leurs clients et leurs donneurs d’ordres.

Nous pouvions comprendre qu’un système né de la guerre de l’Indépendance puisse se focaliser sur l’ennemi extérieur pour assoir son emprise sécuritaire sur le pays ou qu’il cultive des mythes pour distribuer des rentes historiques, religieuses, sociales et politiques ou qu’il crée de fausses dualités entre les Algériens (Arabes/Kabyles, nationaux/binationaux, islamistes/laïcs, etc.), nous ne parvenions pas à comprendre l’absence de transparence dans la promotion ou de l’exclusion des Algériens ainsi que le mépris des règles élémentaires qui protègent l’État de la trahison et de la corruption que ce même État a édicté. Il semble que le projet de destruction de l’Algérie et la vengeance contre la guerre de libération nationale ont été menés avec une main de diable sous couvert du nationalisme excessif et du culte du secret et de l’interdit. 54 ans après l’indépendance, la vérité et la réalité de notre pays continuent de nous échapper, les principes d’édification sont bafoués, les valeurs nationales sont gommées, les ressources sont dilapidées…

Dans un pays de droit le problème ne se pose pas en termes de nationalité, mais en termes de critères de compétence et d’efficacité lorsque ceux-ci sont transparents et régis par le fonctionnement démocratique et la légalité. Bien entendu, chaque pays est libre de définir ses critères d’accès et de promotion aux hautes fonctions, de les élargir ou de les restreindre, lorsque cela est conforme à son histoire et aux exigences politiques de son présent et aux attentes de son devenir. Mais chez nous le problème se pose en termes d’arbitraire. Chez nous le problème se pose en termes d’absence de transparence : quelle est la vocation de la nouvelle Constitution et quelles sont les garanties de la souveraineté nationale dans ces moments de changement planétaire ? Est-ce qu’on confectionne une Constitution pour un président invalide, pour un futur vice-président, pour un cabinet de l’ombre ou juste pour donner l’illusion de la vitalité.

Ceux qui sont attachés à la réalité objective et à la vérité savent que chacun a le droit à l’erreur et à la faute, car elles font partie de l’effort d’apprentissage, d’expérimentation et de connaissance. Ils savent que l’illusion est pire que l’erreur, elle est irrattrapable par son entropie, ses déchirements, ses déceptions, ses abus. Il faut vivre la réalité des microbus, des hôpitaux et des administrations qui font office de service public pour voir la vérité transparaitre dans le faciès des Algériens. Le peuple algérien est docile, corvéable, naïf, supportant toutes les humiliations et toutes les colonisations, mais lorsqu’il se révolte il devient dur, impitoyable et imprévisible. Pour l’instant, comme un chameau, il rumine ses illusions, sa détresse et sa soif. Il peut se mettre à mordre lorsqu’il saura qu’il a été abusé et qu’on lui a vendu de la fausse monnaie, de fausses représentations du réel, de fallacieuses significations du vrai.

3 – En début d’année 2016, l’émission la plus populaire de la TV algérienne « Alhane wa chababe » qui vend l’illusion de devenir riche et célèbre par la chanson sans passer par l’apprentissage du chant et de la musique (c’est à dire par l’effort assidu et le respect des règles d’harmonie) a exposé parmi les dix lauréats de son concours 2015 une jeune fille de 18 ans en foulard chantant en français :

Douce France

Cher pays de mon enfance

Bercée de tendre insouciance

Je t’ai gardée dans mon cœur!

Oui, je t’aime

Et je te donne ce poème

Oui, je t’aime

Dans la joie ou la douleur.

Douce France

Elle est libre d’aimer la France en Algérie comme les Algériens sont libres d’aimer l’Algérie en France à condition que l’inspiration de Charles Trenet l’auteur-compositeur transparaisse dans l’émission algérienne et dans l’esprit de son jury et de ses apprentis chansonniers :

Il revient à ma mémoire

Des souvenirs familiers

Je revois ma blouse noire

Lorsque j’étais écolier

Sur le chemin de l’école

Je chantais à pleine voix

Des romances sans paroles

Vieilles chansons d’autrefois.

Que signifie chanter l’amour d’un pays lorsque le président du jury proclame le devoir de « assala » (authenticité) confondant lui-même l’authentique et le folklorique et ne se pose sans doute ni la question sur sa légitimité et sa compétence ni sur celle de la chanteuse qui vient déclarer son amour maternel à la France. Pour le jeune candidat Harrague à l’exil pour jouir de la bi-nationalité ou de la bi-clandestinité les priorités ne sont ni celles du président du jury ni celles du chœur. Il ne va pas attendre les promesses socioéconomiques et les attendus juridiques pour se faire une idée de ce qui l’attend ici ou une illusion de ce qui l’attend ailleurs. Lorsqu’on voit les réalités des mondes parallèles en se posant la question sur la vérité on se trouve plongé dans le désarroi total pire que la schizophrénie et ses délires.

Que signifie chanter un poème lorsque l’école et l’environnement qui l’ont inspiré sont absents aussi bien dans le répertoire culturel et intellectuel du jury que dans l’imagination et l’imaginaire de la chanteuse? Quelle est notre priorité : restaurer la vocation de l’école et promouvoir la pensée et les arts ou cultiver le narcissisme des gouvernants. Quelle est notre priorité : chanter à la gloire de Bouteflika et de sa Constitution ou mettre fin aux agissements malfaisants de ceux qui ont détruit l’école algérienne et sapé le devenir des écoliers algériens dans les illusions et les antagonismes idéologiques sur la langue arabe et l’Islam ?

Que signifient l’algérianité, la francité, la binationalité et leur débat dans la nouvelle Constitution lorsque l’école est sinistrée, lorsque la langue qui fait l’identité d’un peuple et le canevas de ses idées et de son expression n’est pas pratiquée. L’incohérence linguistique et son corollaire l’incohérence idéique est totale avec ou sans la nouvelle Constitution, avec une deux ou trois langues nationales, avec ou sans les binationaux. Faute de cohérence on s’invente des sujets et des personnages de diversion et de polémique.

Il est temps de reprendre les choses par leur commencement : se réapproprier la compétence adamique de nommer c’est-à-dire de produire des concepts et du sens pour désigner dans des expressions intelligibles et le vrai et le réel pour se libérer des illusions de la perception et du diktat des choses. Sinon va s’appliquer contre nous en tant qu’être ontologique, territoire et temps d’existence la suprématie du faux et de la fiction. Le philosophe Hobbes disait :

« Le vrai et le faux sont des attributs du langage, non des choses. Et là où il n’y a pas de langage, il n’y a ni vérité ni fausseté ».

Il faut voir l’univers des Algériens : entassement de choses dans un monde où tout est devenu chose y compris la religion. Les petites gens avec de petits esprits, mais avec un grand appétit de choses sont convaincus avec fierté que Bouteflika a réalisé de grandes choses.

Lorsque l’école, le personnel politique et la société s’approprieront les attributs du langage qui façonnent le civilisé alors les fondements constitutionnels que sont la liberté, la justice, la vérité et la réalité, une fois bien ancrés dans l’esprit et la praxis, permettraient de débattre sereinement et efficacement de chaque volet et de chaque article de la Constitution. Pour l’instant nous commençons à entendre sourdement le récit de la fable de Midas et son bonnet d’âne malgré les narratives sur nos Ulysse et les travaux d’Hercule.

Encore une fois, dire la vérité sur la réalité n’est ni un exercice de style ni une diversion philosophique, mais une invitation à réfléchir au problème de fond. Pour illustrer davantage ce problème, il faut se pencher sur la manie des gouvernants et des opposants de revendiquer l’État de droit (Dawlat al Qanoun) sachant qu’il y a une confusion sémantique et praxitique entre deux notions diamétralement opposées : l’État de lois et l’État de justice (dawlat al ‘adl) ainsi que deux conceptions de souveraineté et de gouvernance : La République et la Démocratie. La République (res publica signifiant chose publique) est la situation où l’État appartient aux citoyens selon le principe de la justice qui arbitre entre eux et de la liberté qui leur confère le droit de se constituer en sociétés et en État et de se fédérer avec d’autres peuples. La Démocratie est la situation où le pouvoir issu des urnes ou de la révolution gouverne au nom du peuple selon le principe des lois (légalité et légitimité révolutionnaire, constitutionnelle, etc.). Dans la République le principe fondateur et fédérateur est la liberté, cette liberté soit elle-même résulte d’une revendication de justice soit elle a pour conséquence l’exigence de justice et d’équité. La démocratie peut par contre s’accommoder de lois injustes et de dictature au nom du peuple ou au nom de la majorité.

Emmanuel Kant dans « Projet de paix perpétuelle » énonce les principes d’une manière simple et concise :

« La constitution fondée premièrement sur les principes de liberté des membres d’une société (en tant qu’hommes), deuxièmement sur les principes de dépendance de tous envers une législation unique commune (en tant que sujets), et troisièmement sur la loi de leur égalité (en tant que citoyens), seule constitution qui dérive de l’idée d’un contrat originaire sur lequel doit être fondée toute législation de droit d’un peuple, c’est la constitution républicaine…

Afin de ne pas confondre (comme cela arrive communément) la constitution républicaine avec la constitution démocratique, il faut faire la remarque suivante. On peut diviser les formes d’un État (civitas) soit selon la différence des personnes qui détiennent le pouvoir suprême, soit selon la manière, quelle qu’elle soit, dont le chef gouverne le peuple. La première s’appelle proprement la forme de souveraineté (forma impreii) et il n’y en a que trois possibles : ou bien en effet un seul, ou bien quelques-uns unis entre eux, ou bien tous les citoyens ensemble, détiennent le pouvoir souverain (autocratie, aristocratie et démocratie); pouvoir du prince, pouvoir de la noblesse, et pouvoir du peuple; la deuxième est la forme de gouvernement (forma regiminis) et concerne la manière, fondée sur la constitution (l’acte de la volonté universelle qui fait de la foule un peuple) dont l’État use de sa pleine puissance. A cet égard elle est soit républicaine, soit despotique. Le républicanisme est le principe politique de la séparation du pouvoir exécutif (le gouvernement) et du pouvoir législatif ; le despotisme est le principe selon lequel l’État met à exécution de sa propre autorité des lois qu’il a lui-même faites ; c’est donc la volonté publique maniée par le chef d’État comme sa volonté privée…

Toute forme de gouvernement qui n’est pas représentative est proprement une non forme parce que le législateur ne peut-être, en une seule et même personne, également l’exécuteur de sa volonté…

Il est incontestable que la manière de gouverner importe plus au peuple que la forme de l’État… Le problème de la formation de l’État, aussi difficile qu’il paraisse, n’est pas insoluble, même pour un peuple de démons (pourvu qu’ils aient de l’entendement), et il se formule ainsi : « organiser une foule d’êtres raisonnables, qui tous ensemble réclament pour leur conservation des lois universelles… »

Le fait politique et historique en Occident a occulté la philosophie politique et par mimétisme et paresse nous nous trouvons dans la confusion entre les deux notions tout particulièrement en France. En Algérie, nous commençons notre histoire moderne là où finit celle des autres à laquelle nous y ajoutons l’aliénation idéologique des laïcistes algériens aux Français, l’immaturité politique des islamistes et la dictature du pouvoir en place. Les raccourcis historiques et les mauvais curseurs idéologiques n’ont donc jamais permis l’émergence d’un débat politique et intellectuel sur les conditions et les processus d’instauration de la République et de la Démocratie les plus conformes à nos désirs, à nos valeurs et au devenir de l’Algérie dans le destin des autres nations. Non seulement nous avons reconduit l’administration coloniale, mais nous l’avons confié à des « énarques » et à des cooptés au moment où nous avions plus besoin de politique, de philosophes et d’artistes pour innover, libérer et développer le pays.

Il faut bien admettre que l’idéal universel de vivre libre, en paix, bénéficiant de la justice, et jouissant d’une identité nationale s’est exprimé durant la guerre de libération nationale. La déclaration du 1er novembre 54 est pour nous l’équivalent de la déclaration d’indépendance des États-Unis ou de la Déclaration des droits de l’Homme en France. C’est cet esprit de novembre 54 avec les aspirations populaires de liberté, de justice, de progrès qu’il nous faut restaurer, promouvoir et traduire en pensées, en comportement et en actes. Le reste c’est de la diversion. La liberté n’a aucun sens si elle s’énonce sans la justice et le droit :

Allah (swt) nous demande de gouverner selon le principe suivant :

{Ô David ! Nous faisons de toi un successeur sur Terre. Juge entre les hommes avec le Haqq } Sad 23

Le Haqq coranique renvoie aux principes d’équité, de justice, de vérité, de droit et de connaissance de la réalité. Ce sont des principes fondateurs et fédérateurs qui garantissent la paix et le progrès dans ce monde ainsi que le salut ultime dans l’autre monde. Galvaudés par notre pratique bigote ou par notre reniement idéologique nous ne voyons pas les vraies conséquences et leur réalité dans ce monde tangible ou dans l’autre monde :

{et garde-toi de suivre tes penchants, si tu veux rester dans la Voie du Seigneur, car ceux qui dévient de la Voie du Seigneur subiront de terribles châtiments pour avoir oublié le Jour du Jugement} Sad 23

La réussite de l’Occident et sa suprématie résident dans l’efficacité de leur mode de gouvernance et le respect de leurs principes de justice et de droit. Les nouvelles bureaucraties, les finances et les médias sont en train de saper les derniers bastions républicains ou démocratiques.

4 – Que la Constitution donne des droits et des devoirs aux binationaux ou qu’elle les retire cela n’a pas de signification stratégique dans la forme actuelle de l’État. Si cela avait une signification dans l’édification du pays et son progrès alors l’armée des frontières qui a pris le pouvoir au détriment des Moujahiddines aurait un sens, il en serait de même de la suprématie du militaire sur le politique, il en serait de même sur la nature et le sens du pouvoir réel et actuel. Comment arriver au pouvoir et l’exercer, pourquoi, pour qui et comment ? Ce sont ces questions essentielles qui sont sans réponses et il ne peut y avoir de réponses dans un complexe d’incohérences.

C’est le même système d’incohérences qui cherche à se justifier sur les conséquences et inconséquences de l’arrêt du processus électoral sans jamais apporter de réponses politiques, judiciaires, transparentes, cohérentes, justes et crédibles sur le « qui tue qui? ». Les élites algériennes (il n’y a pas encore une élite) personnifient l’incohérence de ceux qui prétendent défendre la vérité alors qu’elles sont ignorantes de la réalité et qu’elles s’accommodent des vérités qui les réconfortent dans leur représentation idéologique de ce qui est le mieux pour l’Algérie faisant fi des Algériens et de ce qui leur ferait du bien ou du mal. Ils sont prêts à servir n’importe qui s’ils y trouvent des gains mondains autant qu’ils sont prêts à mettre l’Algérie à feu et à sang si cela consolide leurs positions idéologiques.

L’incohérence aime le règne de la suspicion, de l’insécurité, des dérogations et des passe-droits. L’incohérence permet la juxtaposition, la confusion et l’opposition factice des centres de décision pour masquer les véritables centres de décision : l’étranger prédateur, les barons de l’économie informelle, les barons de la phagocytation de l’industrie, de l’agriculture, du commerce et du foncier étatique, les bureaucrates, les rentiers du bigotisme, les brocanteurs du nationalisme de pacotille, les véreux parmi les militaires et les policiers. Est-ce que le nettoyage des écuries d’Augias passe par un juridisme constitutionnel ou par un sursaut de conscience citoyenne? Est-ce qu’il passe par les mises en scène vaudevillesques dans ce qu’on appelle l’Assemblée nationale et ses gladiateurs grassement payés ou par l’émergence de ce que Malek Bennabi appelle le sentiment démocratique et la société du devoir.

Seule la société de devoirs peut garantir au national, au binational, à l’investisseur étranger l’espace qui permet à chacun d’exercer ses compétences et d’investir dans un marché concurrentiel sans monopole, sans bureaucratie et sans corruption. Peut-on se faire l’illusion d’avoir des espaces politiques, culturels et idéologiques pour changer l’Algérie ou la gouverner du seul fait de l’édition et de la publication d’une nouvelle Constitution. La réalité de l’investissement étranger comme celle de la micro entreprise est désespérante. La réalité de la fiscalité est horrifiante. La vérité qui ne peut être masquée par des promesses, des codes, des Conseils, des Constitutions ou des discours est celle du registre de commerce. La priorité et la facilité sont dans la délivrance facilitée et expresse du registre du commerce aux jeunes avec des mesures de soutien en matière de formation professionnelle et d’ingénierie de création d’entreprises. L’urgence est dans la lutte contre l’inflation, la dévaluation et la protection de la monnaie nationale. Les urgences ne manquent pas, mais comme l’a bien souligné Malek Bennabi à propos de la mentalité de l’indigène colonisé, il est plus facile pour nous de créer les conditions qui rendent impossible l’action, rédhibitoire son prix et inutile ses conséquences. Nous créons des chantiers pharaoniques et nous nous investissons de la personnalité de Zarathoustra pour faire accoucher une montagne d’une souris. L’art de perdre du temps et de produire de l’entropie en tentant vainement de donner existence à ce qui n’a pas de réalité, à faire apparaitre pour vrai ce qui est illusoire et factice est une stratégie d’évitement pour ne pas affronter la vérité, pour ne pas se confronter à la réalité, et pour ne pas assumer ses responsabilités.

5 – Les auxiliaires zélés et les aspirants à la gouvernance future confondent les révisions constitutionnelles dans les démocraties occidentales avec les fascinations médiatiques des « magiciens de Pharaon » en vigueur dans nos contrées en voie de sur sous-développement par inertie. Pour les démocraties occidentales, y compris les monarchies, la Constitution est façonnée par l’histoire politique, sociale, économique et culturelle dans le rapport des forces et la confrontation des intérêts. Ces pays évoluent : leurs États ainsi que leurs mentalités collectives et leurs intérêts individuels ou corporatistes deviennent plus diversifiés, plus exigeants et plus innovants, faisant évoluer, par leur dynamisme, leur poids et leur force, les institutions et les lois.

En Occident, les changements et les révisions viennent soit comme initiateurs, accompagnateurs ou conformateurs des changements sociaux, politiques, économiques et idéologiques. L’édifice est complexe et mouvant : il exige des spécialisations notamment en matière de droit constitutionnel. Cette spécialisation n’est pas à l’abri de fonctionnement bureaucratique ou de dérives autoritaires d’autant plus que l’idéal démocratique et l’idéal de justice s’effacent de plus en plus au profit des finances pour ne devenir qu’un banal acte médiatique. L’acte médiatique parvient pour l’instant à ne pas gommer les droits fondamentaux et à garantir quelques espaces de liberté et de justice pour éviter la violence et les excès.

Chez nous, il y a une inflation de lois et de constitution sans contrepartie sociale, politique, économique et culturelle. On fait une révision constitutionnelle sans qu’il y ait un processus qui l’exige ou une dynamique qui en résulte. D’un côté, il y a le délire de l’agonisant et de l’autre le silence du moribond. Nous ne produisons ni nos idées ni notre nourriture ni nos vêtements ni nos armes ni nos rêves, dans ces conditions nous ne pouvons que produire des cache-misère pour masquer notre indigence intellectuelle, notre paresse politique et notre arrogance qui n’a d’égale que notre insenséisme. La fascination,  la séduction et la corruption sont les principaux outils pour imposer les syllogismes fallacieux qui font office de vérité ainsi que les narratives qui font fi de la réalité.

Nicolas Machiavel fin connaisseur des mentalités et des us de l’Italie déchirée par les complots, les alliances extérieures et les luttes de pouvoir conseillait aux Princes :

« Il n’y a point d’entreprise plus difficile, plus douteuse, ni plus dangereuse que celle de vouloir introduire de nouvelles lois. Parce que l’auteur a pour ennemis tous ceux qui se trouvent bien des anciennes, et pour tièdes défenseurs ceux mêmes à qui les nouvelles tourneraient à profit. Et cette tiédeur vient en partie de la peur qu’ils ont de leurs adversaires, c’est à dire de ceux qui sont contents des anciennes ; et en partie de l’incrédulité des hommes, qui n’ont jamais bonne opinion des nouveaux établissements qu’après en avoir fait une longue expérience ».

Les énarques et les boulitiques algériens, nationaux et binationaux, s’ils sont plus fourbes que Machiavel, ils ne sont pas dans sa disposition d’esprit ni dans sa disponibilité de temps et d’effort pour unifier l’Italie sous la bannière de la Maison des Médicis. Bien entendu la mégalomanie des Algériens est telle que Ben flen min Dar Felten ignorant et ennemi de la patrie, des arts, de la politique et des sciences serait présenté comme un illustre personnage si la réussite sociale lui est favorable.

Quelle force va vaincre l’inertie immobile où les seules forces qui bougent sont les appétits insatiables et voraces des profiteurs ainsi que les illusions les plus délirantes.

Sous quelle bannière sera administrée l’Algérie dans quelques mois ? Qui sera l’homme fort ? Sera-t-il visible ou tapi dans l’ombre ? Comment va-t-il distribuer la rente alors que les ressources de l’Algérie ont fondu, mais les prétendants et les ayant-droits plus nombreux et plus exigeants? Comment arbitrer entre les seconds couteaux et les jeunes loups ? Comment sauver la patrie qui est conduite vers la faillite totale pour se livrer comme base coloniale et comptoir commercial sans autre vocation ?

Ces cinq points sont suffisants pour illustrer le mode d’entretien du leurre à travers l’innovation constitutionnelle. Ils sont une invitation aux plus sensés et aux plus compétents d’entre nous de refuser d’entrer dans les surenchères stériles voulues par le pouvoir et ses sphères et d’apporter de la pédagogie aux générations montantes :

« Le devoir d’un honnête homme est d’enseigner aux autres le bien que les iniquités du temps et la malignité des circonstances ont empêché d’accomplir, dans l’espoir que d’autres, mieux pourvus et placés dans des circonstances plus favorables, seront assez heureux pour le faire ». Nicolas Machiavel.

Que signifie le bien que chacun doit accomplir pour sa dignité, pour ses voisins, pour son pays, pour sa communauté humaine qu’il soit gouvernant ou gouverné, administrateur ou administré, national ou binational, indigène ou allogène ? La réponse individuelle ou collective peut être réelle ou illusoire, vraie ou fausse. Allah(swt) connait nos intentions et chacun connait le fond de son cœur pour donner sa réponse la plus sincère et la plus conforme à sa réalité. Chaque cité, chaque pays, chaque peuple, chaque récit témoignent par les faits, les gestes, et les intentions son regard ainsi que sa pratique du bien et du mal.

Allah (swt) dans le Coran fait « du bien œuvrer et œuvrer pour le bien » l’obligation qui donne sens à la foi. Sans le bien ‘amal salah notre foi serait superficielle nulle et non avenue comme celle du bigotisme. Ce même Dieu et dans le même Coran a montré que le Qawm (ethnie) se conçoit par rapport à l’unité linguistique indépendamment de la foi et de morale, le Chaâb ou Qabila (peuple ou tribu) se conçoit par rapport à des rapports socio-économiques tissés dans un territoire et une période, la Oumma (communauté ou nation) se conçoit par rapport à une unité de valeurs et à une unité d’orientation. Ce sont des cercles d’appartenance et d’implication qui peuvent être disjoint, conjoints ou en intersection. Chaque catégorie est appelée à coopérer avec l’autre sur les liens du sang, du sol, des intérêts ou des valeurs partagées qui sont les plus sacrés en un moment historique sans confusion ni exclusion. Le point commun est le respect de la liberté, le maintien de la paix, l’instauration de la justice et la réalisation solidaire du bien. Dans la cité des Croyants (majoritaires ou minoritaires) la règle est la commanderie du bien et la prohibition du mal sans exclusive pour un clan ou une confession. On fait le bien pour lui-même, pour sa valeur intrinsèque, pour l’amour qu’il procure, pour la paix qu’il préserve, pour la justice qu’il réalise, pour la spiritualité qu’il déploie, pour le respect qui est dû à soi et aux autres créatures. Le bien n’est pas lié au statut social, à la fonction, à la richesse. Le niveau des responsabilités par contre dépend des moyens, des positions et des relations. Ontologiquement, on devrait se préparer à faire le bien, mais socialement, politiquement et judiciairement on devrait répondre de nos actes et justifier de nos responsabilités. C’est ainsi que se conçoit une société de devoirs dont l’accomplissement finit en droits acquittés et en mérites récompensés. Comment formuler ce principe de surplus du bien en termes constitutionnels lorsque la conscience est absente ?

Le problème ne devrait donc pas se poser en termes de nationalité, mais en termes de contribution au bien et au respect des exigences de la liberté, de la paix et de la justice. Chacun devrait pouvoir évoluer et s’exprimer dans une ou plusieurs sphères d’appartenance à condition qu’il n’y ait pas de conflit d’intérêts ou que l’intéressé ne prenne pas part au conflit. Le seul critère est la compétence comprise comme reconnaissance sociale de la capacité à produire du bien dans sa sphère d’activité et son niveau de responsabilité que ce bien soit moral ou matériel.

Allah (swt) dans l’alternance des civilisations nous fait voir que des civilisations ont duré des siècles, car leur contribution au bien de l’humanité était supérieure à leurs effets de nuisance. Allah garantit la durée au plus efficace et au plus utile. La foi, le nationalisme, les intentions affichées sont sans valeur et sans perspective de devenir ou de témoignage historique si l’œuvre de bien n’est pas fondatrice et fédératrice. Les Romains avaient dominé le monde bien qu’ils fussent païens et colonisateurs. Leurs possibilités de faire le bien en développant l’agriculture, l’architecture, les arts et techniques ainsi que l’administration et le droit apportant du progrès social et technique a l’humanité sont incontestables.

Dans la logique historique, les Romains ne devaient s’éclipser qu’une fois leur vocation achevée devant l’émergence d’une communauté monothéiste plus civilisatrice. Les musulmans se sont éclipsés lorsque leur nuisance est devenue supérieure à leur bien. Constitution, Dawla islamiya ou autre slogan n’a aucune valeur s’il n’y a pas de forces sociales et politiques en mouvement intellectuel, scientifique, moral, technique et économique. La Constitution n’est pas un livret juridique ou une recette de cuisine, mais l’idée, la feuille de route et le désir d’une communauté de se constituer en nation civilisée et civilisatrice de la même manière que des associés se constituent en société pour produire, commercer et gagner ensemble selon des règles convenues et des moyens partagés. La Constitution (les statuts juridiques) est le document fondateur qui concrétise le désir d’être ensemble, les objectifs, les droits et devoirs des participants. C’est un acte de liberté, c’est un acte de conscience, c’est un projet délibéré dont l’énonciation et la réalisation exigent l’existence et la collaboration d’un maitre d’usage, d’un maitre d’œuvre, d’un maitre d’ouvrage, d’un maitre d’exécution et d’un maitre d’homologation pour témoigner d’une présence et montrer le bien que l’on est capable de produire dans une période de temps, dans une étendue de territoire et dans des conditions culturelles, sociales et économiques. C’est ainsi que se réalise le destin des hommes, que prospère leur compétence à faire le bien et que s’inscrivent leurs témoignages dans le temps et dans l’espace :

{Nous vous avons avantagé les uns par rapport aux autres afin que vous soyez mutuellement les uns au service des autres} Coran

Le processus de constitution est un processus foncièrement libertarien même si la liberté reste tributaire des contingences du temps et de l’espace. Les tribus, les ethnies, les peuples, les nations et les civilisations se sont constitués à la fois par leur volonté libre et par les exigences du lieu et du moment dans la quête de la nourriture, de l’abri, des outils, de la socialité et de la sécurité. En s’associant avec les voisins ou en se mobilisant contre les envahisseurs. En évoluant et en se civilisant, les membres constitués raffinent la manière dont ils seront gouvernés, taxés et jugés. Il est impensable de parler de Constitution alors que la Liberté qui la constitue est absente ou que les préoccupations de nourriture, de sécurité, de territoire, de justice, d’alliance qui concernent l’ensemble des membres ne se fassent pas ou se fassent dans la clandestinité, l’exclusion et l’exclusive.

Les élites algériennes au pouvoir ou dans l’opposition n’ont pour référence que les États-majors de la Révolution française ou le schéma contemporain des institutions françaises. Le pourquoi, le comment et le devenir de ce qu’ils ont plagié ne les intéresse pas puisqu’ils ne cherchent que l’alibi et la forme qui fait illusion.

Les maffias et les organisations terroristes sont une autre forme de constitution fondée sur l’usurpation, la violence et le partage de territoire ou de butin. Le chef organise la rapine et arbitre lorsqu’il faut coopter un nouveau membre ou éliminer un ancien. L’arbitre-chef de la Maffia peut concentrer en apparence tous les pouvoirs, mais dans la réalité il décide selon le consensus des petits chefs qui l’ont désigné auparavant.

J’ai cité Machiavel pour illustrer mes propos, car il illustre la pensée de la Renaissance et de l’émergence de l’État nation (État moderne) porté par le développement des sciences, des arts et de la philosophie. Le discours (du bigotisme ou du laïcisme) veut faire croire que les Européens se sont civilisés une fois qu’ils avaient abandonné leur religion alors qu’en vérité ils avaient rompu avec l’oppression sous toutes ses formes et qu’ils avaient consenti le prix pour cette rupture salutaire. Il illustre aussi l’idée de l’émergence de la civilisation occidentale au détriment de la civilisation musulmane. Cette dernière – ayant sombré dans le juridisme stérile des clergés, et des rentiers de la religion et de la politique – ne pouvait plus produire de la pensée innovatrice ou s’occuper des problèmes de la cité des hommes. Au moment où le monde musulman sombrait dans le fatalisme, le piétisme, l’oppression et l’ignorance l’Occident s’éveillait au débat philosophique sur la Souveraineté, la République, la Démocratie. Ils se construisaient des concepts pour lire la réalité et la changer. Nous continuons à ne pas lire objectivement leurs concepts et à vouloir importer ou à refuser leur réalité comme si notre mental binaire ne pouvait que penser en terme d’importation des choses ou d’autarcie. Les uns ne voient pas la réflexion et la démarche historique pour construire la liberté et la justice qui manquent dans nos cités et se contentent d’importer des parlements, des constitutions, des élections comme on importe des pommes de terre. Les autres refusent de voir l’expérience des autres et se contentent de traduire l’Islam en une série d’interdits et de tabous figeant la pensée dans un rituel de comportements et de mentalités anachroniques et inefficaces. Que nous nous déclarions partisans de l’Occident ou ses ennemis jurés c’est toujours notre façon de penser et nos confusions sur les réalités et nos incohérences sur la vérité qui ont véritablement produit notre décadence puis notre colonisation par les Occidentaux. C’est notre mentalité qui continue de nous imposer les schémas mentaux du colonisé dont l’unique promotion est d’être l’axillaire du bureau arabe dans l’administration coloniale ou porteur de fardeaux dans le comptoir commercial. Nous refusons de produire notre résistance et notre développement.

Je ne vais pas finir ce sujet sans poser une autre question : est-ce que le bien est accessible à tous ? Oui par notre nature primordiale nous avons la disposition de nous émouvoir devant le bien et le mal comme de nous émouvoir devant le beau et le laid ainsi que devant le juste et l’injuste. Mais la routine insensée et la quête des intérêts contaminent notre nature et la rendent insensible à la vérité et à la réalité. Allah (swt) dit :

{Celui-ci est Allah, votre Seigneur Al Haqq. Au-delà du haqq qu’y a-t-il donc sinon l’égarement ? Comment se fait-il que vous vous en détourniez ? »}

Les subtilités du langage vont nous donner des interprétations et des traductions dont le sens profond est à chaque fois différent :

{Tel est Dieu votre vrai Seigneur. Au-delà de la vérité qu’y a-t-il donc sinon l’égarement ? Comment se fait-il que vous vous en détourniez ? »}

{Tel est Dieu, votre Seigneur véritable. Au-delà de la vérité qu’y a-t-il donc sinon l’égarement ? Comment se fait-il que vous vous en détourniez ?}

{Tel est Dieu, votre Seigneur véridique. Au-delà de la vérité qu’y a-t-il donc sinon l’égarement ? Comment se fait-il que vous vous en détourniez ?}

Toutes ces traductions ont manqué de vérité et de réalité en oubliant que les termes « vrai », « véritable » et « véridique » ne sont pas synonymes même s’ils sont proches. Le plus grave c’est que le terme Al Haqq n’est pas un attribut ou une épithète qualifiant Allah, mais un Nom parmi les saints noms d’Allah (swt). Il faudrait plutôt lire l’Aya comme ceci :

{Celui-ci est Allah, votre Dieu (qui est) la Vérité-Réalité. Au-delà du vrai et du réel qu’y a-t-il donc sinon l’égarement ? Comment se fait-il que vous vous en détourniez ?}

En se détournant du réel et du vrai il est impossible d’accéder à Dieu comme Vérité et Réalité tant dans son existence, que dans Ses Actes et Paroles pour se trouver dans la situation d’inventeur d’idoles et de mythes. En se détournant de Dieu, l’homme faillible ne peut accéder à la réalité objective ni à la vérité absolue dans ce monde et il sera privé de la rencontre de Dieu dans l’au-delà. Cette Aya n’est pas seulement une déclaration d’identité sur Dieu, mais un concept de déconstruction des fausses croyances, une mise à l’épreuve de l’esprit devant les légendes, les narrations, les idoles et les illusions. C’est l’invitation spirituelle et philosophique la plus complexe qui soit donnée à l’humanité pourvue de raison, de logique et de quête de sens. Le rapport entre la vérité et la réalité et ses incidences sur la liberté, la justice, l’art et l’épistémologie scientifique est sans doute le débat le plus étendu et le plus complexe de l’Antiquité à nos jours.  C’est sur ce terrain que se construisent la certitude et la connaissance y compris en matière de foi.

Je reviendrai une prochaine fois, inchaallah, en détail sur quelques sens spirituels et philosophiques de cette Aya coranique. Pour l’instant, elle va nous guider à poser les dernières questions sur le leurre et le mensonge entretenus par la médiocratie et son réseau de clientèles :

Celui qui ne dispose pas de la vérité (sémantique du texte, concepts philosophiques, grands principes moraux, amour désintéressé, acuité intellectuelle, méditation sur l’histoire, quête sur le sens des phénomènes, vigilance de discernement) peut-il s’émanciper de la perception, des représentations et des modèles donnés à voir ou à imiter pour se libérer et enfin voir et comprendre la réalité objective puis la transformer? Celui qui est ignorant de la réalité objective des choses peut-il accéder à la vérité c’est-à-dire trouver le sens logique et gnoséologique qui lui permet de penser, d’agir et témoigner avec connaissance et certitude, et non par suggestion ou impulsion, fascination ou manipulation, leurre et fiction, peur ou cupidité ?

Comment la réalité et la vérité participent-elles ensemble à l’élaboration de la pensée et de la certitude? Est-ce que la pensée peut se passer de vérité et de réalité ? Est-ce que l’action peut se passer de pensée ? La vérité statique et la réalité figée du moment ou du passé ne sont-elles pas un frein à la réalité du devenir et au devenir de la vérité au point de mutiler l’esprit et la société? Est-ce que la liberté et la justice sont des accessoires ou des composants essentiels dans l’acquisition et la formulation de la vérité et de la réalité ? Est-ce que le bien, le concevoir et le faire, peut-il se passer de la vérité, de la réalité, de la justice et de la liberté? Est-ce que la quête de vérité et l’observation de la réalité peuvent guérir l’homme de l’incohérence ontologique et de l’illusion de la représentation qui lui fait superposer ou coexister plusieurs « réels » et plusieurs « vrais » ?

Les énarques algériens qui n’ont jamais mis les pieds dans un atelier de fabrication ou de réparation et qui n’ont aucune disposition pour réparer ni Algérie ni vélo vous diront que l’Algérie n’a besoin ni de philosophie ni d’art ni de Coran, mais de technique alors qu’ils ont démantelé tout l’appareil industriel et technique acquis en clé en main et en produit en main.

Si les Algériens, nationaux et binationaux, gouvernants et gouvernés, mono ou biculturels continuent de croire qu’ils peuvent se dispenser de penser et qu’il leur suffit d’importer leurs modèles d’administration et de gouvernance alors tous les ans nous aurons une nouvelle Constitution pour cacher les dislocations de ce qui fait une civilisation : le territoire, la langue, la mentalité collective, l’histoire et l’économie. C’est par la pratique pensée de la réalité, de la vérité, de la justice et de la liberté dans ce qui fait ou défait la civilisation que l’homme prend toute la mesure de sa faillibilité et de son drame ainsi que de sa grandeur et de sa dignité.

À travers ces exemples nous pouvons déduire que nous mettons toujours la charrue devant les bœufs et que nous occultons la priorité en l’occurrence revendiquer le droit du sens et le retour aux fondamentaux qui sont les véritables garanties de notre devenir ainsi que de nos ambitions légitimes à la promotion intellectuelle, sociale et politique. Je fais le choix, ici, de rester proche de la vision kantienne, car elle me semble la plus proche de l’idée coranique et revendiquer l’État qui n’a pour vocation que d’être l’unique garant de la liberté collective et individuelle, de défendre la justice qui doit demeurer équitable, indépendante et impartiale. Quiconque occupe ou cherche à occuper des fonctions étatiques supérieures ou subalternes doit :

« Entrer dans un État juridique est un devoir, un impératif catégorique juridique. Dès lors, chacun doit se considérer comme contractant, comme membre de la volonté unifiée d’un peuple ».

Pour le reste, c’est à la société de se prendre en charge sous les formes organisées les plus adéquates à son dynamisme social, culturel, économique et intellectuel. En tout lieu et en tout moment, il devrait y avoir un contrat librement négocié, une adhésion librement consentie et des règles communes à respecter.

Les grands principes universels de droit et d’éthique de la gestion de la cité et de la relation entre les citoyens sont les suivants :

{… ce qui est auprès d’Allah est meilleur et plus durable pour ceux qui sont devenus croyants, qui s’en remettent à Dieu, qui évitent les péchés les plus graves ainsi que les turpitudes, qui pardonnent après s’être mis en colère, qui répondent à l’appel de leur Seigneur, accomplissent la Salat, se consultent (librement) entre eux à propos de leurs affaires, dépensent (au profit des pauvres et des faibles) de ce que Nous leur attribuons, et qui, atteints par l’injustice, ripostent. La sanction d’une mauvaise action est une peine identique. Mais quiconque pardonne et réforme, son salaire incombe à Allah. Il n’aime point les injustes ! Quant à ceux qui ripostent après avoir été lésés, …ceux-là pas de voie (recours légal) contre eux ; il n’y a de peine que contre ceux qui lèsent les gens et commettent des abus sur terre, contrairement au droit, alors ceux-là auront un châtiment douloureux. Et celui qui endure et pardonne, cela en vérité, fait partie des bonnes dispositions et de la résolution dans les affaires.} As Choura 36 à 43

Il ne s’agit que de droit, de justice et de liberté. Ce sont leurs valeurs, leurs principes, leurs règles et leurs pratiques qui effaceront les disparités fabriquées, les leurres entretenus, les discriminations subies. Encore une fois si est libre de rêver de son Algérie et de voir la réalité algérienne comme il la perçoit, mais lorsqu’il s’agit du destin d’un peuple et de ses sacrifices alors les attentes changent selon les niveaux d’exigence morale, intellectuelle et patriotique que l’on s’est fixé ou que l’on s’est forgé dans sa vie.

omar-mazri
Omar MAZRI,
auteur et écrivain
www.liberation-opprimes.net

 

 

 

Rédaction

- Publicité -

Plus d'articles

1 COMMENTAIRE

  1. l’article 51 si on additionne 5 +1 = 6 c’est le chiffre qui est craint par les juifs et les égarés et les mécréants c’est tout ce que je voulais laisser comme commentaire A DIEU NOUS APPARTENONS ET A DIEU NOUS RETOURNERONS MERCI POUR TES CONTRIBUTIONS . CE MONDE CE BAS MONDE EST PLUS NAUSÉABOND QUE LA PUTREFACTION DE CADAVRE DE N’IMPORTE ANIMAL COMME L’A PREDIT LE PROPHETE MOHAMED RASSOUL ALLAH (qssl) merci

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

- Rechercher -

Derniers Articles